CHAPITRE 36 - Isabella

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Même si j'essaye de ne pas le lui montrer, je commence à craindre cet homme.

Plus je passe du temps avec lui, plus je deviens certaine que dès que l'occasion se présentera, dès qu'il aura compris ce qu'il se passe dans ma tête, il mettra fin à mes jours.

L'instinct de survie prend vite le dessus, et je repense une énième fois aux dernières paroles qu'il a murmurées au creux de mon oreille, juste avant de retourner dans la pièce adjacente et de me laisser seule dans mes pensées, au beau milieu de cette immense salle à manger qui pourrait accueillir au moins cinquante personnes.

Et nous ne serions même pas serrés comme des sardines.

L'absence d'Hadrian provoque une fuite de mon esprit vers tous les détails qui s'offrent à moi. Après tout, c'est la première fois que je monte à l'étage, sans compter la Dark Room.

La pièce a comme un aspect gothique : la chaise sur laquelle je repose, est faite d'un bois presque noir. Certainement de l'ébène. La table également. Celle-ci est si longue, qu'elle occupe plus de la moitié de l'espace de la pièce. Et au-dessus de celle-ci, domine un lustre somme tout ancien, orné de milliers de cristaux.

Tout autour de moi, les murs semblent me renvoyer l'état mental dans lequel je me trouve. Ils ont l'air également en bois massif. La lumière est tamisée. Cela confère à cette pièce une ambiance sensuelle qui n'a pas lieu d'être ici.

« Place au dessert. »

Oui, je désire ardemment cet homme.

Mais je ne suis pas encore suicidaire.

Depuis mon arrivée dans cette pièce, je ne cesse de lorgner discrètement en direction de la fenêtre, seule source de véritable lumière. Cette ouverture sur le monde sera certainement mon échappatoire. Je dois sauver ma peau, et je ne peux pas attendre plus longtemps pour le faire.

« Place au dessert. »

Vu le ton inquiétant qu'il a utilisé pour me communiquer ces paroles, je ne peux qu'imaginer le pire. A-t-il réussi à me percer à jour, ce soir ? Je ne peux pas en être sûre : Hadrian ne laisse rien transparaître, et je suis même quasiment certaine qu'il ne parvient même pas à ressentir la moindre émotion.

Alors, comment puis-je m'en assurer ?

A-t-il compris que j'étais simplement tombée amoureuse de lui et que je désirais le sentir en moi depuis le premier soir ?

A-t-il compris que même s'il s'est adonné à des choses horribles avec d'autres femmes, juste sous mes yeux, cela n'a pas exorcisé mon corps du désir que je ressens à son égard ?

Cela fait déjà quelques longues minutes qu'il est parti, et je n'entends plus aucun son provenant de la cuisine. J'imagine un nombre incalculable de scénarios tout aussi morbides les uns que les autres, et mon cœur commence à s'emballer.

Si je ne fais rien, c'est moi qui finirai dans son assiette.

D'ailleurs, est-ce que son régime alimentaire comporte des êtres humains ?

Seigneur, je préfère ne pas y penser.

Je regarde encore au loin, à travers le carreau qui se trouve juste en face de notre table, et constate que la neige a cessé de tomber depuis bien longtemps. Les rayons du soleil doivent très certainement faire leur apparition en journée, si j'en juge par les reflets rosés du ciel, ce soir. J'ai été arrachée à la vie depuis bien trop longtemps. Plus de deux semaines. Peut-être trois. Je ne sais pas.

Je ne peux pas rester enfermée ici.

Encore moins y rester ce soir.

Je détourne les yeux de la fenêtre et abaisse mon regard en direction de la table. J'hésite quelques instants et me rends finalement à l'évidence : le couteau qui se trouve à droite de mon assiette sera l'arme qui me libérera de cette prison. J'ai juste à me pencher discrètement pour l'attraper. Alors, je m'exécute, en prenant garder à ce qu'Hadrian ne se trouve pas derrière moi. Je l'attrape et serre le manche fort dans ma paume, puis le soulève pour le placer entre mes jambes.

BOURREAU DES COEURS - TOME 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant