Chapitre 10 - Viser le coeur

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Die first - Nessa Barrett

Rebekah
10h00

La salle est plutôt spacieuse. De nombreuses tables sont dispersées un peu partout et une machine à café trône au fond de la pièce. Si on ne tient pas compte des menottes et des gardiens armés, c'est une ambiance presque normale. Si j'arrive a faire abstraction de ces tenues orange, tout ira bien. Je m'imagine dans un café quelconque, papotant simplement avec ma mère.

À des milliers de kilomètres de cet établissement. Dans une autre dimension où tout se passe merveilleusement bien, ma vie est agréable et elle ne connaît aucun drame. C'est une version édulcorée de ma réalité, la vie que j'aurais dû avoir et qu'on m'a arrachée, comme si l'univers me reprenait absolument tout. Je n'en n'étais peut-être pas digne après tout. Ma mère est la première personne que j'ai laissé tomber. Aveuglée par l'amour, j'ai dû faire un choix. Un choix que je regrette amèrement chaque jour. Je l'ai repoussée, exclue de mon quotidien et elle s'est rendue malade d'inquiétude pour moi. Pourtant lorsque j'ai eu désespérément besoin d'elle, elle n'a pas hésité à choisir qui d'elle ou moi serait libre. Elle a ruiné sa vie pour me laisser la chance d'un jour, effleurer l'utopie d'en avoir une.

Au moindre faux pas je plonge. La moindre erreur et c'est direction la prison. Je marche constamment sur des œufs, redoutant chaque mots qui pourraient sortir de ma bouche. Alors je mens, pour enjoliver ma vie, la rendre plus attrayante. Parfois je le fais si bien, que j'arrive à y croire.

Ma mère avance en baissant la tête, elle a presque du mal à marcher. Lorsque la lumière éclaire son visage, le mien se décompose. Un frisson d'horreur me traverse et je sens le sol s'ouvrir sous mes pieds. Son œil gauche est bleu et gonflé. Les larmes se remplissent dans les miens. Une entaille traverse son front jusqu'à son sourcil et une marque rouge prend toute la place sur sa joue. Je ne connais rien à ce monde, mais j'ai suffisamment regardé de documentaires à ce sujet pour savoir une chose : ici, c'est la loi du plus fort qui règne. Les détenus sont dans un tel état émotionnel qu'un simple regard de travers pourrait déclencher une guerre. J'ai bien peur que ma mère ne soit devenue la cible à abattre.

Elle s'assied en face de moi, ses poignets menottés et le regard vide. À cause de moi, elle est complètement détruite. Aujourd'hui plus que jamais je comprends à quel point sa vie est gâchée.

— Maman ? Que s'est-il passé ?

J'avance mes mains vers elle mais avant de pouvoir la toucher elle recule vivement. Une larme roule sur ma joue tandis que je l'observe en silence.

— Tu sais, si ton grand-père m'avait vu dans cet état, il aurait sûrement fait une blague.

Je laisse échapper un rire, attendri par l'évocation de mon grand père.

— C'est certain. Il aurait dit un truc du genre « T'as décidé de rejoindre un gang ou quoi ? En tout cas t'as une sale tête !»

Je l'imagine très bien avoir ce genre de réaction. Il était capable de tout pour nous faire rire.

Il était impossible de ne pas aimer cet homme. Symbole même de la bravoure et de la bonté de cœur. Il aimait les animaux plus que les humains et n'hésitait pas à s'arrêter pour récupérer un animal blessé sur le bord de la route. Il a d'ailleurs toujours eu un chien, c'était son meilleur ami. En y réfléchissant bien, je ne l'ai jamais vu triste ou faible. Il cachait tout ça derrière une bonne couche d'humour et de fierté, un héritage qu'il m'a laissé.

Je ferais n'importe quoi pour qu'il me fasse à nouveau rire. Rien qu'une fois.

Un sourire de pure nostalgie prend place sur ses lèvres. Il nous manque terriblement.

— Il serait fier de toi tu sais maman.

Une larme roule sur sa joue avant qu'elle ne vienne l'essuyer d'un revers de main.

La mort est une fatalité à laquelle nous devons nous préparer, perdre un être cher n'est jamais simple. Il a été très longuement malade et bien que nous nous attendions tous à une fin, c'était rapide et brutal. Quelques jours plus tôt nous lui parlions, et soudain, il n'était plus là. Le monde a alors perdu de sa couleur et le ciel s'est mis a pleurer. Nous venions de perdre le pilier d'une famille déjà fragile.

Le jour où il est mort, quelque chose s'est éteint avec lui. Nous l'avons accompagné jusqu'à la fin, sans jamais lâcher sa main.

— C'est ça, sa fille se retrouve en prison. Tu parles d'une fierté !

— Tu sais très bien ce qui le rendrait fier dans tout ça.

Elle me regarde et pendant de longues secondes, elle ne dit plus un mot.

— Tu m'as sauvé la vie maman.

Un maigre sourire lui vient aux lèvres.

— Je t'aime ma chérie. Par dessus tout.


Les larmes me montent aux yeux, elle me manque terriblement.

— Maman, qui t'as fait ça?

Elle me regarde droit dans les yeux. Je ressens sa douleur et sa honte. Je sais qu'elle essaye de me protéger de l'horreur qu'elle vit, mais je la vois, la tristesse au fond de ses yeux. Le miroir de l'âme ne peut mentir.

— Comment tu vas ma chérie ? Tu es resplendissante ! Tout se passe bien au travail ?

— Maman, arrête de changer de sujet s'il te plaît. Tu sais que tu peux me dire la vérité, je ne suis plus une enfant.

Elle prend une profonde inspiration et se colle au dossier de sa chaise.

— C'est un groupe de détenues, pendant la promenade.

Je ne comprends pas. Ma mère passe son temps à lire et étudier une autre langue. Pourquoi s'en prendre à elle ?

— Pourquoi s'en sont elles prisent à toi ?

— Ça arrive ici tu sais. Parfois sans raison.

Rien n'arrive jamais sans raison maman, tu devrais le savoir.

Nous avons passé le reste de l'heure à discuter et je n'ai pas cessé de lui répéter à quel point je l'aime. Je lui dois absolument tout. En quittant la prison, le bruit des grilles qui se referment me déchirent le cœur, car je ne sais pas quand je reviendrai. C'est complètement égoïste de ma part, mais chaque fois l'épreuve est terrible.

Je sors mon téléphone et le rallume.

" La prochaine fois elles viseront le cœur. " 

Oraison Funèbre (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant