Oraison Funèbre (terminé)

Chapitre 21 - Brûlé par la lumière

                 Everything I wanted - Billie Eilish

Rebekah

L'image du corps sans vie d'Alex ne quitte plus mon esprit. Je vois encore son regard vide ainsi que ses lèvres bleues. Je l'imagine, gisant au fond de ce puits pour l'éternité.

J'ai gagné mais elle y a perdu la vie. C'était gravé dans le marbre, nous ne pouvions toutes survivre à ce genre de secret. L'une d'entre nous devait mourir. Mieux vaut que ça soit elle que nous. Dans n'importe quelle dimension, je choisirais toujours Avery.

Malgré tout, j'aurais toujours cette culpabilité quelque part au fond de moi. Mais le soleil n'en brillera pas moins alors à quoi bon se torturer ?
Nous avons pris une vie, et nous avons fait disparaître sa dépouille. Voici la pernicieuse vérité, l'inexorable crime pour lequel nous paierons.

Depuis cette nuit-là, les cauchemars se sont intensifiés. À tel point que j'ai ressorti les somnifères que mon psychiatre m'a prescrit il y a déjà bien longtemps. Ce stupide cachet m'empêche de rêver, mais ce n'est qu'une illusion. Exactement comme les antidépresseurs que je prends depuis déjà plusieurs années, ils ne sont là que pour recouvrir la laideur.

Des molécules créées pour tromper notre cerveau. Un sourire de façade auquel on finit par croire. Seulement ce n'est qu'éphémère, un leurre. Mais à l'instar d'une béquille, ils m'aident à avancer. J'ai terriblement besoin de cette utopie, de ce semblant de bonheur. Alors chaque mois, je me rends dans ce même cabinet pour y répéter inlassablement le même mensonge:

« Je vais un peu mieux, grâce au nouveau traitement. »

Je ne vais pas mieux. En fait, je crois que je n'ai jamais été aussi mal. Mais à quoi bon le souligner ? À quoi bon livrer nos tourments lorsqu'il suffit d'une toute petite pilule pour tout étouffer ? Un cachet pour sourire, un autre pour faire fuir les cauchemars. C'est plutôt simple finalement. Si seulement ça pouvait l'être également avec les monstres. Ils rodent dans les ténèbres, n'attendant qu'un faux pas de notre part pour nous dévorer.

Je ne vais pas tarder à être mangée.

La mort ne me quitte jamais, elle est toujours près de moi. Elle est imprévisible et omniprésente. Quoi que je fasse, elle finit par me rattraper. Tout ce que je touche finit par se détruire, par mourir. Lucas et Alex en ont d'ailleurs payé le prix fort. Et d'une certaine façon, ma mère également.
Je me suis promis de ne pas retourner la voir tant que la menace qui plane au-dessus de ma tête n'aura pas disparu. C'est à présent chose faite et je peux enfin respirer.

Vivre.

Une vie ou les cauchemars rythment mon quotidien certes, mais une vie ou j'ai appris à nager en eaux troubles. Malgré toutes ces fois ou j'ai joué avec elle, la mort ne gagne pas face à moi.

Si le fantôme d'Alex ne me hante plus la nuit, la journée en revanche il est partout. Je l'entends chuchoter, rire et pleurer. J'ai beau me dire que nous n'avions pas le choix, qu'elle en voulait à notre vie, mais voilà la vérité: j'ai pris la sienne. Désormais, elle ne verra plus jamais le jour se lever. Elle ne dansera plus au Saphir. Elle ne sentira plus jamais l'air sur son visage et elle n'aura jamais la chance de vieillir. Je ne peux m'empêcher de me questionner sur sa vie.

Qu'a-t-elle vécu ? Qu'aimait-elle ?
Elle était dangereuse. A présent elle n'est plus que poussière.

Avery non plus ne va pas bien. Elle est habitée par la rage et s'accroche désespérément à Clayton. Sûrement tourmentée par son geste, elle préfère m'éviter. Pour la première fois, je sens que nous ne sommes plus en fusion. J'ai entraîné ma meilleure amie dans ce jeu et nous sommes condamnées d'avance. Nous finirons par payer pour notre crime, ce n'est qu'une question de temps.