Let's Bite

Chapitre 23

Revenir à la vie, ce n'est pas vraiment comme se réveiller d'une bonne nuit de sommeil. Ni même d'une cuite monstrueuse, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Enfin, en vérité ça dépend beaucoup de la manière dont on est mort. Cette fois-ci, ce fut brusque, comme un seau d'eau glacé. Comme une pièce vide et poussiéreuse dont on allumerait soudain les lumières. Genre un millier de lampes haute tension branchées sur un bon 240 volt dirigées droit vers vos malheureuses rétines. Le tout accompagné d'un sentiment de panique intense et d'une faim à vous tordre les boyaux.

Et c'est bien là le plus gros problème.

La faim.

Car ça, c'est nouveau. Et terrifiant, quand on pense que ce qui me fait envie est liquide, rouge, et en l'occurrence produit par les racines d'une plante magique flippante. Déjà en position assise, les muscles encore tendus par la mort et douloureux, je tends un bras vers le bocal où croît paisiblement une racine de Betelia Sanguine. J'en vide le contenu sans une once de remords tout en faisant bien attention à ce que la plante ne vienne pas s'inviter dans ma bouche et repose le tout au pied du lit sur lequel je suis étendue. Le palais encore imprégné du goût du sang, je ne peux m'empêcher de grimacer. Une faim pareille pourrait devenir problématique en d'autres circonstances. Par exemple en présence d'un être vivant.

Peut-être est-elle dû au fait que je suis morte deux fois en un court laps de temps. Ou bien simplement parce que, comme le pensait Ash, la mort me change peu à peu. La question reste de savoir en quoi ? Mais je ne suis pas sûre d'avoir le temps de me la poser. Ni même l'envie.

Le tout c'est de hiérarchiser les problèmes et pour le moment le plus urgent reste de sauver mon frère.

Je me lève et tend mes bras vers le plafond, persuadée de pouvoir chasser la raideur de mes membres en quelques étirements. Erreur de débutante. Ma mort ne m'entraîne jamais plus loin que le stade hautement désagréable où mes muscles se tétanisent. Ce qui n'est pas plus mal j'imagine, le stade de décomposition qui devrait suivre ne me tente pas trop. Résultat, le moindre mouvement fait un mal de chien et me donne l'air d'un robot mal huilé.

C'est donc avec une démarche saccadée que je sors de la chambre et retrouve Darin et Camille assis au centre de la pièce en train de partager une tasse de thé.

− Enfin ! s'exclame la jeune femme. J'ai bien cru que tu étais refroidie pour de bon.

− Combien de temps ça a duré ?

− Presque deux jours, répond Darin en m'inspectant d'un œil curieux. Est-ce que ça va ?

− J'ai encore quelques raideurs mais ça passera. Merci au fait, c'était... rapide.

Il hoche la tête, une moue sceptique aux lèvres. J'imagine que c'est la première fois que quelqu'un le remercie pour ce genre de service.

− Est-ce que Melanthe est ici ? demandé-je en me vautrant dans les coussins moelleux rassemblés au centre de la pièce.

− Oui, elle est arrivée hier soir avec son clan. Elle discute avec Era depuis... La situation a l'air tendu, ajoute-t-il en désignant Beti dont les racines les plus proches sont recroquevillées sur elle-même.

− Bon, et bien je crois que c'est le moment pour moi d'intervenir, soupiré-je, peu décidée à me remettre debout pour affronter cette journée.

− Il y a du café dans la pièce d'à côté, précise Camille en détaillant mes cernes d'un air préoccupé.

Je serais presque tentée d'accepter. Pas tant pour le boire - c'est immonde, mais au moins pour en sentir l'odeur désagréable. Ne serait-ce que pour convaincre un bref instant mon cerveau que Ash est ici, quelque part... Lui et son foutu café. J'ai beau être libre aujourd'hui, autant qu'on peut l'être dans la Purge bien sûr − c'est-à-dire, pas tant que ça. Je crois que je regrette l'époque ou je voyais les murs de son appartement comme une cage dont je n'osais pas sortir. Aujourd'hui je me sens capable d'abattre des murailles, de frayer avec anges et démons, mais l'idée de le faire sans lui me terrifie.