Chapitre 35

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C'est un jour de pluie. Elle est douce, légère malgré son imposante présence. Dehors, elle inonde tout avec grâce. Qu'il s'agisse des voitures toujours neuves du milliardaire ou des jardins de sa propriété, rien n'échappe à la caresse de matière cristalline. Le cliquetis de la pluie a quelque chose d'apaisant, de rafraîchissant même. Mais pour Vicente qui est à l'intérieur, il n'entend rien de la pluie, ni même du tonnerre qui gronde.

En effet, à l'intérieur du manoir, et surtout dans la chambre du maître des lieux, il règne un silence de plomb.

Vicente Damnatio est non seulement en deuil, mais plus que ça, il se sent coupable. De quoi ? De son retard. Rater la mort d'une personne qui lui a dédié sa vie est une honte pour lui.

De son point de vue, Esperanza est morte comme une employée, et non comme le membre de sa famille qu'elle était. Elle a sûrement eu des obsèques dignes de sa stature grâce à son fils Alonzo, mais s'il était là, la vieille femme serait partie avec noblesse.

Cette pensée obnubile le pauvre homme qui n'a su dire le moindre mot depuis son retour.

On l'a amené à sa chambre par défaut, aussi, on l'a mis au lit pour la même raison, mais l'homme reste las.

— Si tout est bon, je vous laisse, monsieur Damnatio, lui dit le fils de feu sa gouvernante.

Cet homme que Vicente a vu grandir, et qui est aujourd'hui plus âgé que lui, est devenu un homme plus que respectable. Formé par sa mère, il n'en saurait être autrement. Alonzo a bien mûri par rapport au délinquant qu'il était. Même si, en toute honnêteté, Vicente ne pense pas que le ton formel qu'il emploie lui convienne vraiment.

Ce « monsieur Damnatio » sonne un peu faux à son oreille.

Mais ce n'est pas la seule chose qui le gêne. Il commence à prendre conscience de tous les changements qu'il a manqué sur cette Terre. C'est un peu tard après avoir appris la mort d'Esperanza sur un écran si fin qu'on y voit à travers lorsqu'il est éteint. Après son trajet en voiture autonome, avec un soit disant chauffeur qui n'a pas regardé une seule fois la route. Et même après que sa maison elle même lui ai parlé comme si elle était vivante.

Peut-être refusait-il d'y croire jusque là. Le fait est que, maintenant, tout lui tombe dessus en même temps et il ne peut pas cacher sa frustration d'avoir tout raté.

— Une dernière chose, monsieur Damnatio, recommence Alonzo. À votre...

— Arrête de m'appeler monsieur Alonzo, interrompt Vicente.

Ce n'est pas sa faute. Il faut le comprendre, ce qu'il vit est invraisemblable. Il s'est passé tellement de chose dans le monde alors que pour lui, seule une porte s'est fermée et ouverte une douzaine de fois. À chaque fois, Pierre apparaissait avec quelques rides de plus, pour leur dire que ce n'était pas encore l'heure, et ils repartaient. Ils n'avaient même pas le temps de parler entre eux, tout allait si vite. Et au bout de plusieurs minutes, voilà qu'ils apprennent la mort d'Esperanza.. Ils sortent de la machine et tout est différent. Que ce soit le monde où les gens qu'ils pensaient connaître.

Le milliardaire ne le voit pas, mais son ami lui sourit.

— Vous m'en voyez navré de vous titiller de la sorte, mais si cette appellation peut aider vous remettre sur pied, je serais plus que ravi de continuer, monsieur, dit Alonzo en continuant son petit jeu.

Vicente est agacé.

— Tu veux mourir Alonzo ?

— Ma foi non monsieur.

— Alors arrête. C'est un ordre !, ordonne Vicente d'une voix sévère.

Un silence impétueux prend place dans la chambre du milliardaire. Un ordre a été donné. Cependant, la réaction qu'elle entraîne sort l'employé de son rôle.

L'Alignement des TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant