L'Alignement des Temps

Chapitre 32

 — Comment te sens-tu Matilde ?, demande Anton à sa fille.

Le silence est pesant. Étant monté dans la voiture de son père, Matilde est toute seule avec lui.

— Ça va. C'est juste un peu étrange de savoir qu'on est dans le futur... C'est vraiment..., ajoute Matilde en cherchant ses mots.

— Incroyable ?, continue son père.

Est-ce le bon mot ?

— Révélateur plutôt... J'ai disparu pendant 3 ans, à mon retour, je me rends compte que ça n'a rien changé au monde, ajoute la jeune femme. Il n'est ni meilleur, ni pire, ni moins laid... Je sais que sur une planète qui abrite des milliards de personnes, la disparition d'une seule ne compte pas, mais c'est tout autre chose d'apprendre qu'on ne compte pas du tout.

Anton n'a jamais entendu sa fille se plonger dans une réflexion aussi profonde. C'est une grande première qui lui fait chaud au cœur.

— Eh bien... ce truc te fait réfléchir dis donc..., dit Anton, un peu amusé.

Son père dit quelque chose, mais le ton de sa voix lui en dit une autre.

— Tu parles comme si je n'avais pas l'habitude !, rétorque la jeune femme un peu fâchée.

— Je ne dis pas ça, c'est juste que jamais, je pensais que je t'entendrais parler comme un vétéran de l'armée, confie le père.

Matilde est interpellée. Que veut dire son père par là ?

— Tu sais, nous les militaires, on nous dit souvent que c'est notre devoir de défendre notre patrie, quitte à mourir pour elle, mais la vérité, c'est que nous ne sommes que des pions sur un échiquier politique qui n'a rien à voir avec le bien de la patrie, confie Anton. Nous servons, nous tuons, nous mourrons, et tout ça, pour des jeux de pouvoirs qui ne servent que les petites personnes du gouvernement. Tu as raison, poursuit-il. Nous ne comptons pas. Nos vies n'ont absolument aucune utilité pour personne. Nous pouvons disparaître du jour au lendemain, la terre n'arrêtera pas de tourner, ni le vent de souffler, confie l'homme encore.

La jeune femme est à la fois surprise et émue.

Elle constate que toutes ses années, il y a une part de son père qu'elle n'avait jamais vu, ni comprise. La solitude qui accompagne les propos de son père est si intense et énorme que Matilde s'y perd, rien qu'en essayant de la contenir.

C'est le cœur brisé qu'elle lève les yeux vers son père qui, soudain, lui parait moins sérieux, moins puissant, moins imposant, mais surtout beaucoup plus humain. C'est quelque chose de le voir sans sa carapace pour une fois.

— Je suis désolée que tu aies vécu ça papa, dit-elle sincèrement.

— Il ne faut pas chérie. Je t'assure, dit l'homme en tournant la tête vers sa fille. Tu sais, cette expérience a été bouleversante, mais grâce à elle, j'ai réussi à trouver ma voie, dit-il en posant à nouveau les yeux sur la route.

— Comment tu as fait ?, demande Matilde toute curieuse.

— C'est simple, commence son père. J'ai trouvé l'amour, un foyer, des gens qui donnent de la valeur à ma vie, et qui la rend plus belle, dit l'homme en souriant derrière son volant.

L'homme sourit de bon cœur.

À travers le pare-brise, la lumière du jour s'harmonise avec lui.

— En gros, si tu veux trouver un sens à ta vie, il te faudra trouver quelque chose à aimer, quelque chose à suivre, et quelque chose à défendre envers et contre tous. Une fois que tu auras trouvé tout ça, tu auras toutes les cartes en main pour décider du sens de ta vie, ou pas, ajoute l'homme plein de sagesse.