Chapitre 17 : La Cour de l'Ombre (II)

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La cloche du beffroi sonna cinq coups. Dans les rues de Nervos, deux jeunes filles habillées en soldats marchaient à vive allure vers le quartier portuaire, manquant de bousculer les passants dans leur hâte.

Près du port, le décor changeait du tout au tout. Les habitations et les rues marchandes sillonnées de canaux arborés s'effaçaient pour laisser place à de longs bâtiments aux charpentes massives. Sûrement des entrepôts ou des ateliers de réparation des navires. Des feux de bois laissaient échapper des colonnes de fumée sombre dont l'odeur âcre couvrait celle de la vase. Sans ralentir le rythme, Flo et Lou rasaient les murs en direction des quais, observant d'un œil effaré l'activité débordante de l'arsenal.

Sans leurs hétalans, l'une et l'autre se sentaient vulnérables ; mais avec leur taille imposante et leur corne, Elythie et Pléiade étaient trop reconnaissables. Les Gardiennes avaient pensé qu'elles n'en auraient pas pour longtemps à faire la route à pied. Elles s'étaient fourvoyées. L'esplanade en bas du château dominait l'arsenal de plusieurs mètres de hauteur, sans y offrir un accès direct. Elles avaient dû redescendre en ville et emprunter tout un dédale de petites rues avant d'arriver à destination.

Une forte odeur de teinture et d'eau croupie imprégnait l'air. Là où les bâtiments se clairsemaient, des canaux étroits acheminaient l'eau vers une succession de bassins fumants, où des pans de toile étaient laissés à tremper. Des hommes et des femmes retiraient des laizes dégoulinantes d'eau rougeâtre pour les remplacer par d'autres, encore blanches. Sous des halles à moitié ouvertes, des travailleurs enduisaient des cordages d'un goudron noir à l'odeur de résine de pin.

– Ces fichus quais ne doivent plus être loin, marmonna Flo.

À côté d'elle, la respiration de Lou se faisait un peu sifflante.

– J'espère.

En courant, elles dépassèrent des grues en bois gigantesques, capables de tracter des carcasses entières de navires. Des charrettes lourdement chargées les dépassaient à toute allure, transportant des sacs et des caisses de marchandises dans un remue-ménage incessant.

Enfin, les quais furent en vue. Un frisson d'excitation parcourut Flora. Les choses sérieuses commençaient. Les laestravels mouillaient derrière une vaste jetée de pierre, qui séparait le port de commerce et ses voiliers ordinaires de l'armada de guerre.

Le regard de Flora s'égara un instant à travers la forêt de mâts et de voiles. Elles lui rappelaient un autre port, un autre temps. Les trois-mâts sur la jetée d'Argen, l'odeur du poisson frais, les femmes aux jupes ourlées de perles et aux tatouages bleutés, et le sourire malicieux de Nidja, quand elle s'apprêtait à faire les poches d'un vendeur ambulant... Un frisson l'arracha à ses souvenirs. Le vent qui soufflait sur ses joues lui semblait soudain étrangement froid.

« Flo, concentre-toi, » se morigéna-t-elle.

L'un des laestravels venait de rentrer à quai. Ses voiles latérales, semblables à d'immenses ailes entoilées, étaient encore déployées. Des soldats supervisaient le débarquement de sa cargaison, vociférant à qui mieux mieux sur les malheureux qui déchargeaient la marchandise. Redressant les épaules, les deux Gardiennes s'approchèrent d'une démarche assurée. Lou disait toujours que l'attitude était la clé de tous les succès ; et pour l'avoir vue faire, Flo la croyait sur parole.

Tandis que Lou faisait mine de surveiller un homme qui transportait des sacs de céréales et haussait la voix pour la forme, Flo s'attacha à observer les environs dans les moindres détails. Si les quais principaux étaient larges et dallés de pierre, les passerelles permettant d'accéder aux navires étaient quant à elles beaucoup plus étroites, et en bois. Il leur faudrait faire attention au moment d'embarquer. Toute chute pourrait avoir des conséquences fatales. Lou se rapprocha de Flo ; elle détaillait les cordages qui pendaient le long des mâts.

ERALDIOR - Volume 1 - L'Héritière d'EmeraudeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant