Les Serres d'Argent

Avant le combat

Alkaryon s'étira en bâillant. Les blessures de son flanc le tiraillèrent légèrement, mais il les ignora. Il était bien trop excité pour y faire attention. Demain, nous allons sauver Tempête.

Tornade était venue le leur annoncer ce matin.

— Demain, nous attaquerons la ruche des Griffes de la Nuit pour délivrer nos amis ! avait-elle tonné en entrant dans la pièce où Alkaryon et d'autres dragons se reposaient. Tous les dragons volontaires pourront participer, avait ajouté la dragonne.

Alkaryon avait craint qu'il n'y ait trop peu de dragons pour mener la mission à bien, mais à son grand soulagement, plus de la moitié du village avait choisi de venir.

— Quel sera le plan ? avait demandé Alkaryon.

Tornade s'était assise au milieu des volontaires et avait parlé d'une voix claire et ferme.

— Nous formerons deux groupes. L'un détournera l'attention des Griffes de la Nuit, pendant que l'autre délivrera les prisonniers. Si vous choisissez de venir, ce sera à vos risques et périls. Réfléchissez bien.

Alkaryon avait bien réfléchi. Il irait, quelles que soient les conséquences. J'espère juste que le plan marchera... Et s'ils échouaient et qu'ils mouraient tous ? Et si Alkaryon faisait tout rater ? Non. Je vais y arriver, décida-t-il.

Le dragon des Dunes soupira et leva le museau. Le ciel était sombre, envahi de lourds nuages d'orage. Un vent glacial agitait les arbres. Alkaryon porta la patte au collier qu'il avait autour du cou. Sans qu'il sache pourquoi, sa présence le rassurait. Il se sentait plus fort lorsqu'il le serrait au creux de sa patte. C'était le bijou qu'il avait trouvé dans la nursery des Griffes de la Nuit. Lorsqu'il s'était introduit dans le repère avec Panthère, il s'en était sorti. Peut-être en serait-il de même le lendemain s'il portait le collier.

Je vais me battre aux côtés de Tempête, songea-t-il, rêveur, avant de s'immobiliser. Qu'est-ce que je raconte ? Aux côtés de Panthère, pas de Tempête. Sa gorge se serra. La dragonne du Feu lui manquait terriblement. Il regrettait les disputes qu'ils avaient eues, les fois où il s'était montré dur avec elle. Le souvenir de leur dispute avant que Tempête ne soit enlevée lui déchirait le cœur.

— Tu es en train d'insinuer que je suis une lâche ?

— Précisément. Je n'aurais jamais pensé que tu préférerais fuir le combat et abandonner des dragons à leur sort plutôt que de les aider.

Alkaryon sentit son cœur se serrer. Pardonne-moi Tempête.

— Alka !

Une voix aigüe le sortit de ses sombres pensées.

— Alka, je dois te dire quelque chose.

— Étoile de Neige ?

Alkaryon sentit la colère revenir. Il n'avait toujours pas pardonné au dragonnet le fait qu'il les ait espionnés, lui et Panthère, l'autre jour dans la forêt.

— Tu dois m'écouter, c'est très important.

Alkaryon hésita. Il ne voulait pas pardonner tout de suite à Étoile de Neige. S'il ne lui montrait pas qu'il était fâché, le dragonnet risquait de penser que ce qu'il avait fait était sans importance et de recommencer par la suite.

— Pas maintenant, lâcha froidement le dragon des Dunes. Je suis occupé, vois-tu ? Je dois me préparer pour le combat de demain.

Le dragonnet pencha la tête, perplexe.

— Occupé ? Mais... Tu ne faisais rien avant que j'arrive. Tu regardais le ciel d'un air triste. (Il hésita.) C'est à cause de Tempête ? Tu veux un câlin ?

Alkaryon vit rouge.

— Je ne suis pas triste à cause de Tempête ! D'ailleurs, je ne suis pas triste. Je... Je révisais mes techniques de combat.

Étoile de Neige haussa les ailes.

— D'accord, si tu le dis. Ne t'inquiète pas, je ne t'embêterai pas longtemps. Je veux juste...

Il ne comprend pas ou il le fait exprès ? s'énerva Alkaryon.

— Je t'ai dit que j'étais occupé ! Tu viendras me voir plus tard, d'accord ?

Étoile de Neige recula, blessé.

— Très bien, couina-t-il en faisant volte-face.

Il s'éloigna en trottinant gauchement. J'ai peut-être été un peu dur... Le dragon des Dunes s'ébroua. Non, il avait fait ce qu'il fallait. Étoile de Neige devait comprendre qu'il ne pouvait pas faire tout et n'importe quoi sans conséquences.

— Comment ça va, le Bavard ?

Alkaryon sentit une douce chaleur l'envahir.

— Bonjour Panthère, dit-il avec un léger sourire.

— Tu es prêt pour demain ?

L'inquiétude et l'excitation lui nouèrent la gorge.

— Il le faut bien. Tu combattras avec nous ?

Panthère acquiesça.

— Évidemment. Mon aile est presque guérie. Je pourrai me battre aussi bien que si je n'avais jamais été blessée.

— Tu m'en vois ravi.

Panthère lui donna un coup de tête dans le flanc.

— Et toi ? Tu vas pouvoir combattre, malgré tes blessures de guerre ?

Alkaryon ricana.

— Je ne sais pas... J'aurai peut-être besoin de l'aide de la Grande Guerrière.

Panthère recula d'un pas, l'air flattée.

— C'est ainsi que tu me vois ?

— C'est ce que tu es. Une grande guerrière sans peur et sans reproche !

Panthère s'avança, faisant mine de réfléchir ardemment.

— Et toi, qu'est-ce que tu es ? demanda-t-elle.

— Un grand guerrier. Sans peur et sans reproche aussi.

Panthère souffla d'un air amusé.

— Toi, un grand guerrier sans peur et sans reproche ? Laisse-moi rire. (Alkaryon fit la moue.) Non, toi, tu serais plutôt... Un petit cloporte. Tu files te cacher dès qu'il y a du danger.

Alkaryon grimaça.

— Un cloporte ? Tu es injuste. Je me bats autant que toi.

— Autant ? répéta Panthère.

— Probablement pas autant, mais je n'ai pas peur de me battre. (Il désigna les cicatrices sur son flanc.) Mes blessures de guerre le prouvent !

— Mouais... Je te rappelle que sans moi, tu serais six pieds sous terre.

— Pas la peine de me le rappeler, je sais que j'ai une dette envers toi, ô grande guerrière suprême.

Panthère sourit.

— J'aime ce nom. À partir de maintenant, tu m'appelleras toujours comme ça.

— Arghl, siffla Alkaryon. À cause de moi, tu as pris la grosse tête.

— Pas du tout, le contredit Panthère. J'ai juste...

Il n'entendit pas la fin de sa phrase. Il croisa le regard d'Étoile de Neige, qui était au coin d'une rue. Le dragonnet semblait blessé. Tu ne m'aimes plus ? paraissait dire son regard. Tu préfères passer du temps avec une inconnue ?

Alkaryon baissa les yeux, honteux, et se concentra sur ce que disait Panthère.