Chapitre 5

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Bien des mois plus tard, sur un bateau au large des côtes françaises.

« Terre en vue, capitaine ! »

Un sourire éclaira les lèvres d'Adryanna. Ils arrivaient en France, enfin. Cela faisait d'innombrables semaines qu'ils étaient en mer, et que leurs provisions diminuaient. Elle en avait assez de manger des biscuits secs, et le peu de viande qu'ils avaient réussi à mettre de côté avait vite été décimé quand ils avaient eu besoin de consistance.

De plus, ils buvaient uniquement du rhum depuis déjà plusieurs jours, et elle sentait que son organisme n'était pas aussi résistant qu'il l'était au début de leur épopée. L'eau était impossible à conserver durant des mois, ils étaient obligés de la couper avec du rhum dans les barils. Au bout d'un moment, même en la mélangeant, celle-ci finissait par ne plus être buvable, et des vers faisaient leur apparition. Elle fit une grimace à cette idée, revoyant ses premières expéditions en tant que marin quand ces petites choses dégoûtantes grouillaient dans un baril. Et dire qu'elle avait dû boire l'eau malgré tout, à l'époque. C'était ça ou mourir de déshydratation, et même la plus craintive des âmes n'aurait pas résisté des jours entiers sous le soleil de plomb.

Enfin, il fallait voir le bon côté des choses : ils allaient pouvoir faire le plein d'eau, de fruits, et de légumes. Et ce n'était pas du luxe, s'ils voulaient éviter les maladies à bord.

Elle jeta un coup d'œil à son équipage. Les hommes étaient bien plus maigres qu'à leur arrivée, mais cela n'empêchait pas certains d'être en excellente forme. Elle esquissa un sourire amusé en constatant que l'un des mousses les plus expérimentés de l'expédition était en train de récurer le pont, le balai à la main. Elle n'aimait pas les gens arrogants, et elle le faisait toujours savoir quand on essayait de s'opposer à elle.

« Très bien, nous allons faire signe à l'équipage du Couffin d'arrimer lui aussi. Quelqu'un a-t-il vu monsieur Windsor ? »

Au moment même où elle prononçait ces mots, une silhouette émergea de la cale du navire, le sourire aux lèvres. Une étincelle de vie brillait dans ses yeux, la même qui animait le visage de sa fille quand elle prenait la mer. Jetant un bref coup d'œil au port qui approchait, Adryanna se tourna vers lui d'un air malicieux.

« Voilà le membre le plus important de mon équipage, et pourtant celui que j'ai le moins vu dans cette traversée... N'est-ce pas ?

— Oh, je t'en prie ma fille... Tu sais que le navigateur est toujours dans l'ombre. »

Elle lâcha un léger rire, et déposa un baiser sur la joue de son père.

« Eh ! Vous piquez, Windsor ! »

Son père éclata de rire et secoua la tête, l'air amusé. Sa barbe n'avait pas été taillée depuis des semaines. Il n'aimait pas les conventions, et dès qu'il en avait l'occasion il se faisait une joie de ne rien respecter. Si les hommes à bord faisaient de leur mieux pour soigner leur apparence, et leur barbe, le père de la corsaire n'en faisait rien : il s'habillait d'uniformes en mauvais état, amples, et ne touchait à son visage que pour le laver le matin. Ce qui justifiait l'état de ses cheveux en pétard, lui arrivant aux oreilles et se tordant déjà en de belles boucles brunes. Heureusement qu'il n'était qu'un cartographe, car elle aurait été obligée de lui demander de fournir des efforts : elle ne pouvait pas permettre à tous les marins de se laisser aller de cette façon. Le physique reflétait le mental, on le lui avait toujours appris. C'était pour cette raison qu'elle restait enfermée des jours entiers dans sa chambre, quand elle n'était pas bien. Si son père jetait un seul coup d'œil à ses cheveux mal coiffés, ou à ses robes de chambre mal ajustées, il lui posait des questions et commençait à s'inquiéter. Elle préférait éviter, vu comme elle pouvait détester se confier.

Les larmes de la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant