CHAPITRE 34 - Isabella

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— Tu viens manger, Isabella ?

Je crois que plus j'entends sa voix faiblarde, plus j'ai envie de l'étrangler jusqu'à ce que mort s'en suive.

Mon Dieu...

J'ai pensé à ça ?

— Ffffff... Soufflé-je, les mains vers le ciel. Tout va bien... On se détend...

Des jours et des jours qu'elle est sur mon dos. N'a-t-on plus le droit de déprimer en solitaire ? Elle est sans arrêt là à me dire quoi faire : venir manger, aller prendre ma douche, la rejoindre dans la chambre pour aller au lit... Et puis quoi, encore ? Un jour, elle me demandera de bien vouloir aller pisser et chier ?

Je deviens violente...

Peut-être est-ce la captivité qui me rend aigrie...

Je tire la chasse d'eau, et ressors de la pièce d'un pas nonchalant. Je n'arrive pas à comprendre comment Alexandra peut encore penser à se nourrir, après ce qu'elle a vécu. Ni comment elle peut encore fermer les yeux la nuit, et ronfler comme elle le fait.

Moi, je ne ressens plus la faim.

Je ne ressens plus la fatigue.

Ni la joie, ni la gaieté...

En fait, rien.

Je ressens simplement un vide intersidéral à l'intérieur. Je ne sais même plus si j'ai envie de m'échapper de ce lieu infâme, ou de rester pour l'éternité. C'est étrange comme point de vue, non ? Je devrais encore me battre, essayer à tout prix de sortir d'ici pour refaire ma vie comme si de rien n'était. Mais même ça, je n'en ai plus envie.

J'approche lentement de la table de la salle à manger, où Alexandra est attablée et enfourne des dizaines de petits fours dans son gosier, les uns à la suite des autres. Elle est confortablement assise sur un des oreillers mous du canapé, son anus étant toujours un peu douloureux. Pourtant, cela ne l'empêche pas d'engloutir de la nourriture dès qu'elle en a l'occasion.

Quel tableau...

— Viens manger, c'est délicieux ! M'annonce-t-elle la bouche pleine.

Si tu savais ce que j'aurais envie d'avoir dans la bouche, tu m'assassinerais de tes propres mains...

Je m'approche avec l'envie irrésistible de mourir avant que le moindre morceau de nourriture n'entre en contact avec mes lèvres, puis tire une chaise à côté de celle d'Alexandra pour m'asseoir.

— Allez, bon sang ! M'encourage-t-elle à en perdre haleine.

C'est avec dégoût que j'attrape une tranche de pain complet pour la glisser dans ma bouche. Tout devient insipide ici, surtout la nourriture, qui n'a plus que le goût de coton. Les différentes boissons sucrées qui nous sont proposées n'ont plus de saveur non plus. Jus de fruits, boissons gazeuses ou café n'ont plus que le goût de l'eau lorsqu'ils s'écoulent dans mon œsophage.

Je mâche le morceau de pain, et au moment de l'avaler, je manque de m'étouffer, tant son passage jusqu'à l'estomac est difficile. Je force sur mes muscles pour le faire passer, mais à mesure que je le sens étirer mon canal, je me sens asphyxiée. C'est pile la sensation que je ressens depuis que je suis arrivée ici. L'asphyxie. Je m'y suis habituée, après tout. Maintenant, elle est presque comme une vieille amie.

— Est-ce que tu vas enfin te décider à me dire ce qui ne va pas ? Me questionne alors ma colocataire, me montrant les aliments déchiquetés dans sa bouche, ce qui m'arrache un cri de dégoût.

— Beurk... Et ça changerait quoi de te dire ? Tonné-je, les sourcils arqués, prêts à lui envoyer des flèches empoisonnées.

— Tu es la femme la plus coriace et la plus forte que je connaisse.

BOURREAU DES COEURS - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant