22-Lise

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Je me réveille avec un grand sourire dessiné sur le visage, et m'étire avant de me redresser et d'ouvrir les yeux.

Je bondis en arrière, si l'on peut dire, et me cogne la tête contre la tête de lit.

- Qu'est-ce que vous faites là ?

Ma voix sort bien plus aigus que je ne l'aurais pensé, mais je viens d'avoir la peur de ma vie. Mme Zufingere se tient en face de mon lit, assise sur ma chaise de bureau, et me fixe, pas le moins du monde dérangée d'avoir failli me provoquer un infarctus.

- Je suis arrivée à 9h30 pour vérifier que tu serais prête pour ton rendez-vous. Comme tu dormais, je me suis dit que j'allais attendre encore un peu avant de te réveiller.

Je tourne la tête vers mon réveil. 9h35. Au moins, ça ne fait pas trop longtemps qu'elle est là. Je ne sais pas comment je dois interpréter cette information. Ç'aurait été glauque qu'elle passe une heure à me regarder dormir, mais en même temps, ça aurait été beau de lui faire perdre son temps comme ça.

- Je te laisse t'habiller en vitesse dans la salle de bain, puis je t'escorterai chez le psy. Ce serait bête que tu te perdes en route.

Si seulement je pouvais lui faire ravaler son maudit sourire. Comme elle continue à me fixer sans ciller, j'opte pour l'option la plus facile, me lever et aller m'enfermer dans la salle de bain. Je commence par m'asperger le visage d'eau froide, mais rien à faire, j'ai toujours envie de retourner dans mon lit. Mon reflet dans le miroir est si pâle, un fantôme. Ce que parfois, je voudrais devenir. Un être de l'autre monde.

J'enfile un survêt, et ressors, les cheveux même pas coiffés. Hâte de rencontrer ce psy. Il a intérêt à s'accrocher.

- On y va ? Je demande en sortant de bon pas de la chambre.

Derrière moi, j'entends les talons de la directrice claquer.

- Votre soudain enthousiasme fait plaisir à voir !

Si vous aviez un peu de jugeote, vous auriez peur, mais bon...

Je dois avouer, que même si je me sentais montée à bloc sur le chemin, en arrivant devant la porte du cabinet, je n'en mène plus aussi large. Je peux tenir. Je vais y arriver.

Je ne sais pas d'où me vient cette angoisse soudaine, mais je n'ai pas trop le temps de me poser la question. Mme Zufingere toque à la porte, qui s'ouvre quasiment instantanément. Il n'attendait pas derrière quand même ?

- Mademoiselle Oketch, entrez ! Je suis ravie de pouvoir enfin faire votre connaissance.

Il est jeune, objectivement plutôt beau, un grand sourire qui ne me trompe pas, des cheveux châtains longs. Super, un hippie.

- Asseyez-vous confortablement, je vous en prie.

Dans l'encadrement de la porte, la directrice me fait un petit signe de la main tout joyeux, que je ne sais pas interpréter. Une fois qu'il a refermé la porte, Candicci, quel nom ridicule, vient s'asseoir en face de moi.

- Voilà ce que nous allons faire : d'abord, tu vas essayer de te détendre, pas besoin de te cramponner comme ça aux accoudoirs, ce ne sont pas des sièges éjectables.

Je desserre aussitôt les mains. Je ne m'en étais pas rendu compte.

- Ensuite : est-ce que tu as déjà vu un psy ?

- Toute petite, mais ça ne marchait pas, alors ma mère a arrêté de m'y amener.

Je dis ça spontanément, même si ce souvenir me revient en mémoire à peu près en même temps que je le dis.

- Tu te rappelles pourquoi ?

- Je viens de vous le dire. Ça ne marchait pas.

- Non, pourquoi tu avais besoin d'un psy ? Ce n'est pas si courant chez les jeunes enfants d'aller consulter sans raison.

Je fronce les sourcils. J'ai beau essayer, ça ne me revient pas.

- Ma mère, je suppose. Elle a toujours été persuadée que je suis folle et instable.

- Tu sais ce qui a pu la conduire à penser ça ?

Je hausse les épaules. C'est quoi comme genre de question débile ça ?

- Je ne rentre pas dans le moule étroit qu'est sa vision d'une fille parfaite.

Candicci hoche la tête et note quelque chose sur un calepin que je n'avais pas remarqué. J'ai l'impression d'être un animal étrange à l'étude. 

- Comment ça se passe ici ?

Je hausse les sourcils.

- Vous croyez que si ça allait bien, on m'enverrait ici ?

- Je suppose que non. Est-ce que tu veux me dire ce qui ne va pas ?

Ça y est, je me rappelle pourquoi je déteste les psys. Ce sont les humains les plus hypocrites, les plus gros menteurs que j'ai jamais rencontrés. Et quoi de plus malsain que quelqu'un qui s'intéresse à vous pour gagner de l'argent ?

- Je vois.

Finit-il par dire devant mon silence.

- Et pourquoi es-tu partie de ton ancienne école ?

- J'ai craqué.

Il me regarde avec des points d'interrogations dans les yeux, et le silence est tellement lourd...

- Je me faisais emmerder par les autres élèves.

- Depuis longtemps ?

- Un peu plus d'un an.

- Et avant ça se passait bien ?

- Je suppose.

- Tu te sentais bien en allant à l'école ? Tu avais des amis ?

Pourquoi il est super intrusif comme ça ? Je suis son regard jusqu'à mes mains et réalise que j'agrippe de nouveau les accoudoirs.

- Non.

- Non ?

- Je n'ai jamais eu d'amis.

- Pas même en primaire ? En maternelle ?

J'essaie de répondre, mais une barrière invisible m'en empêche. Les images qui me remontent sont brouillées. Est-ce que j'avais des amis en maternelle ? Je crois que oui. Pourquoi j'ai envie de vomir en y pensant ?

La discussion va trop vite, il fait trop chaud, la tête me tourne. Trop de bruit, trop de couleurs, trop de sensation.

- Tu sais, tu peux me dire ce que tu veux. Je ne répéterai rien, et ne jugerai rien.

- Qu'est-ce que vous voulez que j'en aie à foutre ? Et pourquoi vous en auriez quoi que ce soit à foutre d'ailleurs ?

Je me lève sans vraiment y penser. J'ai juste besoin de bouger, vite. Je sors de la pièce, et me retrouve dans les toilettes de l'étage, sans trop savoir comment. Pour la deuxième fois en moins de deux heures, je m'asperge le visage d'eau froide, et ça n'aide pas réellement plus que la première fois.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

J'imagine les bras de Will autour de moi. Je peux presque le sentir contre moi, et ça va déjà mieux.

Si ce psy ne posait pas des questions aussi idiotes, je ne me sentirais pas si mal, c'est tout. La seule thérapie dont j'ai besoin, c'est la présence de Will, et peut-être arrêter d'être entourée par des requins prêts à s'engouffrer dans la moindre de mes failles.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant