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Alkaryon se baissa pour éviter une branche et manqua de trébucher sur une racine noueuse qui s'étirait sur le sol. Il grommela et foudroya l'arbre du regard avant de se remettre en chemin. On arrive, Tempête. Songer à la dragonne du Feu lui donna un sursaut d'énergie et il accéléra brusquement, manquant de se cogner le museau sur Carnage qui marchait devant lui. Le dragon des Montagnes se retourna et plissa les yeux, et Alkaryon lui adressa un regard d'excuses.

Le dragon des Dunes frissonna lorsque le lourd feuillage des arbres, jusqu'à présent espacé, se referma sur eux, les plongeant dans l'ombre. L'air était lourd et suffocant, et une chaleur étrange, humide et anormale flottait autour d'eux. Les arbres étaient menaçants, leur tronc noir comme une nuit sans lune était strié de crevasses semblables aux marques que laissaient les griffes des bêtes sauvages qui pouvaient parcourir ces bois maudits. Des craquements retentissaient entre les branches et par-delà les buissons, et Alkaryon sursautait chaque fois que le bruit qui résonnait était trop proche.

Onde, qui marchait quelques pas derrière lui, se rapprocha et se pressa contre son flanc, nerveuse. Elle tordit le cou et scruta l'impénétrable frondaison au-dessus de leur tête avec inquiétude. Alkaryon l'imita et il se raidit. Il lui semblait que des formes se mouvaient là-haut, et pouvaient à tout moment fondre sur eux et leur apporter la mort.

Tornade, qui marchait en tête, s'arrêta et glissa à l'oreille du dragon des Dunes :

— N'oublie pas, jeune dragon ; nous ne tentons rien aujourd'hui....

— ... seulement du repérage, compléta Alkaryon en soupirant.

Tornade hocha la tête, satisfaite.

— Seulement du repérage, répéta-t-elle.

Ils continuèrent à avancer silencieusement durant quelques minutes, puis Onde demanda d'une voix basse qui sembla pourtant forte dans ce lourd silence :

— Savez-vous où se trouve le repère des Griffes de la Nuit ?

Tornade plissa les yeux et secoua négativement la tête.

— Alors comment savez-vous dans quelle direction nous devons nous diriger ?

— Nous avons remarqué que les Griffes de la Nuit venaient toujours du nord.

— Donc nous allons avancer jusqu'à tomber dessus ?

— C'est ça. Maintenant, silence, je te prie. Ne signalons pas notre présence par des bavardages inutiles.

Onde se renfrogna et Alkaryon lui donna un coup d'aile amical pour la réconforter.

Les sombres paysages continuèrent à défiler autour d'eux tandis qu'ils pénétraient toujours plus profondément dans la forêt. Le sol  se mua en une matière spongieuse et humide qui dégageait une odeur désagréable, comme s'ils étaient entrés dans des marécages.

Les compagnons cherchèrent le repère durant de longues heures, sans jamais rien trouver, et alors que le soleil se couchait et que les ombres s'allongeaient, Tornade fini par soupirer :

— Rentrons, nous ne trouverons rien aujourd'hui.

— Non ! s'écria Alkaryon.

Le dragon des Dunes s'approcha de la vieille femelle, un air furieux sur le visage.

— Il faut continuer ! Leur antre n'est sûrement pas loin. Nous avons cherché toute la journée et...

— ... et la forêt est immense, le coupa Tornade d'un ton sec.

Elle lui lança un regard froid, et Alkaryon baissa tristement le museau en acquiesçant doucement.

— Nous repartirons demain, dit la dragonne d'une voix radoucie. Ne t'inquiète pas, petit dragon, nous trouverons ces Griffes de la Nuit et nous reprendrons ton amie et les nôtres.



— À mon tour, à mon tour ! s'écria Étoile de Neige en bondissant joyeusement.

Tornade sourit et laissa la place au dragonnet. Toutes les têtes se tournèrent vers lui, et Étoile de Neige se recroquevilla soudain, comprenant qu'il était à présent au centre de l'attention. Il croisa le regard d'Alkaryon, et celui-ci l'encouragea d'un léger hochement de tête.

Rassuré, le dragonnet ouvrit la gueule et, d'une petite voix, il commença à raconter son histoire :

— C'est l'histoire d'un jeune renard qui vivait avec sa maman et son papa dans la forêt. Ils étaient très heureux ensemble. Mais un jour, aucun de ses parents ne revint au terrier. Le petit renard les attendit très longtemps, guettant leur retour avec impatience. Comme ils ne revenaient pas, il finit par partir à leur recherche. En cherchant, il découvrit que le roi les avait enlevés. Très en colère, le renardeau décida de venger ses parents. Il se rendit au château, décidé à enlever le fils du roi pour le pousser ensuite dans un gouffre. Le renard s'enfuit avec le prince dans la nuit, mais alors qu'il menait l'enfant vers la mort, il comprit qu'il ne pouvait pas faire ça. "Chaque vie est précieuse, et aucune ne vaut plus qu'une autre". Aussi, il décida de ramener le prince au roi. Il se fondit ensuite dans la nuit, et personne ne le revit jamais.

En disant ces mots, Étoile de Neige ne quitta pas Alkaryon des yeux, et le dragon des Dunes se crispa, soudain mal à l'aise. Le dragonnet voulait-il leur transmettre un message, à lui et ses amis, eux qui voulaient tuer la Reine ?

Il s'ébroua.

C'était une idée ridicule. Étoile de Neige était bien trop jeune pour comprendre de telles choses.

Lorsque le dragonnet s'approcha de lui après avoir terminé son histoire, il lui tapota la tête en souriant.

— Tu racontes très bien, le félicita-t-il.

— Merci, fit le dragonnet, ravi.

Après le conte d'Étoile de Neige, Alkaryon cessa de prêter attention aux chansons et aux histoires des autres dragons qui passaient les uns après les autres devant le feu. Des membres du village avaient organisé une soirée autour d'un feu au milieu de la place centrale, espérant ainsi détendre tout le monde. Si cela marchait pour certains, Alkaryon ne pouvait s'empêcher de penser à Tempête et à leur mission finale : trouver la Reine et la tuer. La prophétie que la Scruteuse lui avait délivré plusieurs mois plus tôt lui revint en mémoire, et il frémit.

Et s'il trouvait la mort en combattant les Griffes de la Nuit ? Si cela arrivait, au moins aurait-il sauvé Tempête.

Alkaryon grogna tout bas, agacé. Il pensait avoir oublié cette stupide prophétie pour toujours, mais visiblement, il s'était trompé. 

Je ferais mieux d'oublier tout ça et de m'amuser un peu.

Il reporta son attention sur le feu et se plongea dans l'histoire que racontait à présent Onde. 

Les Serres d'ArgentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant