ERALDIOR - Volume 1 - L'Héritière d'Emeraude

Chapitre 13 : Dâat (II)

À travers l'eau croupie et les rues baignant dans la fange, ils coururent. Selena ne sentait plus l'odeur d'urine et de pourriture, les éclaboussures sur son visage, ni le souffle froid de la nuit sur son cou. Ses muscles la brûlaient, et elle courait à travers le dédale sans fin des ruelles. Tout son être était concentré sur cette seule pensée. Ne pas tomber. Ne pas ralentir. Courir, et survivre.

Bientôt, le tonnerre des bottes de guerre résonna derrière eux comme la rumeur d'une foule en colère. Les soldats n'avaient pas perdu de temps. Leurs voix gutturales se rapprochaient de plus en plus.

- Arrêtez-vous !

- Plus vite, siffla Whyn.

Selena haletait déjà. Les foulées de l'elfe étaient plus grandes que les siennes ; elle devait lutter pour ne pas se laisser distancer. Le carquois de Gwendalyn et l'autre qu'elle avait acheté rebondissaient dans son dos à chaque foulée ; Emerveille battait contre sa hanche. Le sac de vêtements n'arrangeait rien. À défaut d'être lourd, il était suffisamment encombrant pour la ralentir.

- Laissez ça ! grommela Whyn.

- Vous êtes fou ?

Sans un mot, il lui arracha le sac et le lança de toutes ses forces en arrière. Selena lui jeta un regard outré.

- Vous préférez qu'ils vous attrapent ? fit le prince d'un ton sec.

Elle ne répondit pas. Mieux valait économiser son souffle. Elle respirait si fort que la tête commençait à lui tourner. Les monstres étaient toujours à leurs trousses. Elle dérapa sur les pavés et s'engouffra dans l'escalier étroit qui donnait sur la rue suivante. Arrivé à une intersection, Whyn la tira brutalement vers la gauche. Elle faillit lui tomber dessus ; il la rattrapa in extremis.

- Ma parole, tâchez de rester debout, grogna l'elfe.

- Et vous, cessez de me déboîter l'épaule !

Sa réplique cinglante ressemblait davantage à un couinement terrifié.

- Chut !

À l'angle de la rue, il l'attira sous un porche et plaqua sa main sur sa bouche. Un instant plus tard, des Héranits dépassèrent leur cachette en courant. Selena n'osait plus respirer. Ses poumons criaient grâce, mais au moindre bruit, tout était fini. Ils allaient les trouver, ils allaient forcément les repérer...

Serrés dans l'ombre l'un contre l'autre, ils attendirent. D'autres soldats arrivèrent. Malgré leur proximité, leurs cris résonnaient à ses oreilles comme s'ils venaient de très loin. Dans sa tête, elle priait, mais les mots familiers n'avaient plus aucun sens. Le visage de Whyn était si près du sien que son souffle caressait sa joue.

- Là-bas ! Ils ont dû tourner dans cette rue !

Les bottes s'éloignèrent sur les pavés. Tout doucement, Whyn ôta la main de sa bouche. Il scruta les environs, sur ses gardes. Sur le point de défaillir, Selena reprit enfin son souffle. Ses jambes étaient si faibles qu'elle dut s'appuyer contre le mur pour ne pas tomber. Elle n'arrivait pas à croire à leur chance. Le prince reporta son attention sur elle. Prenant conscience de leur proximité inhabituelle, il s'écarta aussitôt. Gênée, elle détourna les yeux.

- Je crois qu'ils sont partis, dit Whyn. C'était moins une.

Elle hocha la tête d'un air las, respirant profondément pour apaiser les battements erratiques de son cœur.

- Par tous les Dieux, que faisiez-vous toute seule sur ce marché ?

Elle sursauta. L'elfe la fixait d'un air sévère, les bras croisés sur son torse. Voilà qui lui ressemblait davantage.