Chapitre 4

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Devant le portail du palais se trouvaient deux gardes, parfaitement immobiles. L'un en face de l'autre, leur neutralité de visage n'avait d'égale que leur droiture de corps, le visage encadré par leur attirail militaire. Leur moustache était impeccablement bien relevée, accompagnant une barbe en forme de pic qui était plus que tendance. Ils respiraient de façon quasiment imperceptible, le soleil devant probablement leur tenir bien plus chaud que ce qu'ils laissaient paraitre sous leur accoutrement.

Tout semblait paisible à cet instant, en parfaite harmonie. Comme si cet après-midi n'en était qu'un parmi tant d'autres, un moment de plus où le bruit des mouettes couvrait à peine les bavardages des passants de l'autre côté de la grille royale. Mais, quand une silhouette se détacha de la porte du palais, l'équilibre si fragile et mince qui semblait régner se retrouva chatouillé par une aura trop négative.

Car en effet, elle bouillonnait. D'extérieur, il n'en paraissait rien, mais intérieurement tout son être tentait de ne pas céder à l'appel de la colère qui grondait dans ses membres.

Saluant d'à peine un signe de tête les gardes qui se trouvaient à l'entrée du palais, la jeune femme redressa la tête en déglutissant. Ses yeux étaient plus sombres que jamais et son visage était tendu par l'effort que lui demandait la maitrise de sa colère. N'importe qui d'extérieur n'aurait pu deviner tout le trouble qui prenait place au sein d'elle, mais à en juger par ses sourcils froncés et son nez plissé, les indicateurs semblaient clairs.

Il lui semblait à cet instant que tout, absolument tout était dirigé contre elle. Ses doigts cherchaient les ongles de sa main opposée pour mieux se les triturer, déchargeant sa nervosité sur son corps qui n'avait rien trouvé de mieux que de s'auto-attaquer.

Elle se mordait intensément la lèvre, les pensées se bousculant dans sa tête.

S'y contraignant, elle prit une profonde et longue inspiration, passant sa main dans ses cheveux bouclés. Sa tête bascula en arrière, en direction du ciel. Ce qu'elle pouvait détester ces aristocrates trop gâtés.

Sous un prétexte d'expérience et de sécurité, la reine l'écartait de la plupart des missions les plus importantes. Elle, qui avait tant donné pour la couronne et dans le but de pouvoir enfin un jour accomplir toutes les missions qu'on voudrait lui confier, se retrouvait à faire des expéditions banales et sans réel danger. Elle avait été entraînée à l'épée par son père depuis qu'elle savait marcher, se débrouillait mieux sur un navire que la plupart des amiraux et corsaires de la flotte, mais malheureusement elle appartenait au sexe faible.

Cela avait déjà été un réel progrès de se retrouver à la tête d'un bateau. Et il y avait eu grand bruit, à la suite de cette décision. Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser que sa place n'était pas juste sur un bateau pour faire joli à côté des cargaisons de commerces. Non, elle était née pour l'action. Elle voulait faire partie de ces équipages qui revenaient fiers d'avoir combattu. Certes, parfois avec un prix élevé, mais elle savait plus que quiconque que la mer n'était pas du genre à offrir des cadeaux sans jamais réclamer de dû.

Elle essuya son front qui commençait à luire, et secoua la tête en regardant autour d'elle. Personne ne semblait vraiment lui prêter attention, enfin mis à part les femmes qui jugeaient de façon évidente son habit. Elle eut un léger sourire. Cette époque n'était pas vraiment un temps révolutionnaire, en matière de droits des femmes. Mais pour elle, elle avait gagné bien plus que tout son sexe en l'espace de seulement quelques années.

Elle avait réussi à se faire inviter à l'école maritime de sa Majesté, spécialement mise en place pour former les futures corsaires de la flotte. La première femme à rejoindre ce programme si spécifique. Elle ne savait toujours pas comment son père avait réussi à la faire entrer, ni ce que cela lui avait couté, mais elle savait combien elle avait été heureuse de pouvoir faire ses preuves là-bas... Cela faisait partie des années qu'elle n'aurait échangées pour rien au monde.

Elle aurait aimé que sa mère soit là pour la voir. A cette pensée, ses lèvres se pincèrent et elle passa sa main dans sa nuque pour gratter des imperfections amplifiées par son imaginaire. Cela faisait évidemment des années que celle-ci n'était plus à ses côtés, mais pour autant chaque acte que la corsaire accomplissait lui paraissait trop vide de sens si celle qui lui avait donné la vie ne pouvait être là pour y assister.

Elle n'avait pas toujours eu un caractère bien trempé. Elle, qui était née audacieuse, était aussi une vraie froussarde. Pour autant, lorsqu'elle s'était retrouvée entourée d'hommes, qui eux étaient réellement à leur place, elle avait dû faire ses preuves et surmonter ses peurs. C'est ce qui l'avait forcée à se dépasser.

Et bien sûr, son père l'avait aidé plus que quiconque n'aurait jamais pu le faire, alors même qu'elle se trouvait à distance de lui.

Cette pensée la fit sourire, et elle sentit que petit à petit sa colère était redescendue. Repenser à ces souvenirs chers à son cœur l'aidait à se changer les idées, et à retrouver de la clarté dans son esprit. Malgré tout, c'était une belle journée. Et elle avait navigué pendant des mois, il était temps de rentrer avant de penser à repartir. Le vieil Ismaël aurait souri à cette idée. Enfin, avant de la railler pour l'avoir qualifié de vieux, mais ce n'était qu'un détail.

Elle se mit en route jusqu'à la place principale de la ville, le pas assuré mais tranquille. Elle n'était pas pressée.

Tandis qu'elle s'engageait dans des petites rues, elle sentit l'étau des marcheurs se resserrer autour d'elle et presque la compresser, les épaisses robes des dames prenant sur les pavés plus de place encore que leurs impressionnantes ombrelles. Elle se prit au jeu de comparer les étoffes et robes de chacune des dames, un petit sourire en coin flottant sur ses lèvres.

Deux femmes marchaient côte à côte, l'une d'elle ayant une de ces robes dernière mode à la dentelle fine sur les manches, tandis que l'autre portait encore une pièce d'un modèle plus ancien. Même parmi les riches, il y avait des distinctions parfois minimes.

Autour d'elle, des voix ne cessaient de converser, autant les passants que les commerçants sur le côté, essayant à tout prix de vendre quelque chose à une de ces dames fortunées. Elle tendit l'oreille quand elle passa non loin d'un groupe de femmes occupées à regarder des étoffes.

« Mais voyons, il paraitrait même que le fils du gouverneur ne serait pas le sien !

— D'où tenez-vous cela ?

— D'une servante de la reine elle-même !

— Une telle chose, tolérée ? Par notre Reine ? Vous êtes folle, cela ne saurait arriver... »

La marche de la jeune femme fut entravée par un boulanger qui agitait ses pains sous ses yeux, répandant une odeur subtile mais alléchante d'une chaleur douce mêlée à la farine.

« Madame, un bout de pain pour le voyage ? Vous m'avez l'air bien partie pour ne pas rentrer avant longtemps ! »

Elle lui sourit en déclinant la proposition. Entre-temps, les dames s'étaient remises en chemin et elle-même reprit sa marche difficile au milieu d'une portion de rue absolument bondée. Une bride de conversation la fit ralentir.

« Avez-vous vu sa tenue... ? Il s'agit sûrement d'une des corsaires de sa Majesté...

— Nul doute que celle-ci a dû jouer des pieds et des mains pour arriver où elle en est. Ce n'est pas un travail convenable pour une jeune femme, passer des mois seule sur un bateau avec des hommes. »

Une petite moue échappa à Adryanna. Tout n'était qu'une question de point de vue. Pour elle, passer des mois et des mois sans avoir l'une de ces harpies à côté d'elle pour lui faire des leçons sur sa vie était une bénédiction.

Une voix attira son attention soudainement, l'interpelant tandis qu'elle était encore dans ses pensées et la faisant se retourner de façon instinctive. Elle fronça les sourcils en voyant qui s'approchait d'elle.

« Madame Samaras ? » 

Les larmes de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant