Le réveil est dur, il est midi. J'ai la bouche pâteuse d'avoir trop dormi. Je traverse le salon désert pour aller aux toilettes. Il n'y a pas un bruit. Ça me rappelle des mauvais souvenirs. quand ma mère était venue me récupérer et m'avait trouvée seule. C'était un peu après l'accident, elle était encore à cran. Je n'avais pas mangé de la journée, et mon père n'était nulle part dans les parages. Je ne lui ai pas dit que cela arrivait chaque semaine où j'étais chez lui, mais je sais que c'est après ça qu'elle a obtenu ma garde. Je m'assois sur le canapé et feuillette le journal télé, sans vraiment faire attention.
- Bien dormi ? Me demande mon père, en chemise de nuit, en entrant dans la pièce.
- Ça peut aller.
- Tant mieux.
Un silence gênant s'installe entre nous, et je ne fais rien pour le rompre.
Mon père finit par venir s'asseoir à côté de moi ; je peux sentir l'odeur de clope imprégnée dans ses vêtements. Je ne dis rien, mais je déteste ça.
- Ça va à l'école ?
- Si on veut.
Nouveau silence. Pourquoi essait-il si désespérément de me parler ?
- Ils t'embêtent ?
- Si on veut.
- Si ça peut aider, tu as mon autorisation pour leur mettre un bon coup de poing, en plein dans l'os du nez.
- Je suis sûre que maman serait ravie de le savoir.
Un petit sourire m'échappe. Malgré tout ce que je déteste chez mon père, il y a toujours eu un je-ne-sais-quoi, qui m'a retenu de le mépriser autant que les autres. Une sensibilité qu'on entre-aperçoit parfois, au détour d'une phrase, avant qu'elle ne soit de nouveau masquée par les dégâts de l'alcool, de la drogue et de notre société.
D'après moi, il y a deux types de personnes : celles assez égoïstes pour correspondre au système, comme ma mère, et celles sensibles qui rentrent plus ou moins dans le système en essayant d'oublier qui elles sont, mon père. Autant dire qu'à la fin, personne n'est fréquentable, mais j'ai un peu plus de sympathie pour la deuxième catégorie.
- On t'embêtait, à l'école ?
- En Ouganda, non, mais quand je suis arrivé en France, j'étais le seul de ma petite école de campagne à avoir la peau noire. Les enfants m'appelaient « le nègre » et jamais par mon prénom. Des fois, à la récré, on me jetait des cacahuètes et on me demandait de grimper aux arbres.
- Tu leur mettais des coups de poing ?
- J'aurais bien aimé, mais on aurait sauté sur l'occasion pour me virer de l'école, et ça aurait tué ta grand-mère.
Un silence s'installe, ou cette fois, je continue de réfléchir à ce nouveau bout de l'histoire de mon père. Il ne parle presque jamais de tout cela, de son pays natal, de la fuite en temps troubles, de la difficulté à s'intégrer. Il est rarement assez sobre et assez sain d'esprit pour ça.
- Tu n'as pas faim ?
- Un peu.
- Pizza trois fromages ?
- Pizza trois fromages...
Ma mère sonne à 17 heures, alors que nous jouons du piano. C'est rare, mais pour une fois, ça me fait un pincement au cœur de repartir. Et pas seulement parce que je vais manger autre chose que de la pizza et que demain, il y a école.
- Benson. Le salue-t-elle froidement.
- Catherine.
- Lise est prête ?
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Le marchand de sable
FantasyDans le monde réel, Lise se sent seule, menacée, écœurée des humains. Sa vie quotidienne, elle la passe en apnée, s'accrochant à son secret pour supporter et survivre. Car Lise est une rêveuse. Chaque nuit, alors que les autres dorment, elle, a la c...