Une année plus tard, à la Résidence familiale des Windsor.
« Eh bien Adryanna, vas-tu finir par venir ? Il va arriver et tu ne seras pas encore prête ! »
Une voix aiguë et pressée lui répondit, dans le stress et la précipitation.
« J'arrive ! »
En bas, l'homme attendait sa fille avec un léger sourire à peine dissimulé. Sa barbe, parfaitement taillée pour l'occasion, lui conférait un air distingué qui n'était entaché que par les rares cheveux blancs dispersés, qui rappelaient ses années passées. Il avait le dos droit, le port noble, et ses traits étaient d'une douceur paternelle à chaque instant, aussi charismatique que calme. Ses yeux, quant à eux, étaient d'une clarté exceptionnelle, comme d'une teinte marron que l'on aurait étiré au maximum pour voir jusqu'où l'on pouvait aller sans perdre la couleur, irréelle.
Ismaël avait beau connaitre sa fille, sa capacité à être en retard pour ce genre de choses l'impressionnait toujours. Elle pouvait se préparer avec une avance digne des plus grandes divas, mais semblait toujours avoir quelque chose à penser ou rajouter.
Au dehors, un bruit de calèche et de chevaux commençait à être perceptible, arrivant peu à peu sur le chemin de terre de leur maison, et il ajusta son habit dans un geste un peu plus pressé. Son regard se portant sur la porte et la fenêtre, il cria pour se faire entendre d'Adryanna :
« Les chevaux arrivent, tu ferais mieux de descendre ! »
En haut, un grand bruit d'agitation se fit entendre, signe qu'elle se pressait un peu plus encore, ce qui l'amusa intérieurement bien que son visage ne montrât qu'une réflexion et un sérieux certains. Il était concentré dans son rôle, fidèle à son rang, et même les actions et traits de caractère de sa fille ne lui feraient pas oublier les bonnes manières.
Sortant sur le porche de la maison, ce fut tout juste s'il eut le temps de voir les chevaux s'arrêter, avant que la porte du carrosse ne s'ouvre enfin.
C'est là qu'il sortit. Elijah.
Sa peau était d'une ébène mate, sombre et en même temps plus clair que la plupart des esclaves que l'on trouvait dans la région. Ses yeux, d'un marron tendre, s'accompagnaient parfaitement avec ses lèvres d'une douceur peu commune. Il était grand, mais pas de trop, mince mais pas filiforme. Sa barbe était taillée à peine plus courte qu'à la mode, et ses cheveux parfaitement rangés et fins. En soi, il avait toutes les caractéristiques d'un parfait gentleman de l'époque, si l'on en oubliait ses origines.
Son passé et son parcours étaient d'ailleurs parfaitement invisibles à cet instant, effacés par le charisme et la classe qu'il respirait, comme s'il était né pour ce rôle. Il avait beau ne pas avoir reçu l'éducation d'un parfait gentilhomme, cela ne l'empêchait pas de se comporter bien mieux que la plupart d'entre eux.
Ismaël s'inclina aussitôt d'un geste très lent et respectueux, gardant la pose quelques instants avant de redresser le visage en lui souriant.
« Mon cher Hopkins, c'est un plaisir...
— Plaisir partagé Monsieur Windsor, je n'aurais pas pensé vous revoir aussi vite. »
Elijah était descendu du carrosse, remettant son habit de pourpoint en regardant l'homme en face de lui. Un simple sourire éclairait ses traits, d'un air sincère et plein de calme. Ses traits étaient doux, étant ceux d'un homme qui sait qu'il peut accorder sa confiance sans avoir à se méfier et non pas sur la défensive. Il avait l'air humble, et avenant, des qualités qui avaient toujours su trouver grâce aux yeux du quarantenaire se trouvant en face de lui.
Le regard d'Elijah se porta sur la résidence qui se trouvait en face de lui, tandis qu'il l'examinait avec patience et d'un œil aiguisé. Des portes noires, immenses, forçaient respect en dévoilant la fortune de ses occupants sans même avoir à les observer de près. La résidence, s'imposant sur deux immenses étages, semblait n'en plus finir. Elle était située sur l'extrémité d'une terre donnant sur la mer, au-dessus de la plage mais tout le versant Est offrant une vue plongeante sur les flots. Il y avait des multitudes de fenêtres, comme si l'on avait craint un jour manquer de lumière au sein de l'habitation.
Une étable était située en surcroît du lieu, juste en face de la maison, ainsi que quelques domaines en plus descendant sur la pente de l'immense jardin labyrinthe, sur la droite de la maison.
Les yeux emplis de curiosité de l'ancien esclave parcouraient l'habitation du regard, mais ses yeux semblaient vouloir percer bien plus profondément encore. Quiconque le regardant de près aurait pu remarquer qu'il semblait chercher très subtilement quelque chose, quelque chose de bien moins palpable que ces planches et ces moulures.
Ismaël, sachant parfaitement ce que son regard était désireux de trouver, eut intérieurement un rire silencieux. Il répondit à l'inverse d'un ton ferme et poli, sans rien laisser paraître et toujours très protecteur lorsqu'il s'agissait de ce sujet :
« Si vous voulez bien me suivre, je suis convaincu que ma fille nous rejoindra sans tarder. »
Elijah hocha la tête, ayant conscience que le père de la jeune fille n'était absolument pas dupe, et commença à le suivre à l'intérieur tandis qu'un bruit attira son attention, venant des escaliers. Les deux hommes relevèrent la tête en se tournant du côté du bruit, tandis que déjà le cœur du capitaine manquait un battement face à sa vision.
Elle était juste en face de lui. La femme qu'il aimait tant descendait les escaliers, dans une marche rapide et effrénée, faisant se demander à chacune des personnes présentes comment elle faisait pour ne pas manquer une marche. Ses cheveux bouclés se soulevaient au rythme de ses pas, s'agitant de part et d'autre de ses épaules, les yeux baissés sur ses chaussures et ses pas. Elle portait alors une robe d'un vert sombre, semblable à celui des feuilles d'été. La robe donnait un aspect éclatant à son teint un peu plus rosé que d'habitude, dû à la course, faisant ressortir ses joues arrondies et la rendant plus attendrissante que jamais.
Se rendant compte qu'elle était trop pressée et que deux gentlemans l'attendaient en bas, Adryanna releva la tête en se stoppant quasiment de façon nette. Son port de tête se redressa et son regard croisa enfin le sien, tandis que son souffle se figea en même temps que les traits de son visage.
Cela faisait tellement longtemps qu'elle attendait qu'il vienne la voir. Tellement longtemps qu'ils échangeaient par lettre, parlaient de leurs voyages et de leurs sentiments. Et aujourd'hui, il était enfin là, en face d'elle, à la regarder comme s'il n'avait jamais rien vu de tel.
Retenant le sourire qui ne faisait que grandir sur ses lèvres, la jeune femme descendit le reste des marches avec classe et élégance, sa main effleurant la rambarde boisée sur le côté. Ses pas traînaient au sol, faisant se mouvoir sa robe à chaque geste, son regard ne quittant pas celui du lieutenant.
Elle était rayonnante, c'était le moins que l'on puisse dire. Et il n'en revenait toujours pas de la voir en face de lui après tous ces mois.
Arrivée en bas des escaliers, Adryanna eut quelques secondes d'hésitation en regardant son père. Elle adorait l'homme qui l'avait élevée, mais mourrait littéralement de sentir la chaleur des bras d'Elijah, bien qu'ils ne fument pas encore fiancés. En face d'elle, son père sentit son hésitation, ses sourcils se durcissant à peine en jetant un bref regard à l'homme à côté de lui, puis en regardant à nouveau sa fille.
Elle comprit aussitôt le message, et reporta ses yeux brillants de vie et de bonheur sur celui qui possédait déjà son cœur, s'inclinant à peine pour le saluer.
« Monsieur Hopkins... Me voilà ravie de vous voir enfin arrivé. »
Elijah réprima un sourire face à l'air presque malicieux qu'il reconnaissait sur les lèvres d'Adryanna. Seigneur, ce qu'elle lui avait manqué. Il s'inclina à son tour, bien plus bas, ses yeux se plantant dans les siens en l'admirant.
« Miss Samaras... Vous n'avez pas idée de combien il est bon de vous revoir. »
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Les larmes de la mer
AventureAdryanna est corsaire. Depuis l'enfance, cela a toujours été le but ultime de sa vie, prendre la mer pour faire régner la loi. Quand son père disparaît dans une expédition douteuse, ce sont tous ses repères qui s'envolent, en même temps que sa raiso...