Chapitre dix

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Chapitre dix - Éléonore

Novembre

Nous ne nous sommes pas croisés depuis lundi dernier, lors de cette soirée jeux. Depuis, je vis cloîtrée dans cette foutue chambre que je déteste, je rase les murs dès que je croise quelqu'un, je ne sors que si c'est vraiment nécessaire - douche, toilettes, nourriture ; rien d'autre -, je ne parle pas. Je m'ennuie, je pleure, je dors.

Ma vie est pourrie.

Ezra a abandonné notre conversation lorsqu'il a compris que je n'avais aucune réponse à lui donner. Depuis, il m'ignore plutôt bien. En fait, il ne cherche pas à communiquer avec moi au-delà d'un simple bonjour si nous nous croisons le matin.

Quant à Corentin et Côme, j'ai décidé de les ignorer aussi. C'est plus facile comme ça. Mon téléphone n'arrête pas de sonner : ma mère me harcèle. Mais je ne réponds plus depuis lundi.

Je suis déprimée. Et je commence à être inquiète pour ma propre personne, ce qui n'est pas normal.

J'ai beau essayer de me forcer, rien ne me fait sourire. Il est minuit, le week-end commence enfin et pourtant même cette idée ne me réjouit pas puisqu'il sera équivalent aux jours qui viennent de s'écouler. Rien de différent.

Je suis morte de fatigue mais je ne fais que de me tourner dans ce lit que j'ai trop vu ces derniers temps et même en me forçant à fermer mes paupières, le sommeil ne vient pas. Alors je fais quelque chose que je vais sûrement regretter dans cinq minutes : j'attrape mon téléphone et je fouille dans le dossier "M". Je n'ai rien supprimé, j'ai juste tout caché.

Et tous nos souvenirs m'engloutissent d'un seul coup. Maël et moi à la piscine, en balade, sur mon lit. Je me sens bête de penser encore à lui après tout ce qu'il s'est passé mais c'est plus fort que moi.

Je balance mon téléphone à travers la pièce dans un éclair de rage et fonds en larmes. Je décide de me lever pour aller voir Ezra, parce qu'il est le seul qui m'apaisait avant et j'ai besoin de lui maintenant. Mais une fois devant sa porte, je n'ose pas toquer. Je soupire et rejoins le canapé pour regarder un film. Je ne cherche même pas un titre en particulier et lance une série au hasard.

Blottie dans un coin et un oreiller entre les bras, je rêvasse. Je ne pleure plus. Mes pensées se mélangent et tout est incohérent.

- Viens.

Perdue dans mes pensées sombres, je n'entends pas Ezra me rejoindre. Il est désormais assis à côté de moi et me tend sa main. Je l'attrape sans réfléchir, n'ayant plus de force pour lutter. Mon frère m'attire à lui et ma tête tombe sur son épaule. Je suis presque allongée et l'effet est immédiat : je suis fatiguée et prête à m'endormir d'une seconde à l'autre. Ezra ne dit rien, il se contente de caresser mes cheveux et de tenir ma main dans celle qui est libre. Mes pleurs diminuent et je renifle discrètement en fixant l'écran.

- Juste pour ce soir, faisons comme si rien ne s'était passé. Nous sommes juste Ezra et Éléonore, deux frères et sœurs inséparables.

J'acquiesce en silence et serre ses doigts dans les miens.

- Où sont les garçons ?

Ma voix est encore faible et j'ai du mal à respirer. J'ai versé trop de larmes.

- Corentin a sorti un matelas dans sa chambre, Côme dort dessus pour ce soir.

La voix d'Ezra est grave et posée. C'est comme s'il ne me détestais vraiment plus. C'est comme... avant.

- Tu ne dormais pas non plus ?

- Je t'ai entendue te relever.

Il a toujours su à quel point les nuits étaient difficiles pour moi. Ezra était le premier à me rejoindre pour me réconforter ou à m'accueillir dans sa chambre pour m'aider à me rendormir. J'apprécie que cette habitude revienne le temps d'un soir.

- Tu sais, tu as le droit de venir me réveiller si tu en ressens le besoin.

Je relève enfin les yeux vers lui et croise son regard. Il ne présente aucune animosité, juste de la bienveillance.

- J'ai perdu ce droit il y a bientôt six mois, j'en suis bien consciente.

- Tu n'as rien perdu. Tu as gagné le droit de reprendre cette place, Éléonore. Enfin... je veux dire que rien n'est irréparable. On a tout les deux fait des choses qu'on regrette.

C'est la première fois qu'il me parle si gentiment et qu'il laisse la porte ouverte aux excuses.

- Merci Ezra... tu sais je...

Et je ne parviens pas à finir ma phrase. Je sombre dans un monde où tout est sombre et où la lumière n'a pas sa place.

Je m'évanouis.

***
J'ai froid. Je sens mes muscles tremblés de partout et je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Mes paupières sont si lourdes que je n'arrive pas à les ouvrir. Des voix semblent vouloir me parler mais je ne comprends rien.

- Éléonore...

C'est Ezra. Je me force à ouvrir les yeux et croise son regard inquiet. Ses sourcils sont si froncés qu'ils se touchent presque et une veine barre son front. Il a eu peur pour moi.

- Putain tu m'a fait peur.

Il serre ma main dans la sienne et je situe mieux où nous sommes. Je suis allongée dans mon lit et mon frère est à mon chevet. Je transpire, mes fringues me collent au corps et j'ai mal à la tête.

- Tu t'es évanouie, Lenny.

Mon surnom lui échappe naturellement. Il s'en rend compte en même temps que moi mais ne dit rien.

- J'ai eu peur.

- Ça, tu l'as déjà dit.

Je souris pour détendre l'atmosphère et le rassurer mais ça ne marche pas. Mon frère me regarde comme si une corne était apparue au milieu de mon front, en soupirant.

- Ne fais pas ça Éléonore. Ne fais pas comme si ce n'était rien. Parle-moi.

Il lâche ma main pour se tirer les cheveux ; tic nerveux chez lui. Je m'en veux de lui provoquer du stress.

- Désolée. Je ne sais pas quoi te dire.

Je fixe l'horloge accrochée au mur juste en face de moi et constate qu'il est bientôt deux heures du matin.

- Je n'ai pas appelé les pompiers ni les parents juste pour te laisser le temps de me parler. Parce qu'on a toujours eu l'habitude de prendre des décisions ensemble et de s'aider. Alors c'est ce que j'ai fait. Enfin... je crois. Mais si tu ne me dis rien, si nous n'arrivons pas à nous parler, je te fais repartir d'ici et on ne se reverra plus.

C'est une menace ? J'en ai bien l'impression. Ezra gère mal les situations difficiles et je le connais assez pour savoir que tout ça lui échappe et qu'il déteste perdre le contrôle.

- Je n'arrive plus à manger depuis que tu es parti.

Je tourne la tête du côté opposé à mon frère pour ne pas avoir à subir son regard. Je vais enfin pouvoir lui dire tout ce que je vis depuis son départ.

The harmony of our heartsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant