Les larmes de la mer

Chapitre 1

Dans le port régnait une odeur âcre, accentuée par les odeurs de poisson ramenés par les pêcheurs. Des marins éméchés prenaient place à bord de leur navire, certains pour une durée indéterminée. D'autres corsaires se préparaient à prendre la mer, tandis que des bateaux militaires accostaient.

Une certaine agitation indiquait qu'un événement plus qu'inhabituel s'était produit. Les garçons de port étaient demandés partout, chacun inventant une autre version de ce qui s'était passé la veille.

Les bruits de pas étaient omniprésents, accompagnés des cris des matelots et de leurs supérieurs. Une atmosphère étrange emplissait ce lieu de vie, permettant à quiconque de comprendre le côté inhabituel de la chose.

Des groupes de discussion se formaient, on observait des marins d'ordinaire totalement ivres mener des débats politiques sans aucun mal.

Observant tout ce remue-ménage de loin, le capitaine Dawson avait un air assez réjouit qui s'accentua quand il fut rejoint par son lieutenant, De Booth. Ce dernier s'était laissé pousser une barbe blonde qu'il venait de faire tailler. Son uniforme était impeccable, preuve qu'il était soigneux ou bien que son supérieur ne tolérât aucun écart.

À l'arrivée de son second, le capitaine se mit à inspirer l'odeur de la mer tout en fermant les yeux. Il adorait cet endroit, encore plus aujourd'hui. Se tournant vers le lieutenant De Booth, il osa enfin dire à haute voix ce qui lui brûlait les lèvres depuis qu'il était rentré :

« Alors, cela a bien eu lieu. »

Le lieutenant s'attendait à ce qui allait suivre. Evitant de plonger trop intensément dans le regard de son supérieur, il hocha la tête.

« Oui mon capitaine.

— Quel dommage d'avoir manqué un moment pareil. Enfin, la couronne avait besoin de L'étoile Filante pour assurer sa protection. «

De Booth acquiesça sans un mot. Il savait à quel point le capitaine aurait aimé être présent. Mais la reine avait réclamé son navire, L'étoile Filante, pour escorter la flotte transportant un ambassadeur de retour d'Espagne, et il n'avait pas eu son mot à dire. Heureusement pour lui, le jeune lieutenant avait pu assister à l'événement de l'année : une pendaison très particulière.

Dawson reprit :

« Qu'en est-il d'elle ? Était-elle angoissée ?

— Si elle l'était, elle n'en a montré aucun signe. Son calme était olympien monsieur.

— A-t-elle pleuré ? A-t-elle versé des larmes de désespoir face à sa fin misérable ?

— Non, mon capitaine. »

Dawson eue une moue déçue, bien que sachant à quel point il y avait peu de chances que cela se produise. Elle avait sa fierté, même dans la mort. Ce n'était pas si surprenant.

« A-t-elle dit quelque chose au moment de trépasser ?

— Oui, mon capitaine. »

De Booth marqua une pause, observant le visage de son interlocuteur. Ses yeux verts étaient ternes, mais en eux régnait un éclat vil, avide de sang. Pouvait-il réellement tout lui conter, dans les moindres détails ? Les traits tendus et secs de son capitaine l'incitaient au contraire, pourtant il prit son courage à deux mains et dit calmement :

« Elle s'est mise à chanter. »

Dawson fronça les sourcils, confus.

« Quelles inepties a-t-elle bien pu chanter ?