Chapitre 13

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Narcisse avait lâché ses cheveux, et elle avait l'air de profiter de chaque instant. Le visage dans le vent, ses boucles venaient lui fouetter le visage avec force, mais elle n'avait pas l'air de s'en soucier. Ses grands yeux translucides étaient ouverts sur le monde, comme s'ils voyaient tout et rien à la fois, présente et ailleurs dans cet univers.

Elle portait une robe, cette fois-ci. Elle l'avait enfilée quand ils venaient à peine de quitter le port, profitant de la cabine de capitaine d'Adryanna. Ce n'était pas le même genre de robes que revêtait la haute société, des robes complexes et si imposantes qu'on se demandait comment marcher avec. Là, le tissu était fin, léger. Elle portait une robe blanche, ce qui était assez déconcertant avec la saleté présente sur le pont, mais étrangement elle la portait bien. Ses cheveux blonds tranchaient malgré leur clarté, et sa peau pâle n'était que mieux fondue parmi le tissu.

Adryanna ne put s'empêcher de rire silencieusement. Cette voleuse, qui avait menacé des hommes avec une épée la veille, et qui avait l'air de mener une vie tout sauf normale, n'avait plus l'air aussi intimidante dans cette tenue. Etrangement, elle la trouvait presque noble et hautaine, tout d'un coup. Ismaël s'approcha de sa fille silencieusement, l'air ailleurs.

« Est-ce que tu vas bien ? »

Son regard exprimait une grande inquiétude, qu'elle ne l'avait pas vue depuis la veille quand il s'était interposé entre la voleuse et la garde. Adryanna prit le temps de réfléchir quelques secondes à ses émotions, avant de répondre.

« Je crois. Hier, c'était éprouvant, vous le savez. Mais je suis certaine que la nouvelle ne s'ébruitera pas de trop, et... »

Elle se mordit la langue. En réalité, ce qu'elle n'osait pas admettre, c'était qu'elle était soulagée d'avoir accompli quelque chose. Elle avait une part de fierté à l'idée d'avoir sauvé quelqu'un d'autre, et la mort de cet homme était terrible mais elle ne pouvait s'empêcher de se dire que c'était un dommage collatéral. Elle avait protégé quelqu'un, en contrepartie d'un prix qu'elle n'avait jamais voulu payer, mais... N'était-ce pas quelque chose de normal, quand on essayait de se faire une place dans ce monde ? Elle n'avait jamais connu que la mort de sa mère, le reste était pour elle un vaste océan de douleurs inconnues et de situations confuses. Elle était faite pour naviguer, mais ne connaissait rien de la vie sur la terre ferme. Peut-être que ces choses étaient inévitables. Enfin, elle cherchait surtout à se rassurer. Ismaël ne sembla rien remarquer, et l'observa avec attention tandis qu'il rangeant son compas.

« Et ? Tu sais, tu as fait ce qu'il fallait. Je n'ai jamais voulu en arriver là, tu... »

Il déglutit en détournant le regard. Son air coupable n'échappait pas à sa fille, c'était comme le nez au milieu de la figure.

« Vous n'y êtes pour rien, père. »

Elle lui sourit avec sincérité en posant sa main sur son épaule. Elle le pensait, même si au fond d'elle elle avait conscience que c'était son père qui l'avait poussée à défendre cette inconnue. Mais il n'avait pas besoin d'un énième poids sur sa conscience, déjà trop lourde.

« Et je vous assure que je vais m'en remettre.

— En fait...Je préfèrerais que tu ne t'en remettes jamais. »

Elle fronça les sourcils et ses yeux se mirent à cligner de façon incontrôlée, décontenancée. Que voulait-il dire ? Elle avait eu un mouvement de recul, son regard figé sur lui. Il soupira.

« Ce...ce qui s'est passé, hier... Ce n'est pas rien. C'est grave. Prendre... une vie, ce n'est pas rien. Et, pour que tu le mesures, il vaudrait mieux que jamais tu ne te remettes totalement du choc, afin que... Afin que tu ne perdes jamais de vue la valeur de la moindre vie. Tu vois ce que je veux dire ? »

Les larmes de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant