Chapitre 5

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 Un silence cruel s'impose à Madani. Face à sa conscience, elle n'a nulle part où fuir l'injustice de ses mots, ainsi que de ses actes.

À la vérité, sa grande sœur s'est toujours soucié d'elle, mais ce faisant, elle a dû se perdre, et le retour de flamme n'en a fait qu'une bouchée d'elle, la laissant telle qu'elle est à présent.

C'est un coup brutal de réaliser que la personne qui nous protège du feu n'a personne pour éteindre les flammes qui rongent son dos. C'est une bien morne solitude que de porter des cicatrices que personne ne saurait voir. C'est une histoire tristement douloureuse que seule Nephtalie peut comprendre, et savoir, sans jamais la partager.

Mais qui sait, aujourd'hui est peut-être le jour où le fort peut se reposer sur le faible.

Madani serait une bien piètre sœur si elle n'essayait pas encore une fois, sans lui forcer la main, mais en l'invitant à la lui confier, quand cette dernière deviendrait trop lourde.

Si elle s'y prend de cette manière qui sait ce qui se passera ?

Elle n'en saura rien si elle n'ouvre pas cette porte. C'est donc la première chose qu'elle fait une fois revenue dans l'instant présent.

Étrangement, elle ne trouva pas sa sœur face à ses moniteurs, mais face à la porte. Comme elle, elle s'apprêtait à ouvrir la porte pour aller, on ne sait où.

— Tu es là ?, demande Nephtalie, les yeux tout ébahit.

— Oui... Où veux-tu que je sois..., ajoute-t-elle avant d'être soudainement interrompu par un geste simple.

C'était quand la dernière fois qu'elle l'avait prise dans ses bras ? C'était il y a 5 ans, la veille de leur départ pour Karachi. Ce soir-là, Nephtalie était en panique, elle tremblait comme une feuille, et avait les yeux ailleurs.

— Nephtalie ? Ça va ?, demandait Madani en voyant le visage terrorisé de sa grande sœur.

Pour toute réponse, Madani n'a eu droit qu'au plus grand câlin de sa vie. Il était autant chaleureux que désespérer. Et comme celui d'aujourd'hui, il était tout tremblant.

— Nephtalie... ?

— Je te demande pardon, articule-t-elle difficilement.

Dans sa voix, Madani entend les échos de sa peine, ainsi que de son fardeau. Comme ce fameux jour en Angleterre, quelque chose l'écrase. Connaîtra-t-elle enfin ce mal qui ronge sa sœur ? Mais a-t-elle besoin de le connaître ?

— Nephtalie..., commence-t-elle en la prenant, elle aussi, dans ses bras. Ça va aller, poursuit-elle, fermant son étreinte autour de sa grande sœur, comme elle l'avait fait 5 ans auparavant.

Comme la première fois, ce geste suffit à calmer instantanément le trouble de Nephtalie. Aussi, ses forces l'abandonnent, faisant d'elle un poids mort entre les mains de Madani.

Surprise par le poids lâché sur elle, Madani perd l'équilibre, et les deux s'écroulent par terre.

La scène est aussi incompréhensible qu'unique.

— Attend... ne me dit pas que tu as faim au point d'en tomber, si ?, demande Madani.

— Je ne suis pas descendue de l'étage. T'attendais-tu à ce que je bouffe les draps peut-être ?, réponds Nephtalie en s'asseyant sur le plancher.

Un doux silence prit place entre les deux jumelles, puis s'ensuivit un fou rire totalement hors de contrôle de Madani. Ça faisait une éternité qu'elle n'a pas ri de la sorte.

— Quoi ? J'ai dit quelque chose de drôle ?

— Non... pas du tout..., répond sa sœur en poursuivant son fou rire.

— Ben arrête de rire dans ce cas..., commence Nephtalie un peu gênée.

— 2 secondes..., répond-elle, toujours perdue dans son fou rire.

Cet épisode s'étira sur de longues secondes. Après ça, les jeunes femmes, se lèvent pour aller faire à manger, enfin, surtout Madani. Une demie-heure plus tard, tout était prêt.

— Comment ça se fait que tu saches aussi bien cuisiner ?, commente Nephtalie en s'empiffrant.

Madani n'en croit pas ses oreilles.

— Tu trouves que ma cuisine est bonne ?

Elle connaît son don pour la cuisine, mais pas une fois sa sœur lui avait fait la remarque. C'est une vraie première.

— Oui ! Meilleure que la mienne surtout.

Elle a quoi aujourd'hui ?, se demande Madani en riant aux propos de sa sœur.

— Arrête de te moquer de moi, tu veux !, dit Nephtalie toute enjouée.

À cet instant, le temps de quelques secondes, Madani redécouvre sa sœur. C'est comme si elle venait de remonter le temps, et retrouvait celle qu'elle avait perdue 5 ans plus tôt.

Ainsi, Madani comprend donc que sa petite introspection était juste. Sa sœur n'a pas disparue. Elle est juste trop abîmée par ses responsabilités ou sa culpabilité pour se montrer au grand jour sans sa carapace amère. Au fond, elle reste la même qui a toujours veillé sur elle.

C'est rassurant de le savoir.

Ce constat l'a fait sourire.

— J'ai encore dit quelque chose de drôle ?, demande Nephtalie un peu perdue dans l'instant.

À ces mots, Madani saisit l'opportunité pour lui tendre ce rameau d'olivier qu'elle voulait lui donner depuis tant d'années.

Il était temps.

— Je ne sais pas ce qu'il s'est passé il y a 5 ans, commence Madani. Si tu le gardes secret, c'est qu'il doit y avoir une raison. Je ne chercherais plus à savoir, pas parce que ça ne m'intéresse pas, mais parce que je te fais confiance, grande sœur. J'attendrais donc que tu te sentes assez forte pour me le raconter, confie Madani en la regardant droit dans les yeux. Je t'aime grande sœur, conclut-elle en prenant la main de Nephtalie dans la sienne.

Ce geste, aussi simple qu'il est, contient tout l'amour du monde dans la paume d'une main. C'est un geste qui va jusqu'au cœur de Nephtalie, et réchauffe tout son être.

Pour répondre, elle n'a pas besoin de prendre la parole. Son regard seulement suffit. D'ailleurs, elle n'a jamais été douée avec les mots. Madani le sait mieux que quiconque.

Dans le silence, les âmes jumelles s'abandonnent à une étreinte des plus belles, une histoire que seul le regard peut raconter.

Voilà qui conclut l'affaire.

— C'était quoi la chose que tu voulais me dire l'autre jour ?, demande Madani un peu curieuse.

— Tu ne démissionnes plus ?

— Tu crois vraiment que tu pourras trouver le miracle de Vicente toute seule ? Tu rêves !, répond-elle toute joyeuse.

— Justement... je crois que je l'ai trouvé..., déclare Nephtalie un peu embarrassée.

À ces mots, le rire violent de Madani éclate dans la salle à manger, déchirant une nouvelle fois le silence dans la maison, ainsi que dans le quartier tout entier.

— Non, mais tu t'es fait quoi ce matin ? Tu es sûre que tu vas bien ? Tu peux pas être sérieuse là !

L'instant d'après, elle lève les yeux vers sa grande sœur, et se confronte à son air sérieux et sincère. C'est alors qu'elle se rappelle que sa grande sœur n'est pas douée pour raconter des blagues.

— Tu as vraiment quelque chose ?, demande Madani toute sérieuse.

D'un geste de la tête, elle lui confirme que c'est exacte.

Dès lors, un grand silence prend place au milieu d'eux, comme le brouillard enveloppe une montagne, ne laissant plus de place pour le doute, ni même le questionnement. Nephtalie l'a vraiment fait, comprend-elle, les yeux tout ébahis.

— Oh putain..., laisse-t-elle échapper à haute et intelligible voix.  

L'Alignement des TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant