Let's Bite

Chapitre 1

Courir. Courir jusqu'à ce que mes jambes brûlent et mes poumons éclatent. Voilà ce que je dois faire. Facile à dire. Dans les faits, mes pieds nus heurtent l'asphalte, m'arrachant à chaque secondes supplémentaires, quelques millimètres de peau. Mon cœur pulse et broie mes côtes à chaque impact et mes pauvres poumons peinent à se remplir. Je fuis, à toute vitesse en sachant pertinemment que je ne distancerais jamais personne.

Je les entends derrière moi. Ils sont proches, trop pour espérer sortir de leur champ de vision, mais pas encore assez pour qu'ils n'arrêtent ma course. J'ignore depuis combien de temps je cavale dans les rues, ma peau est gelée, ma chemise de nuit, trempée par la pluie fine qui balaie la ville. La nuit est bien entamée, mais dans ce genre de cité, la vie ne s'arrête jamais vraiment. Il y a toujours un bar, un restaurant, un parc où quelques jeunes traînent et fument, cachés sous un auvent. Personne ne tente d'intervenir. Qui oserait barrer la route à la cible d'un groupe de chasseurs ?

À leurs yeux, je suis tout aussi dangereuse qu'un vampire ou une goule. Je suis une créature. Quel que soit mon nom, je représente le danger. J'aurais presque pu en rire si je n'étais pas tant occupée à sauver ma vie. J'ai essuyé quelques tirs lorsque, après m'être échappée par la fenêtre de la chambre miteuse que nous avions louée, ils m'ont canardés. Mais leurs fléchettes ne contiennent rien de mortel pour l'homme. Et comble de l'ironie : je suis humaine.

Aussi ont-ils tenté de tirer à balle réelle, mais je m'étais rapidement réfugiée dans le centre-ville. Là où une fusillade était la dernière chose à faire. Le peuple aime et vénère les chasseurs, mais s'ils commencent à descendre des innocents pour attraper un monstre, c'est une autre affaire.

À mon grand soulagement, une foule d'étudiants apparait, zonant dans le quartier des bars à la recherche d'une goutte d'alcool supplémentaire et d'une rencontre grisante.

Ils vont être servis.

Je plonge dans la foule, indifférente aux regards effarés de ceux qui ont déjà repéré les chasseurs. Je glisse, je me faufile telle une anguille, jouant des coudes sans la moindre culpabilité. Enfin, je prends un peu d'avance. Difficile de faire entrer un groupe de chasseurs baraqués et armés dans une ruelle étroite et bondée sans que le mouvement de foule ne bloque définitivement la route.

Une fois certaine d'être suffisamment loin et cachée par la masse humaine, je bifurque en direction d'un bar. Le type qui garde l'entrée me remarque à peine lorsque je passe sous son nez. La musique qui emplit l'étroite pièce me scie le crâne en deux. La chaleur, elle, menace de m'étouffer. Pourtant, je continue, progressant au milieu de la piste de danse sans m'arrêter jusqu'à atteindre la sortie de secours.

Un groupe de gars bourrés bloque le passage, lorsque je tente de les pousser, ils cessent de ricaner et me dévisagent.

− Tout doux ma jolie ! La sortie est de l'autre côté.

− Bouge, sifflé-je en répétant la manœuvre.

Le type fronce les sourcils, pas ému le moins du monde par mes efforts pour le dégager de mon chemin. Sa lourde main s'écrase sur mon épaule et c'est là qu'il remarque ma chemise de nuit et les petites taches de sang qu'ont laissées les fléchettes. Son regard trouble croise un instant le mien, assez longtemps pour que je lui assène un coup de genou dans les parties. Ses amis écarquillent les yeux. Lui, se plie en deux. Je me propulse en avant sans demander mon reste, ouvre la porte et reprend ma course.

Je ne vais pourtant pas loin, ratant la marche, je trébuche et m'écrase la tête la première dans la ruelle sombre et crasseuse dans laquelle s'accumulent les poubelles. Deux types sont adossés contre un mur, un joint dans la bouche et ne semble même pas remarquer mon arrivée fracassante. A bout de souffle, il me faut quelques secondes pour me remettre debout. La nausée et la fatigue font trembler mon corps de la tête aux pieds. Je n'aspire qu'à me rouler dans un coin en priant pour qu'ils perdent ma trace. Mais ce sont des chasseurs. Des hommes entraînés à traquer des créatures bien plus rapides et fortes que moi.