Chapitre 33

140 24 0
                                    

La pluie forme un rideau opaque, réduisant à néant les capacités visuels des plus surnaturels d'entre nous. La nuit n'est peut-être pas encore tombée, mais le ciel est si sombre qu'il pourrait tout aussi bien être minuit.

− Tu es prête ? me hurle Tryg pour couvrir le vent.

J'acquiesce sans trop savoir si c'est vrai. Je suis encore épuisée d'avoir libéré chaque chasseur de son pacte et mon bras gauche me brûle toujours là où la magie de Tryg a opéré pour les lier à moi. Le droit, lui, ne porte que la marque d'Orfe et même si je suis convaincue que mon ami l'a vue, il n'a pas jugé bon de commenter. La seule qui est vraiment au courant de ce qui se joue entre le démon et moi est Melanthe et elle m'a promis de tenir son rôle le moment venu.

Autour de nous, les chasseurs s'agitent, fébriles. Évoluer au milieu d'autant de sorciers les rend nerveux. À leur décharge, on ne peut pas dire que le groupe qu'Era a attribué à ma protection soit particulièrement accueillant. Lorsqu'ils se sont présentés, cachés derrière d'épais masques à l'effigie d'une sorte de félins cauchemardesque, on ne discernait que leurs yeux plein de haine et de colère. Pourtant, ils n'ont pas tenté de s'en prendre aux chasseurs, notre pacte les empêchait de nuire à notre alliance et de ça, ils m'en tiendront rigueur longtemps.

Le corps secoué de frissons, je regarde soudain l'immense porte de l'arène s'ouvrir poussée par les mains invisibles d'une quelconque magie démoniaque. Le même phénomène doit être en train de se reproduire partout en ville. Je croise un bref instant le regard de Ash qui cille à peine face au déluge qui lui noie le visage. Ses iris dorés me dévisagent en silence, si brûlants qu'ils suffisent à me réchauffer la poitrine. J'aimerais m'excuser de l'avoir embarqué dans toute cette histoire, d'avoir pris en otage un cœur qu'il avait décidé de ne céder à personne et de l'abandonner si tôt. Mais je n'en fais rien, les mots n'ont plus leur place dans ce qui nous attend. Alors, je me contente de lui sourire en entrant dans l'arène, l'estomac au fond des chaussures et une boule d'angoisse poisseuse nichée dans la gorge.

Il ne faut qu'une poignée de minutes aux fées pour nous rejoindre. Dégoulinantes et anxieuses, elles suivent Syrinne aveuglément jusqu'à nos portes, émergeant d'une multitude de rues pour converger vers nous. Quand la reine s'avance vers moi, les chasseurs lèvent leurs armes, prêts à faire feu, ce qui leur vaut alors toute l'attention de la fée.

− Ça, ce n'était pas prévu, lâche-t-elle d'une voix acide en se plantant devant moi.

− Vous n'êtes pas ici pour négocier, acceptez leur aide ou disparaissez.

Mon ton est ferme, cassant, à des années lumières de la peur qui me scie les jambes. Elle fait un pas de plus, menaçante, ses yeux inhumains pareil à des perles ne semblent même pas en mesure de voir et pourtant je sens son regard me transpercer. Je relève la tête. S'il y a bien un jour dans ma vie où je ne peux pas me permettre de baisser les yeux, c'est bien aujourd'hui. L'eau gelée qui s'infiltre par ma nuque et me glisse dans le dos m'arrache un frisson, mais je ne bouge pas d'un millimètre alors qu'elle s'approche encore. La tension, presque palpable, rend l'air lourd, presque solide dans mes poumons.

Mais lorsqu'elle tend un bras vers moi, paume vers le ciel et incline légèrement la tête, mon corps se détend. Je ne perds pas une seconde avant de saisir son bras pour en effacer le pacte démoniaque. Aussitôt, la douleur désormais familière se réveille dans mon bras.

Me voilà liée à l'une des reines Faes.

Je n'ai pourtant pas le temps de m'en réjouir longtemps car à l'instant où elle prend position à mes côtés pour encourager les siens à suivre son exemple, un cri perce la nuit. Nous nous figeons, l'oreille tendue pour discerner au milieu du déluge et du vent l'origine du bruit.

Let's BiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant