Let's Bite

Chapitre 32

J'aperçois de loin la pièce dans laquelle les sorcières ont installé les Loups que j'ai... détruits. D'ici on entend les gémissements étranges qu'ils poussent de temps à autre. Melanthe pense pouvoir les aider, mais je sais qu'elle dit surtout ça pour m'épargner le poids de la culpabilité. J'ai une conscience aiguë de ce que j'ai fait. De la stupidité de mon geste. Il y a des chaînes qu'on ne peut briser sans tout démolir, des liens si profondément ancrés dans le cœur et l'esprit qu'il les arrache en disparaissant.

Je soupire. Ces dernières heures j'ai l'impression de ne faire que ça. Même lorsque Tryg est revenu, tout sourire après un entretien fructueux avec Syrinne, je n'ai accueilli la nouvelle de notre alliance qu'avec lassitude. Quelques fées dans notre camp ne changera pas grand-chose si Declan ne parvient pas à rafler une bonne partie des Métamorphes de la Purge. Quant à Camille, l'absence de signe de vie de son côté me scinde en deux. Une part de moi lui souhaite de nous avoir abandonné, d'avoir rejoint son père, sa guilde de fou furieux et de ne plus jamais m'approcher. L'autre en revanche sait qu'elle n'aurait jamais fait ça et que son silence est un mauvais signe.

− La pause est finie, lâche la voix agaçante de Tryg lorsqu'il fait irruption dans la pièce où je contemple mon café depuis une bonne demi-heure.

Je n'y ai pas touché. J'aurais peut-être dû, au moins pour essayer de comprendre qu'elle genre d'attrait une boisson aussi amer pouvait avoir sur un Vampire, mais il m'a suffit d'y tremper mes lèvres une seconde pour comprendre que ce n'est pas mon truc. Non, bien sûr que non, vu que mon truc c'est le sang. Je grimace et repousse ma tasse avant de me lever, abandonnant derrière moi les coussins moelleux qu'Era a mis à ma disposition.

− Le cinquième groupe est prêt, Ash est parti avec le quatrième sur le mur. La nuit l'inquiète, il a peur qu'ils n'aient pas le temps de protéger convenablement la zone.

Je lui jette un regard agacé.

− C'est ça, maugrée-je. Pas besoin de me ménager je sais qu'il est furieux.

− Fallait s'y attendre, les ruptures c'est dur à encaisser pour un vampire. Ça les chiffonne profond, d'ailleurs généralement ça fini avec un meurtre.

− On n'a pas rompu, répliqué-je en m'engageant dans l'escalier désormais baigné de lumière depuis le départ de Beti.

C'est un peu bizarre de découvrir cet endroit sans la plante, elle faisait partie intégrante des murs. Désormais c'est à se demander comment certains d'entre eux tiennent encore debout. Elle a suivi Era à la frontière avec l'arène, se fondant dans le mur d'enceinte pour garantir que quiconque s'approcherait finirait broyé entre ses racines.

− Compte tenu du fait que tu vas pas tarder à passer définitivement l'arme à gauche, c'est tout comme. Enfin bon, qui suis-je pour critiquer tes choix en matière de suicide ?

− Tais-toi, grommelé-je en lui claquant la porte au nez avant de me planter fermement devant le dernier groupe de sorciers venu retirer leurs pactes. Une petite centaine de personnes se trouvent là, à se dandiner devant moi, fatigués, inquiets, méfiants. Comme tous ceux qui sont passés là avant eux. L'équivalent de trois clans si je me souviens bien de ce que Melanthe m'a dit. L'un venant tout droit du Canada, l'autre d'Asie et le dernier d'à peine dix membres d'Angleterre. Ils ont beaucoup hésité avant d'accepter notre marché. Déjà presque éteints, la perspective de perdre encore plus de monde dans la bataille ne leur plaisait pas beaucoup. Melanthe et Era ont su les convaincre là où mes mots auraient sonnés creux.

− C'est pas gentil ça, ronchonne Tryg en me rejoignant.

J'hausse les épaules et fais signe au premier sorcier d'avancer. Il tend le bras vers moi, bien conscient du marché qu'il s'apprête à passer. Je le saisis fermement, à quelques centimètres à peine de la marque démoniaque qui déforme sa chaire. Puis comme pour tous les autres, Tryg s'empresse d'ajouter sa main, liant une énième vie à la mienne par un pacte que tous connaissent par cœur désormais : Leur liberté contre leur totale dévotion à notre combat. Mon regard croise celui, fuyant du sorcier qui lie sa vie à la mienne, il déteste ce que je le force à faire. L'idée d'être contraint d'obéir à une humaine, le révolte presque autant que son pacte démoniaque. Ils ont exigé de lui qu'il se batte pour eux afin de survivre dans l'arène et au final je fais exactement la même chose. Au fond, je le regrette. J'ai conscience des rumeurs qui cours à mon sujet désormais. Ceux qui nous ont secouru Ash et moi avaient la langue bien pendue, mais il est inimaginable que j'accorde ma confiance à ces gens.