ERALDIOR - Volume 1 - L'Héritière d'Emeraude

Chapitre 16 : Nervos (I)

L'aube était à peine levée lorsque Lou réveilla Selena pour l'entraîner. Après ses rêves étranges de la nuit et la conversation qu'elle avait surprise, la jeune fille avait l'esprit ailleurs. Elle parvint à peine à arrêter les attaques de Lou, et quand celle-ci voulut lui apprendre à tirer des projectiles d'énergie, sa tentative se solda par un fiasco. Les membres endoloris et d'une humeur maussade, Selena resta silencieuse durant les préparatifs du départ. Les fugitifs prirent leur envol dans le brouillard.

Le ciel était chargé de gros nuages ; leurs vêtements ne tardèrent pas à être trempés. Rox prit la tête du groupe pour les guider sur Selfyra. Elle avait passé une partie de son enfance dans l'ouest de Lightawln, et elle connaissait assez bien les alentours de Nervos. Ils progressèrent vers le nord toute la journée. Par trois fois, ils aperçurent des convois d'Héranits, mais les soldats marchaient vers le sud, sans doute pour récolter l'impôt dans les villages voisins. À chaque heure qui passait, le découragement enfonçait un peu plus ses griffes dans le cœur de Selena. Pourtant, elle se força à garder la tête haute. Si elle renonçait à espérer, Whyn serait perdu pour de bon.

En début de soirée, la pluie tombait si dru qu'ils furent contraints de s'arrêter dans une grange abandonnée en bordure d'un hameau. Les flammes de Roxanne furent les bienvenues, ce soir-là. Par prudence, les fugitifs instaurèrent des tours de garde jusqu'au matin. La bâtisse était inoccupée depuis longtemps, à en juger par les souris qui y avaient élu domicile et le lierre qui tapissait l'intérieur, mais il valait mieux parer à toute éventualité.

Alors que leurs compagnons se reposaient, Eff'il et Roxanne veillaient au coin du feu, attentifs aux moindres ombres qui dansaient sur les murs. Le déluge au-dehors tambourinait sur le toit. À l'odeur de la fumée se mêlait un parfum prégnant d'hétalan mouillé.

Des gouttes tombaient en continu par les trous du plafond ; Eff'il se rapprocha du feu pour éviter d'être trempé. Frottant ses yeux ensommeillés, il réprima un bâillement. Il avait encore un moment à tenir, il ne devait pas s'assoupir de sitôt... Roxanne devait penser la même chose, car elle lui sourit d'un air compatissant.

- Il y a des jours où je regrette que la nuit soit si longue, dit-elle.

- Si elle était plus courte, on dormirait moins longtemps, observa Eff'il.

- Mais les tours de garde seraient moins longs.

- Ce n'est pas la nuit qu'il faudrait raccourcir, mais les Héranits qu'il faudrait supprimer. Non seulement on dormirait plus longtemps, mais on dormirait sur nos deux oreilles.

Le sourire de Rox s'élargit. Ses cheveux humides frisottaient sur ses tempes. Dans la lumière tamisée du foyer, ils formaient une auréole flamboyante autour de ses épaules.

- Malheureusement, on a autant de chances de les voir disparaître prochainement que de raccourcir la nuit.

- Dommage, grimaça Eff'il.

- Je ne te le fais pas dire, soupira Rox. Ce serait plus facile d'aller à Nervos, sans eux.

- Tu as déjà visité Nervos ? demanda le jeune elfe, curieux. Tu as dit que tu avais vécu près d'ici...

Rox hocha la tête en signe d'approbation. Le reflet des flammes dans ses iris leur donnait la couleur des braises.

- J'y ai passé deux ans, quand j'étais petite. Ma nourrice m'y a cachée après que ma mère...

Elle ne finit pas sa phrase. Ses yeux évitèrent les siens. Eff'il se maudit pour sa négligence.

– Pardon. J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas.