ERALDIOR - Volume 1 - L'Héritière d'Emeraude

Chapitre 6 : Tempête (II)

Immobile à côté de l'hétalane inconsciente, Rolph Bolin l'observait d'un œil noir.

- Bien joué, Tyëld'Alf. Comment on va la ramener, maintenant ?

Eff'il baissa la tête. Une boule de colère enflait dans sa gorge.

- Vous m'avez dit de tirer.

- J'avais dit de vérifier le dosage des drogues avant de partir, aussi !

Le jeune elfe lui prêtait à peine attention. Il n'avait d'yeux que pour la silhouette noire allongée dans l'herbe boueuse, ses flancs se soulevant doucement sous ses grandes ailes trempées. Après une demi-douzaine de traits, elle s'était finalement effondrée, comme si son corps avait décidé d'un seul coup qu'il était trop épuisé pour continuer la lutte.

Eff'il serra les mâchoires. L'amertume n'était pas un mot suffisant pour décrire l'ampleur des regrets qu'il éprouvait en cet instant, à voir une créature aussi majestueuse à la merci d'un rapace comme Bolin...

- Il m'aidera à la porter, déclara Evengelyn. Ça prendra le temps qu'il faudra, mais on la ramènera.

L'étincelle de triomphe dans ses yeux n'échappa pas à Eff'il. Elle jubilait. À présent qu'elle avait obtenu sa revanche sur la sauvage, elle ne reculerait devant rien pour la conduire au ranch et s'assurer qu'elle y resterait captive.

Ravalant les répliques cinglantes qui flottaient sur le bout de ses lèvres, le jeune palefrenier rangea ses affaires dans les sacoches de sa selle et se prépara au voyage du retour. Les mains d'Evengelyn scintillaient déjà, baignées de l'éclat vif argent de son pouvoir. Il alluma sa magie à son tour. La faible lueur blanche de ses paumes était à peine discernable dans la tempête.

- C'est tout ? se moqua l'elfe aux cheveux de jais. Tu ne comptes pas me laisser m'épuiser toute seule jusqu'à Gwanaen, j'espère ? Il va falloir faire mieux que ça !

Le cœur d'Eff'il se serra. Combien de fois avait-il entendu des réflexions semblables...

- Je fais de mon mieux, alors ferme-la, siffla-t-il.

Il était de retour à l'Académie, allongé sur le praticable noirci par les tirs d'énergie. Ses camarades riaient, du feu multicolore au bout des doigts... Et lui... Il regarda ses mains. Pourquoi cette petite lumière dans sa main refusait-elle de briller plus fort ? Qu'est-ce qui clochait, chez lui ?

Un visage aux traits bienveillants remplaça dans sa mémoire ceux de ses bourreaux. Wylann. Ses yeux gris-bleu de la même couleur que les siens pétillaient.

« Ce n'est pas le plus important, petit frère. Ce qui compte, c'est ce que tu as, là. »

Eff'il posa une main sur son cœur, comme si cela pouvait l'aider à se sentir plus proche de lui. Dans la pluie et le froid, il s'était rarement senti aussi seul, depuis son départ.

« Tu me manques, Wyl. »

- Eh bien, qu'est-ce que tu attends ? Cette bête ne va pas se soulever toute seule ! le tança Eve.

Avec un grognement, il tendit les paumes en avant. Sous leurs efforts conjugués, l'hétalane s'éleva lentement dans les airs, ses ailes pendant dans le vide comme les voiles dépliées d'un navire à la dérive.

Ils ne firent une pause qu'au bout de deux heures de marche. La jument noire était toujours inconsciente. Alors qu'Eve buvait à longs traits l'eau du ruisseau auprès duquel ils s'étaient arrêtés et que Bolin se désaltérait d'une bonne rasade de vin, Eff'il resta assis dans l'herbe à côté d'elle, surveillant sa respiration. Il ne pouvait rien faire pour éliminer la forte dose de poison qui courrait dans ses veines... Mais la culpabilité qui le tiraillait lui interdisait de la laisser seule. D'une main hésitante, il caressa sa robe trempée de la couleur de l'ébène.