Les Serres d'Argent

Cauchemars

— Non, ce n'est pas la peine d'insister, je ne céderai pas.

Étoile de Neige poussa un gémissement de frustration et baissa le museau, dépité. Roche secoua la tête et s'éloigna, laissant le dragonnet seul au milieu de la pièce. Peut-être que si je lui fais mes yeux de chaton, il acceptera de me laisser sortir !

Plein d'espoir, Étoile de Neige courut jusqu'au dragon des Montagnes et lui coupa la route. Roche recula d'un pas, surpris, puis il fronça le museau d'un air agacé.

— Qu'est-ce que tu veux ? grommela-t-il.

— S'il te plaiit, supplia Étoile de Neige en ouvrant de grands yeux mouillés.

Il pencha la tête sur le côté d'un air suppliant.

Roche soupira.

— Je suis désolé, Étoile de Neige, je ne peux pas te laisser sortir, c'est trop dangereux.

— Oh...

Le dragonnet se renfrogna. Pourquoi Roche ne voulait-il pas qu'il sorte ? Ce n'était pas comme si le dragonnet allait faire quelque chose de stupide à peine sorti de la maison !

Parce que partir à la recherche d'Alkaryon, ce n'est pas stupide ? murmura une petite voix dans sa tête.

Étoile de Neige s'ébroua pour chasser ces pensées de son esprit et soupira tristement. Roche posa sa patte sur son épaule d'un air compatissant.

— C'est pour te protéger que je fais ça, tu comprends, n'est-ce pas ?

Oui, Étoilé de Neige comprenait. Mais cela ne l'empêchait pas de se sentir terriblement agacé d'être mis à l'écart ainsi.

— Et toi, couina-t-il. Tu vas rester avec moi ?

— Non. Je vais aller aider à réparer les habitations.

— C'est pas juste, ronchonna Étoile de Neige. Alkaryon ne m'aurait jamais laissé tout seul ici.

Roche ne répondit pas et sortit de la maison, l'enfermant à l'intérieur.

Seul.

Frustré, Étoile de Neige se laissa tomber sur le flanc. Il détestait être seul. Combien de fois avait-il été enfermé dans sa chambre alors qu'il était encore à l'école ? Il savait que Roche faisait ça pour le protéger au cas où des Griffes de la Nuit attaquent le village. Il était bien plus en sécurité à l'intérieur, caché, qu'au milieu de la place du village à jouer.

Qu'est-ce que je fais, maintenant ? s'interrogea le dragonnet.

Peut-être pouvait-il profiter de son enfermement pour faire quelques bêtises.

Non. Alkaryon ne serait pas fier de moi.

Étoile de Neige roula sur le côté et se remit sur ses pattes avant de parcourir la pièce du regard. Elle était grande et presque vide. Quelques tables attendaient dans un coin, et de nombreuses paillasses d'herbe sèche s'étalaient au fond pour permettre aux dragons ayant perdu leur maison de dormir sur autre chose que le sol.

Le dragonnet aux écailles blanches ressentit soudain un élan de compassion pour ces dragons. S'il avait été à leur place, il n'aurait pas aimé que des Griffes de la Nuit réduisent sa maison en cendres.

Il poursuivit son inspection de la pièce. Une ouverture dans le plafond permettait d'accéder à l'étage en volant, mais on lui avait interdit de s'y rendre.

Je n'ai rien le droit de faire, s'insurgea-t-il intérieurement.

Il fit le tour de la pièce en rasant les murs, tourna un moment autour des tables puis alla finalement s'étendre sur un tapis.

Depuis combien de temps Roche était-il parti ? Étoile de Neige jeta un coup d'œil au soleil qu'il pouvait apercevoir par une fenêtre. L'astre n'avait pas beaucoup progressé dans le ciel, le dragon des Montagnes ne l'avait donc pas quitté depuis très longtemps.

Je me demande si Alkaryon et Onde ont trouvé le repère...

Il espérait que le dragon des Dunes serait prudent. S'il meurt, je ne lui pardonnerai jamais.

Mais il ne mourrait pas. Alkaryon était bien trop malin pour ça. Il ne se mettrait jamais en danger de mort.

Bientôt, les paupières du dragonnet commencèrent à s'alourdir. Il cligna des yeux, refusant de céder au sommeil. Et si Alka revenait pendant que je dors ? Il devait être là pour l'accueillir. Mais il eut beau résister de toutes ses forces, le sommeil finit par le happer.

Un grognement retentit derrière lui et Étoile de Neige poussa un gémissement apeuré. Il se recroquevilla sous une table en retenant un sanglot. Un bruit sourd s'éleva dans les ténèbres et quelque chose de chaud lui aspergea le museau.

Dégouté, Étoile de Neige essuya le liquide poisseux du bout de la patte et le renifla. Une senteur métallique lui envahit les naseaux et il poussa un cri étranglé.

Du sang !

Affolé, Étoile de Neige jaillit de sous la table. Des hurlements et des grognements résonnaient de tous les côtés et une forme sombre menaça de le renverser en passant près de lui.

Qu'est-ce qui se passe ? songea-t-il, terrifié.

Un ricanement près de son oreille le fit sursauter et il trébucha. Des yeux blancs et vicieux apparurent autour de lui tandis que d'autres rires s'élevaient dans la pièce obscure.

— Alkaryon ! cria Étoile de Neige.

Son cœur battait si fort à ses temps qu'il n'entendait presque plus rien. Le dragonnet se remit à courir à l'aveuglette dans cette obscurité oppressante.

— Alkaryon ! appela-t-il à nouveau.

Il avait si peur que la tête lui tournait. Finalement, sans trop savoir comment, le dragonnet parvint à sortir de la maison plongée dans le noir. Il jaillit à l'extérieur, et à son grand soulagement, les yeux ne le suivirent pas.

Le dragonnet tourna la tête et son sang se glaça dans ses veines.

Les yeux vides d'Alkaryon le regardaient, son cou sectionné dans une flaque de sang. Étoile de Neige poussa un hurlement de terreur et recula précipitamment.

— Étoile de Neige ! Étoile de Neige !

Le dragonnet blanc ouvrit les yeux, terrifié. Il repoussa la patte de Roche, qui se tenait au-dessus de lui d'un air inquiet, et se releva d'un bond.

— Où est Alkaryon ? souffla-t-il d'une petite voix.

— Alkaryon ? Il n'est toujours pas rentré, répondit Roche.

Il se pencha sur le dragonnet.

— Je suis revenu voir comment tu allais et je t'ai trouvé en train de crier dans ton sommeil. Tu faisais un cauchemar ?

Étoile de Neige cligna des yeux. Un cauchemar. Ce qu'il venait de se passer n'était pas réel. Alkaryon est vivant. Il se détendit.

— Oui, dit-il. Ça va mieux maintenant. Merci de m'avoir réveillé.

— Tu veux que je reste un peu avec toi ?

Étoile de Neige hésita. Il ne voulait pas être seul. Pas après son cauchemar.

— Je veux bien, dit-il soulagé. Merci.