Les Serres d'Argent

Repos forcé

Alkaryon grimaça et étala le cataplasme sur la blessure de Tempête en prenant garde à ne pas poser directement sa patte sur son aile. Celle-ci se crispa et lui lança un regard furieux.

- Je n'ai pas besoin de tes stupides plantes, grogna-t-elle.

Alkaryon ricana.

- Oh, vraiment ? Tu me rediras ça lorsque ta plaie se sera infectée et que tu souffriras le martyre.

La dragonne du Feu secoua la tête et cracha une flammèche.

- Tu es drôle, toi. Moi, souffrir le martyre ? Pfff. Ridicule. Et même si c'était le cas, je préfèrerais mourir que de m'en plaindre ou de me faire soigner. Je suis une guerrière du Feu. Nous, grands guerriers, ne nous plaignons jamais et n'avons pas besoin d'aide non plus.

- Une guerrière, toi ? Mais tu n'es encore qu'une jeune dragonne. Tout comme moi ! s'empressa-t-il d'ajouter devant le regard furieux qu'elle lui lança. Tu sais très bien te battre, mais... tu n'es pas une guerrière du Feu.

- Pour l'instant, répliqua Tempête, agacée. Tu regretteras d'avoir dit ça lorsque j'en serai une. Je me ferai un plaisir de t'écarteler et d'enfoncer mon épée dans ton misérable ventre de rat.

Le jeune dragon des Dunes grimaça et la regarda d'un air faussement peiné.

- Tu me ferais ça, à moi, ton meilleur ami ? Tu me déçois grandement, Tempête. Je croyais que tu m'appréciais.

- Vous avez fini vous deux ? demanda Onde en s'approchant.

Tempête enfonça ses griffes dans le sol et agita les ailes, manquant d'embraser Alkaryon au passage.

- Eh ! cria-t-il en évitant le coup de justesse. Mais tu es complètement malade ! Tu as failli me brûler vif !

- Petite nature, renifla-t-elle.

Le jeune dragon la foudroya du regard.

- Petite nature toi-même.

- Wouah, quelle répartie ! ricana Tempête.

Comme Onde hochait la tête en riant, Alkaryon lui flanqua un coup de queue et la dragonne poussa un cri.

- Arrêtez de vous battre comme des chiffonniers et venez m'aider à m'occuper de ce dragonnet, appela Roche. Il me pose des questions vraiment, vraiment étranges, et je ne veux pas y répondre. Ma santé mentale en dépend.

Le jeune dragonnet aux écailles blanches s'approcha d'eux en trottinant, un sourire radieux aux lèvres, et demanda :

- Est-ce que nous sommes réels ? Je veux dire, comment pouvons-nous savoir que ce que nous vivons en cet instant existe vraiment ? Si ça se trouve, nous ne sommes que des escargots rêvant que nous sommes des dragons.

Les trois amis s'entreregardèrent.

- Eh bien, dit Alkaryon. Si ce n'était qu'un rêve, tu ne t'en rendrais pas compte. Personne ne peut savoir qu'il rêve.

- Mais comment savoir que nous ne sommes pas de simples escargots en train de rêver de cela, et ayant donc par ailleurs aussi inventé que nous ne pouvons savoir que nous rêvons ?

- Les escargots sont trop peu intelligents pour produire de tels rêves lorsqu'ils dorment, répondit Onde. S'ils dorment, d'ailleurs. Est-ce qu'un escargot peut dormir ?

Étoile de Neige lui lança un regard navré.

- Certes, mais peut-être as-tu également inventé cela dans ton rêve. La vie a-t-elle un sens ? La vie existe-t-elle seulement ? Qu'est-ce que la vie ? Qu'est-ce que le temps ? Rien n'existe, et pourtant, nous sommes là à parler.

- Très bien... dit Tempête. Ce dragonnet est visiblement perturbé. Et voilà pourquoi nous allons le laisser rentrer à l'école, bien gentiment.

Alkaryon hocha mécaniquement la tête avant de comprendre ce que venait de dire la dragonne du Feu.

- Quoi ? Non, pas question ! Il vient avec nous.

- Il est inutile et encombrant. S'il vient, il ne fera que nous gêner, objecta-t-elle.

- Mais regarde-le, il est si petit, il ne peut pas rentrer tout seul. Je suis pour qu'il vienne avec nous aussi, dit Onde.

Tempête se tourna vers Roche.

- Et toi, tu ne dis rien ? Demanda-t-elle.

Le dragon des Montagnes secoua la tête.

- Non, je sais que peu importe ce que je choisirai, l'une de vous deux m'en voudra et se vengera, or, vous êtes toutes deux effrayantes et dangereuses à mes yeux. Je vais donc m'abstenir de parler, craignant quelques vengeances ou représailles.

Tempête ricana et Onde soupira.

- Il ne peut pas rentrer tout seul, répéta-t-elle à l'attention de Tempête.

- S'il vient, nous ne serons plus quatre, mais cinq.

Alkaryon grimaça.

- Tu marques un point.

Le jeune dragonnet aux écailles blanches s'avança et dit d'une voix tremblante :

- Si vous me laissez venir avec vous, je vous promets de me rendre utile de mon mieux et de ne vous gêner en rien.

Tempête le considéra avec attention.

- Tu es un jeune dragon écervelé. Ne sais-tu donc pas que nous volons vers le palais de la Reine Foudroyante, aussi appelée Reine de la Mort ? On dit qu'elle peut transformer les dragons en pierre d'un seul regard, et qu'elle se nourrit des os de ses victimes.

Étoile de Neige inspira profondément et répondit :

- Certes, mais je tiens à vous aider dans votre mission, aussi périlleuse soit-elle.

La dragonne du Feu renifla.

- Non. Tu ne viens pas. Allons-nous-en, nous avons assez trainé ici.

Elle déploya ses ailes, mais au moment où elle s'envolait, elle poussa un cri de douleur et retomba sur le sol.

Inquiet, Alkaryon se précipita à ses côtés tandis qu'Onde éloignait Étoile de Neige.

- Tempête ? Qui a-t-il ?

- C'est ma fichue aile de tous les orages, grogna-t-elle. Elle me fait bien trop mal. Je ne peux pas voler. Cette oragerie d'ours m'a griffé jusqu'à l'os !

- Tu vois que mes stupides plantes vont être utiles, ironisa Alkaryon en la gratifiant d'un sourire triomphant. Je retourne te faire des cataplasmes.

- Non ! gémit-elle. Pas tes cataplasmes dégoutants et dégoulinants de salives. Je peux voler ! Je ne suis pas une faible, allons-y !

Elle essaya de nouveau de s'envoler, mais obtint le même résultat. Après un soupir, elle marmonna :

- Je suppose qu'une nuit de repos me fera du bien...

Alkaryon sourit de toutes ses dents et lui étala un nouveau cataplasme sur l'aile.

- Beurk ! cria Tempête. C'est dégouttant. Cette vision de purée verte va hanter mes pires cauchemars.

- Je croyais que tu n'étais pas une faible ? Tu as peur d'un simple cataplasme de feuilles ?

Tempête se figea et grommela :

- Je déteste quand tu arrives à m'avoir de cette manière.

Le jeune dragon des Dunes rit doucement puis la suivit dans leur caverne provisoire, bien décidé à se moquer d'elle encore un peu avant qu'elle ne s'endorme.