Les semaines qui ont suivi mon retour avaient été tout à fait banales, j'avais atterri dans un petit village à la campagne et j'avais trouvé un poste de caissière dans une épicerie.
Mes journées tranchaient indubitablement avec mon séjour dans le monde des créatures.
Sur notre planète, après notre départ, il y avait eu un nouveau gouvernement qui prônait le retour à une vie normale, et ça marchait, tout le monde entier avait du jour au lendemain repris de très vieilles habitudes.
Il n'y avait pas eu, à ma connaissance, une autre apparition de monstre.
Je retrouvais enfin goût à la vie, une vie tout à fait normale, banale et ça m'allait très bien.
Quoi de mieux que de pouvoir décider librement de sa vie ? Sans y être contrainte, sans y être influencée ?
Mon monde m'avait manqué, il n'y avait plus de pénurie, il n'y avait plus aucune trace de monstre.
J'avais appris à mes dépens que dans le monde des démons, le temps s'écoulait lentement en comparaison du nôtre, ainsi une journée passée chez les démons équivalait à un an dans mon monde.
Le temps ne nous faisait pas vieillir dans le monde des démons.
Dans le mien, j'avais eu l'impression que le temps m'attendait à la sortie de la grotte, pour m'attraper et m'accabler des années de jouvence que j'avais eue à tord, comme si, le temps qui passe, voulait prendre sa revanche, à tout prix.
Je me regardais dans le miroir de l'entrée de mon studio, qui se trouvait non loin de mon lieu de travail.
Oui, les traces du temps se faisaient de plus en plus remarquer sur mon visage, quelques rides et ridules faisaient leur apparition sur ma peau autrefois lisse.
Lisse, comme mes journées qui se ressemblaient de plus en plus, et la chaleur de l'été devenait de plus en plus insupportable, intenable.
Étais-je devenue à ce point vieille ? Me plaignant du temps qui passe et de la chaleur auprès des clients de l'épicerie ?
Cela allait-il devenir ma vie ? jour après jour, me plaignant du temps qui file et qui me laisse derrière sans une once de remords ?
Non, oh grand jamais non.
Je tenais ma force de ma détermination, de mon mental, mon mental de fer aguerri pendant toute mon enfance par la dureté de la vie, par ce séjour dans l'antre des démons, alors, lorsque le vent se levait le soir, lorsque les volets étaient fermés, lorsque les habitants dormaient à poings fermés, je m'entraînait encore et encore à utiliser mon pouvoir.
Je ne devais pas l'oublier, je me devais de sentir ma puissance dans chacune de mes veines, dans chacune de mes cellules, je devais être forte, être préparée, au cas où ils reviendraient me chercher.
Faire le vide,
ne penser à rien,
se focaliser sur son corps et seulement son corps,
le conceptualiser dans les moindres coins et recoins,
prendre conscience de chaque particule présente en nous,
se polariser en particulier sur sa respiration,
suivre son souffle s'écouter,
écouter son corps.
Et, dans la pénombre et la noirceur de la nuit, dans l'obscurité de mon minuscule salon, ma lueur, la Rouge, la mort, tournoyait en l'air encore et encore, toujours plus haut, toujours plus éblouissant.
J'avais gardé mon pouvoir, je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas comment, mais je l'avais senti en moi lorsque j'étais sortie du côté de mon monde, je l'ai senti grandissant quand je me suis mise à courir pour être sûre de mettre de la distance entre ces créatures et moi, et chaque jours, je le sentais qui frémissait en moi, sensible à mes humeurs, voulant jaillir de mon corps lorsque j'étais en colère contre les clients qui me manquaient de respect, ceux qui étaient ivres ceux qui se permettaient des regards ou même des gestes déplacés, ma couleur, voulait leur faire du mal, me protéger, et quelquefois, au contraire, elle cherchait à me consoler quand je me sentais seule.
C'était un choix personnel, être seule, je l'avais choisi, je n'étais pas encore prête à avoir une vie sociale, je préférais ma seule compagnie.
Rentrer chez moi, me doucher, commencer à préparer à manger, et regarder la télé, quand le cœur me le disait, je mettais de la musique à fond dans mon minuscule studio et telle une adolescente déchaîné, je dansais à en perdre haleine, toujours plus fort, toujours plus puissant, ma lueur s'échappant de moi pour tournoyer elle aussi en l'air.
Et puis, quand j'avais du mal à respirer, je m'écroulais toute transpirante sur mon canapé, inerte, cherchant à retrouver ma respiration, les cheveux collés à mon front.
Et dans ces moments de joies éphémères, je repensais alors, quelques secondes à mon aventure dans le monde des démons, à comment j'étais arrivé là-bas et comment, avec quelle force j'avais su m'y extirper.
Je repensais avec amertume, à la fin de l'histoire.
A y réfléchir, j'aurais fait les choses autrement, je me serais donné une chance avec Baal, peut-être que j'aurais pu en faire quelque chose de beau....
Pauvre folle
J'ai bien trop bu pensais-je en défiant la bouteille de vin qui se trouvait sur ma table basse.
J'allais m'écrouler de fatigue, quand doucement presque comme un murmure porté par le vent, j'ai entendu :
(..) arrive.

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RIM
FantasiaRim est une combattante dans l'âme, elle l'a toujours été par la force des choses. Mais, lorsqu'elle apprend qu'elle et des centaines d'autres jeunes filles vont devoir se rendre dans le monde des démons, sa vie s'arrête. Une seule émotion, une seu...