Chapitre 26

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Je réfléchis encore aux mots de la fée lorsque notre marché se délite sur mon bras. Notre lien disparaît à mesure que je me rapproche de mon objectif. Comme elle l'avait dit, le bâtiment est désert et mis à part la musique qui résonne à son sommet, le silence accable ses étages les plus bas. J'essaye de me convaincre que ce qu'a fait Tryg n'aura aucune influence ni sur moi, ni sur notre plan, mais quelque chose au fond de moi m'alerte. Comme un pressentiment. L'idée fixe que je ferais mieux de tourner les talons.

Je tire sur mes manches avec nervosité. Ce n'est pas le moment pour qu'une fée indiscrète s'aperçoive de mon pacte avec Orfe. Pas alors que j'ai déjà cette sensation que les choses vont déraper à cause de Tryg.

− Tu es inquiète.

Je tourne la tête vers Darin. Il me précède de quelques pas, le corps tendu. L'endroit à peut-être l'air désert, mais il nous est difficile d'oublier que nous nous trouvons dans un véritable nid de fées. J'ai vu Tryg se battre, il ne s'agit pas d'un simplement d'un peuple farceur adepte de la métamorphose. Le danger est réel.

Je passe en tête, scrute la porte qui mène aux escaliers avec méfiance et la pousse dans un grincement sonore. Je tends l'oreille, prête à entendre un cri d'alerte, une foule de fées rugissantes, n'importe quoi en dehors de cet étrange silence. On perçoit les sons vagues de quelques instruments, ils résonnent dans la cage d'escalier. La musique continue, douce et entraînante, même à six étages de là.

Je fais un pas, troublant la surface de l'immense flaque d'eau qui inonde le sol.

− Je ne suis pas inquiète, le contredis-je alors qu'il installe Beti sur la rampe en métal pour qu'elle grimpe d'elle-même. C'est juste... je sens que c'est important. Que je ne peux pas simplement ignorer ce qu'il a fait en sachant ce qu'il attend de moi.

− Pouvait-il prévoir que tu serais ici aujourd'hui ?

Je grimace, autant parce que mes cuisses commencent à me faire mal que parce que j'imagine bien son cerveau tordu deviner une telle chose.

− De toute façon ça n'a aucune importance, il n'est pas là, et je ne suis pas là pour lui, ce qui s'est passé entre lui et les siens ne nous concerne pas.

− Tu en es bien sûre ?

Je me retourne, une main sur la hanche là où un point de côté me déchire l'abdomen.

− Non... T...

Je m'arrête avant de prononcer son nom. Qui sait quelle créature pourrait être en train d'épier notre ascension.

− Il est imprévisible, insaisissable. Je pensais le connaître, de toute évidence, j'en étais loin. Mais quel choix a-t-on ? Faire demi-tour ?

− Il y a d'autres quartiers... d'autres clans susceptibles de nous écouter.

− Oui, c'est vrai, et beaucoup d'autres qui ne le feront pas. On doit essayer. Sans allié, notre petite révolution va tourner court.

Et si je ne parviens pas jusqu'à l'ange grâce à elle, même mon plan de secours concernant Orfe tombera à l'eau. Sans allié, nous sommes perdus. Je suis perdue. Je frissonne et tente de me persuader que c'est dû à l'air froid qui s'infiltre par les fenêtres brisées. Pas à la peur. Juste au froid.

Nous poursuivons notre ascension dans un silence tendu. Pourquoi a-t-il fallu que les fées se trouvent sur le territoire voisin à celui des sorcières ? En cet instant, je crois que j'aurais préféré me frotter à une meute de loup-garou plutôt qu'à elles.

Une fois au dernier étage, je prends quelques secondes pour reprendre mon souffle. Six étages, le ventre vide et avec en guise de corps un cadavre ambulant, ce n'est pas une mince affaire. Quand je me tourne vers Darin, je suis surprise de découvrir que Beti, non contente d'avoir colonisée toute la cage d'escalier, s'attèle désormais à grimper au mur pour prendre possession du plafond. Je hausse un sourcil.

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