Chapitre 12

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Elijah lui lançait quelques coups d'œil, au loin. Il semblait ne pas vouloir la laisser, pourtant il allait falloir : leur navire était censé repartir d'ici à peine deux heures. A leurs côtés, Ismaël semblait être totalement ailleurs. Un compas à la main, il s'était posé sur l'un des barils du navire pour mieux étaler ses cartes, et prendre les dernières indications sur leur trajet. Il ne cessait de parler à voix haute, lâchant parfois des phrases qui provoquaient soit l'hilarité des marins, soit des sourcils arqués. Il n'avait pas l'air de souffrir beaucoup de sa blessure de la veille, se tenant comme s'il n'avait aucune douleur, que rien n'était arrivé. Adryanna le regardait en soufflant du nez, l'air ailleurs. Elle avait beaucoup de choses à penser, ces derniers temps, la soirée d'hier n'étant pas en fin de liste. Et, surtout, la présence de Narcisse sur le bateau avait déstabilisé l'équipage. Une autre femme, c'était quelque chose qu'ils n'avaient pas vu venir. Elle lâcha un rire en répondant à un des marins, un petit blond aux yeux en amande.

« Non, nous ne serons pas de retour pour la nouvelle année. De quoi t'inquiètes-tu ? De ne pas voir le temps passer ? »

Elle fit une moue amusée, fière de son jeu de mots qui apparemment n'avait pas convaincu son subordonné.

« Non, je... Pardon capitaine, je... Je ne faisais que demander, c'était pour être sûr. »

Hochant la tête, elle se détourna pour tomber nez-à-nez avec un capitaine qu'elle ne connaissait que trop bien. Ses yeux s'illuminèrent en voyant Elijah, qui s'était approché sans qu'elle ne s'en rendre compte.

« Oh... C'est vous. »

Ils n'avaient pas reparlé de ce qui s'était déroulé, la nuit précédente. Leur proximité, et les actions pour le moins tragiques d'Adryanna. Pourtant, il agissait comme si seule leur proximité était le nouvel élément de leur relation, et la regardait d'un air complice.

« Je n'ai pas envie de prendre la mer. »

Elle haussa les sourcils, regardant d'un air nerveux les matelots autour d'elle pour être sûre qu'ils ne l'entendaient pas. Elle n'avait pas honte, mais la simple pensée qu'elle soit observée à cet instant l'embarrassait sans qu'elle ne le comprenne.

« Ah oui ? Pourquoi cela, vous êtes un excellent capitaine ? »

Il sourit un peu plus en coin, comme si la déstabiliser était amusant. L'air de rien, il posa sa main sur l'un des nombreux barils d'eau sur le pont, et regarda le ciel.

« Oh, je le suis, mais j'ai peur de ne pas réussir à maintenir la distance nécessaire entre nos deux navires. Vous comprenez, c'est une manœuvre délicate, de rester à distance. »

Elle éclata de rire sans pouvoir se retenir. Un rire doux, enfantin, et venant du cœur. Le regard pétillant, elle secoua doucement la tête comme si elle n'en croyait pas ses oreilles, l'air amusé et complice. Décidemment, cet homme ne cessait jamais de la prendre de court, et de la surprendre. La veille, ils étaient presque en train de se disputer à cause de préjugés, et maintenant ils en connaissaient tellement l'un sur l'autre que c'en était effrayant. Chacun connaissait l'un des secrets les plus sombres de son compagnon, et Adryanna n'en était que plus reconnaissante. En lui parlant de son passé d'esclave, il les avait mis sur un pied d'égalité qu'elle appréciait réellement. Elle fit une légère moue en inclinant la tête vers le ciel à son tour.

« Allons, je suis sûre que vous n'êtes pas du genre à faire des accrochages. Ce genre d'incident est relativement rare, dans notre milieu. Et, ce n'est que pour un mois supplémentaire. Vous n'aurez qu'à observer, et ajuster votre vitesse en fonction de celle de ce navire. »

Elle le regardait avec un amusement qu'elle n'essayait même pas de cacher. Ses yeux, plein de malice, dévisageaient Elijah sans pouvoir s'arrêter. Le capitaine de l'autre navire retint un rire qu'il ne put vraiment contenir, détournant le regard et rougissant sans s'en apercevoir. C'était un point facile à obtenir. Elle fit comme si aucune parcelle de leur conversation n'avait eu de double sens et tourna le visage en direction du port, un sourire en coin tenace au bord des lèvres.

« Qu'avez-vous pensé de la France ? »

Une voix les interrompit, pleine de sarcasme et d'amusement.

« Ce n'est pas un pays très accueillant, pour ce que j'en sais !

— Votre expérience n'est pas représentative, mademoiselle Von Keyserling ! »

Narcisse éclata de rire en secouant la tête, un coffre en bois dans les mains. Ses cheveux blonds étaient noués à la façon d'un homme, dans une queue de cheval trop floue pour être distinguée parmi ses boucles, et trop courte pour que tous ses cheveux soient pris à l'intérieur. Des nœuds étaient visibles de loin, et quelques mèches rebelles proches de son visage en atténuaient les angles. A côté d'elle, Ismaël la regardait avec complicité, comme s'ils partageaient un secret que nulle personne ne pouvait comprendre.

Adryanna lâcha un rire moqueur.

« La prochaine fois, si vous voulez être bien accueillie dans un pays, pensez à éviter les vols. »

Narcisse roula des yeux tandis que le père de la brune jetait un regard paniqué aux marins alentours, pour s'assurer qu'ils n'avaient rien entendu. Quand il vit que chacun était pris à ses occupations, et qu'ils étaient assez isolés pour que les paroles de sa fille n'aient été que prise à la légère, il s'autorisa un soupir. Elijah avait légèrement perdu de son sourire.

« Je crois, madame, que vous ne nous suivrez pas lors de notre retour à Londres ? »

Posant le coffre de bois sur un baril, Narcisse se hissa sur le bastingage pour s'y asseoir, et fit une moue mitigée. Elle ressemblait à une grande enfant, dans cette posture, avec ses jambes dans le vide et ses cheveux blonds volant dans tous les sens.

« Non, je ne pense pas. J'ai encore des choses à faire avant de venir à Londres.

— Votre frère n'y est-il pas ? »

Ismaël regardait Narcisse avec une sincérité qu'Adryanna ne lui voyait que rarement, uniquement envers les personnes qu'il appréciait réellement. La voleuse répondit à la négative.

« Pas que je sache. Ses affaires sont difficiles en ce moment, il essaie de se faire un nom, une place dans la société. Mais il va y arriver. »

Elle eut un léger sourire.

« J'ai confiance en lui. »

Adryanna lui rendit son sourire. Elle n'approuvait pas particulièrement la façon dont son frère s'y prenait, et elle savait qu'Ismaël aussi, pourtant ce dernier ne semblait pas s'en offusquer et était, bien au contraire, en train de vaquer à ses occupations comme si de rien n'était. Elle ne répondit rien et se contenta de saisir un biscuit dans une des caisses, adressant en même temps un signe de tête à Elijah pour désigner le navire à côté d'eux qu'il était censé commander.

« Eh bien, Elijah, n'allez-vous pas donner une direction à ces pauvres marins ? Je crois qu'ils auraient vraiment besoin d'un capitaine. »

Il jeta un regard plein de regrets en direction de son navire, et soupira en hochant la tête.

« Je crois que vous avez raison, le devoir m'appelle. »

Dans un sourire résigné, il la regarda comme s'il avait tout, sauf envie de quitter ce pont. Elle sourit en se mordant l'intérieur des joues. Elle non plus n'avait pas envie qu'il parte, mais... C'était amusant, de le voir obligé de partir alors qu'il mourrait clairement d'envie de rester. Et ils ne seraient pas si loin, en définitive. Ils pourraient s'apercevoir de loin, leurs deux silhouettes étaient plus que reconnaissables au milieu de ces hommes blancs. Elle lui adressa un clin d'œil complice.

« Prenez garde à ne pas couler, capitaine. »

Lâchant un rire doux et amusé, il secoua doucement la tête en lui adressant un signe de main.

« Croyez-moi, si je coule, vous serez la première à en être informée ! »

Les larmes de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant