30- Lise

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Je fais mon sac, sans trop savoir quoi mettre dedans. On nous a dit de prendre des vêtements chauds, et rien de trop lourd. C'est tout ? Je rajoute ma trousse de toilette, de toute manière, je n'ai aucun matériel de camping.

Mme Zufingere attend toujours devant ma porte, je ne lui adresse même pas la parole, et elle fait de même.

La plupart des élèves sont déjà rassemblés dans le hall d'entrée quand j'arrive, toujours escortée par cette chère directrice. Je m'adosse à une des larges colonnes de pierre, légèrement à l'écart de la masse. Un prof nous a repéré et se dirige déjà vers nous.

- Mme Zufingere. Salue-t'il la directrice.

Elle répond d'un petit hochement de tête, et l'espace d'un instant, je me sens invisible. Ça fait du bien. Le prof se tourne vers moi et brise mes espoirs. Il me tend un pochon hermétiquement fermé, que je me contente d'observer. Mme Zufingere fait un petit mouvement agacé, et je prends le sac.

- Il y a une lampe torche, un duvet, un matelas, un boîtier de secours, pour vous localiser, et le nom et la composition de l'équipe avec laquelle tu partageras ton chalet.

Le prof s'éloigne rapidement, face à mon silence persistant.

- Un merci, ou même un petit sourire, n'aurait pas été de trop. Me fait remarquer la directrice.

Je hausse les épaules.

- Si vous le dites.

Mme Zufingere se plante devant moi, pour s'assurer que je la regarde.

- Tu vas des efforts, n'est-ce pas ? Tu as déjà fait beaucoup de progrès ces derniers temps. C'est l'occasion de montrer que tu es capable de travailler en équipe.

- Je ne suis pas capable de travailler en équipe.

Nouveau soupir.

- Sois aimable au moins. Et n'oublie pas que les adultes sont là pour vous aider. Si ça ne va pas, tourne-toi vers eux. Ne cherche pas à régler ça par toi-même, comme tu le fais systématiquement. Tu n'es pas seule.

Oui, je commence à être au courant, malheureusement. Cette dernière semaine, j'ai l'impression d'être un fantôme, l'ombre de moi-même. Je ne résiste plus, j'obéis, mais à l'intérieur tout est éteint. Toutes mes alarmes qui sonnent en permanence sont en sourdine. D'ailleurs, tout est en sourdine, ce que je ressens, ce que je renvois. Peut-être que je suis arrivée à un stade d'épuisement qui ne me permet plus de réagir. En tout cas, ça doit être ce que les autres attendaient de moi depuis tout ce temps, parce qu'ils ont enfin l'air satisfaits. Un zombie, docile.

Sur ces dernières paroles, la directrice me laisse enfin et s'éloigne en direction de ses collègues. Dans la foule des élèves, je vois Damien se fendre un passage. Il vient vers moi, bien sûr. Je n'essaie même pas de l'éviter, à la place, je resserre un peu plus les poings, la douleur des plaies maintenant profondes sous mes ongles détourne suffisamment mon attention de la réalité.

- Salut !

Je lui fais un sourire qui signifie clairement « je n'ai pas envie de parler, ta présence m'indispose », mais ça ne paraît pas le déranger.

- C'est cool que tu viennes finalement !

Je vais lui faire ravaler son faux enthousiasme, pour qu'il s'étouffe avec, s'il continue à prendre cette intonation insupportable.

- Je n'ai pas eu le choix.

- Ah.

Au moins, il parait sincèrement déstabilisé.

Le marchand de sableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant