Chapitre 3

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Plus il la regardait, plus il la trouvait fascinante. Il était sorti de la profondeur de ses yeux pour contempler le reste de son visage, et rien de ce qu'il avait vu ne l'avait jamais autant attiré. Elle avait la peau d'une teinte parfaite, à mi-chemin entre la craie et l'ébène, d'un teint trop clair pour une métisse, mais trop foncé pour être autre chose, ce qui confirmait ses interrogations sur ses origines. Elle n'était pas anglaise, cela se voyait. Pourtant, elle n'avait aucun accent dans la voix, aucune trace d'un quelconque déracinement pour l'Angleterre, et c'était ce qui l'intriguait le plus.

Et ses cheveux. Il ne se lassait pas de les regarder. Ils étaient si longs et leurs boucles si parfaites qu'on aurait cru à un dessin, comme si elle était tout droit sortie de l'œuvre d'un peintre, des boucles brunes d'un sombre illuminé par le soleil venant entourer parfaitement ses épaules. Son visage était rond mais ses traits fins et bien dessinés, des joues à peines creusées lui conférant une féminité sans pareil et pourtant un air qu'on aurait pu qualifier d'attachant au premier de ses sourires, comme si l'innocence d'une enfant et la délicatesse d'une femme s'y retrouvaient mêlés.

C'est pendant qu'il s'arrêtait sur la finesse et le contour de ses lèvres qu'elle se tourna vers lui, d'un léger geste qui était léger et amusé, son sourire retroussé sur le côté gauche de ses lèvres, les yeux plissés sous l'amusement et la suspicion.

« Ai-je rêvé ou es-tu réellement en train de me fixer, cher Elijah ? »

Il devint aussitôt un peu plus pâle à ces mots et déglutit en baissant les yeux, soudainement très mal à l'aise de n'avoir remarqué combien il était redevenu insistant. A nouveau elle eut ce rire, ce rire qui aurait pu convaincre une armée de la suivre tant elle était douce, naturelle et légère quand elle en usait, provocant des sensations agréables et contagieuses dans son for intérieur.

« Je vous prie de m'excuser, Madame. »

Adryanna se pencha un peu plus vers lui en marchant, son expression amusée se transformant en un air attentif, presque soucieux. S'il n'avait pas été autant dans le but de s'intégrer et de faire bonne impression, il aurait pu avoir envie de fuir six pieds sous terre tant il était craintif de ce qu'elle pouvait lui dire. Il ne savait pas à quoi s'attendre avec elle, avec ceux qui faisaient partis comme elle de la noblesse, et n'avait jamais été à l'aise avec les femmes.

Pourtant, de sa voix calme et vivante, d'une tonalité suave et franche, elle lui demanda :

« Est-ce que tu as peur de moi, Elijah ?

— Non Madame. »

Elle reprit de lui sourire, l'air sincèrement et réellement doux, toute la compassion et la bienveillance en elle se lisant dans ses yeux qui ne lui avaient jamais semblé si agréables à regarder. La différence de ses pupilles rendait sa bienveillance encore plus marquante, ses grands yeux semblant indiquer qu'elle ne pouvait mentir.

« Tant mieux, car j'en aurais été vexée sinon... Tu es un bon marin, Elijah, je le vois dans ton regard. Mais ne laisse pas ta couleur de peau te faire croire que tu leur es inférieur, tu n'as pas à t'écraser pour ces gens... »

A ces mots, Elijah ne put se retenir et la regarda. Elle savait de quoi elle parlait, il le lisait clairement dans le ton de sa voix. Elle avait beau ne pas être de son origine, elle savait ce que c'était que de grandir au milieu d'un peuple blanc différent à soi.

Son regard se fit plus fort, moins timide, comme s'il avait besoin de s'assurer qu'elle disait vrai. A cet instant, elle pouvait lire dans ses yeux une détermination bien plus forte que ce qu'elle avait vu, comme si l'homme derrière l'ancien esclave se révélait, qu'il montrait son existence. Une détermination féroce derrière une apparence de fragilité, qu'elle avait dès le départ deviné, et elle sut qu'elle avait visé juste.

Elle esquissa un léger sourire satisfait, reportant son regard sur les rues de la ville où elle ignorait toujours avec un naturel sans égal les regards que l'on lui lançait. Elijah savait qu'elle était en train de se mettre à dos une immense partie des habitants de la ville, en lui adressant ainsi la parole et en le regardant de cette façon. Si une seule personne l'avait entendue...

Préoccupé par ses paroles et voulant y réfléchir, le mousse baissa les yeux sur le sol, un peu moins bas que la première fois. Leur trajet se poursuivi quelques instants encore dans le silence, comme si chacun voulait méditer sur ses propres voies.

Elle secoua légèrement et de façon quasi-imperceptible la tête en arrivant vers le palais de la Reine, l'air bien plus sérieux et préoccupé que quelques minutes auparavant. Elle avait l'air dans ses pensées, et malgré lui le marin ne put s'empêcher de la regarder du coin de l'œil, se demandant quels pouvaient être ces dernières. Ses traits, à cet instant, faisaient prendre à peine quelques années de plus à ce visage qui semblait si jeune. Si jeune, et pourtant empreint d'une assurance rare, comme si elle avait déjà vécu auparavant.

Elle regardait devant elle, ne perdant à aucun moment la douceur de ses traits malgré sa réflexion, comme si ceux-ci étaient toujours imbibés de cette dernière peu importe le contexte.

« Nous en reparlerons Elijah, je crois qu'il me faut te laisser ici. »

Se tournant vers lui, elle hocha la tête en signe de reconnaissance, d'un geste appuyé et très lent. Son port de tête était très noble, et contenait toujours autant d'élégance que si elle se présentait à un amiral, le dos droit.

« Je ne pourrais pas assez te remercier de m'avoir servi de guide aujourd'hui, bien que je connaisse cette ville j'ai toujours en moi une... certaine crainte de me perdre. »

Pourquoi lui disait-elle cela ? Elle n'avait pas à se justifier, elle était corsaire. Tout le monde savait qu'il fallait obéir à ces êtres au service de sa Majesté. Pourtant, il lui sourit légèrement en retour, d'un sourire très bref et très léger, mais qui montrait sa gratitude envers ses mots.

« Je vous en prie Madame, c'était mon devoir. »

En l'entendant parler, son sourire s'agrandit quelque peu, comme si elle y trouvait quelque réconfort. Il perdit son propre sourire, assez décontenancé encore une fois par son comportement. Pourquoi souriait-elle ? Était-ce son accent étranger qui provoquait son rire, ou bien autre chose ?

Il ne cessait de se questionner intérieurement, alors qu'elle mettait la main dans son manteau afin d'en sortir quelques pièces. Elle les lui tendit alors dans un sourire fier et qui, encore une fois semblait refléter toute la bienveillance au monde, parlant avec calme et sourire.

« Merci, Hopkins. »

Elle se détourna en repartant, n'attendant aucune réponse et sortant son sceau pour pouvoir franchir les gardes de l'entrée du palais. Derrière elle, le mousse était totalement désorienté. Les pièces qui étaient dans sa main lui paraissaient intensément lourdes, comme si elle lui avait confié ses propres tourments. Et puis, il y avait autre chose. Elle l'avait appelé Hopkins. Comme s'il était son égal, un confrère corsaire. Cet élément était celui qui le troublait le plus, ne comprenant pas pourquoi elle avait fait une telle chose. Cette femme était un mystère, et bien qu'il sût à cet instant qu'il ne la reverrait pas avant un certain temps, il sentit en lui une envie nouvelle, celle de lui parler à nouveau et d'apprendre à apprivoiser ce mystère. C'était ridicule, spontané, mais c'était instinctif.

Il aurait voulu qu'elle lui raconte d'où elle venait, et d'où lui venaient cette douceur qu'elle transmettait, surtout à un homme tel que lui. Pourquoi diable ne l'avait-elle pas méprisé, surtout en public ? Elle devait avoir rencontré d'autres personnes avec des origines variées. Peut-être elle-même en était-elle issue. Il mourrait d'envie de savoir, mais la curiosité n'était pas aussi forte que la douceur agréable qu'il ressentait au sein de son cœur.

Il la regardait partir au loin, et eut le réflexe brusque de remettre les pièces dans son propre habit, se trouvant insensé de ne l'avoir fait plus tôt. Cette femme lui faisait totalement perdre contenance, et il en avait conscience.

Se raisonnant, il détourna les yeux et se remit en route pour le port, reprenant l'habitude de baisser la tête comme s'il ne valait pas plus que le sol. Au moins avait-il eu l'impression de valoir mieux, durant un instant. 

Les larmes de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant