Chapitre 14

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Retourner au manoir des chasseurs fait courir sur ma peau un long et désagréable frisson. J'y suis restée peu de temps avant qu'Ash et Declan ne viennent me libérer, mais j'en ai vu bien assez pour savoir que cet endroit et tout ce qu'il représente me révulse. Aujourd'hui ils ont besoin de moi mais demain ?

Non, il n'y aura pas de demain. Tryg est une fée, quelques heures de répit suffiront à le remettre sur pied. Quant à moi je compte bien demander à Ash de régler mon problème de bras. D'ici demain matin nous serons partis. Loin, très loin de ces maudits chasseurs et de leurs regards noirs.

Les dégâts de notre dernier passage en ces lieux marquent encore les jardins et le hall de la demeure. Le sang et les cadavres ont beau avoir disparu, je les vois encore, imprimés à même ma cornée. Je m'arrête un peu avant les deux immenses battants de bois qui servent de portes temporaires. L'autre ayant été détruite durant l'attaque. Sur le seuil du hall, incrusté à même la dalle en pierre, les traces démoniaques commencent et s'étendent le long de la bâtisse. J'ignore si l'ensemble du manoir est à l'image de ce que j'ai vu du sous-sol ou de l'entrée, mais si c'est le cas, il me faudra des jours pour venir à bout de chaque symbole.

Les autres s'arrêtent en même temps que moi, confus.

− Qui a tracé toutes ces... protections démoniaques ? demandé-je en me penchant pour effleurer celle qui s'étend de part et d'autres du mur extérieur.

− Stephen Maureal, répond le père de Camille. C'est l'un des hommes à l'origine de notre guilde et le dernier encore en activité. C'est lui qui est responsable de créer et de soutenir les nouvelles branches de notre ordre au quatre coins du monde.

Ash, fidèle à mon ombre me suit tandis que je glisse mes doigts le long des colonnes encadrant la porte. Là aussi, de nombreux symboles s'enlacent et s'étendent comme du lierre sur les murs. À mon contact, les traces sombres laissées sur la pierre s'étiolent et s'effacent en douceur, rongées par mon don.

− Que sont devenus les autres ?

− Ils sont tous à la tête de l'une des villes prisons. Leurs blessures ne leur permettaient plus d'exercer convenablement le rôle de chasseur.

Je lui jette un regard sceptique quand Tryg lui ricane dans mon dos.

− Comme c'est pratique... lâche-t-il d'une voix sifflante.

− On peut donc supposer que ce qui rend ces foutus murs si imprenables, ce n'est ni les gardiens, ni leurs tourelles, grommèle Declan en entrant le premier dans le hall.

Ses larges épaules tendues me bloquent la vue une poignée de secondes avant qu'il ne s'écarte pour me laisser le champ libre. Aucun comité d'accueil ne nous attend. Rien qu'une salle encore dévastée où les impacts de balles se chamaillent l'espace. Je détourne les yeux de l'escalier menant au sous-sol et m'intéresse plutôt à celui sur notre droite qui semble mener à l'étage. Ses marches sont noires de symboles. Partout où je pose les yeux, la pierre, le bois et le métal est brûlé par leurs abjectes protections démoniaques. Certaines s'enflamment à notre approche et rougeoient telle des braises sous nos yeux.

− Les ennemis sont dans la place, raille Tryg en reculant d'un pas prudent. Mave chérie, retire nous ça avant que l'un de ces trucs de nous fasse tous rôtir sur place.

− Ceux-là ne servent que d'alarme, explique Camille.

− Peut-être, mais s'ils nous voient comme des intrus, les autres peuvent en faire autant, réplique-t-il. Mave ?

J'acquiesce et efface tout ce qui se trouve à ma portée. Symbole après symbole avant de m'effondrer sur les marches désormais normales des escaliers. J'avais ressenti une pointe de fatigue lorsque j'ai dû faire la même chose dans cette ruelle sordide il y a deux jours, mais cette fois c'est deux fois pire. Notre petite altercation avec un démon m'a épuisé et rien que l'idée d'avoir à inspecter l'ensemble de ce manoir, je tombe de fatigue. Sans compter que je saigne toujours malgré le garrot approximatif que Camille a eu la bonté de placer sur mon bras. Je serre les dents et passe une main las sur mon visage. À quoi bon aider ces gens ? Ces types mesquins dont l'esprit est si corrompu par la haine qu'ils ne sont probablement même plus capables de voir le monde autrement.

Let's BiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant