Les larmes de la mer

Chapitre 16

Passant la serviette sur son visage, Elijah s'observa dans le miroir de la salle de bain. Les quelques gouttes d'eau restantes glissaient sur ses traits, reflétant la couleur foncée de son teint. Il avait presque réussi à faire disparaître les cernes dues à ses nombreuses nuits sans sommeil, non sans peine.

Sa barbe était taillée de court, ne laissant que quelques millimètres quasiment invisibles dépasser de sa peau. Sa couleur foncée permettait de mieux les dissimuler encore, et il avait l'air un parfait gentleman. Il sourit à cette pensée, en même temps que son reflet. Il était fier de l'homme qu'il était devenu avec les années, malgré le fait qu'il avait énormément perdu en chemin. Il pinça les lèvres en reposant la serviette sur le bord du récipient d'eau.

Si le jeune lui s'était vu...Jamais il n'aurait cru à ce qu'il allait accomplir un jour. Lorsqu'il sortait sur le port, le lourd poids de ses galons lui rappelait ce qu'il avait réussi à obtenir. Un grande, et un rang. Il était capitaine, et corsaire pour sa Majesté.

Cela lui avait pris énormément de temps. Elijah était déjà jeune lorsqu'il était arrivé, mais en plus de ça il avait le teint foncé. Ce qui avait provoqué quelques difficultés évidentes.

Au début, il n'avait pas l'autorisation de sortir sans être accompagné de son tuteur. Bien sûr, aucune loi ne l'interdisait, mais ils en avaient convenu ensemble. C'était bien plus prudent. Dans la mesure où il ne connaissait pas encore réellement les lieux, et qu'il n'avait pas grandi ici, il aurait pu se retrouver au milieu d'une situation impromptue dont il n'aurait pu se sortir. Alors, les premiers temps, il avait redoublé de précautions, tout en se demandant si un jour la situation serait différente. Son tuteur n'avait cessé de le rassurer, devenant comme un père pour lui. Il l'avait sorti de la plantation où lui et ses parents avaient vécu si longtemps, lui offrant ce qu'aucun autre esclave auparavant n'avait pu avoir : un foyer et une chance d'améliorer sa vie.

Il inspira profondément. En bas, le son d'une vaisselle que l'on était en train de disposer se faisait entendre, de même que des bruits étouffés de voix. Il essaya de se concentrer sur le présent, et non de ressasser ce même passé qui revenait toujours le perturber.

Il se revoyait, en train de cueillir et de nettoyer les champs à longueur de journée, sous un soleil qui lui paraissait se rapprocher chaque heure un peu plus pour mieux le bruler encore. Il sentait sa peau dure et sèche à cause de la déshydratation, rougie par les plaies et les ecchymoses. Les mains de part et d'autre du meuble de la salle de bain, il baissa la tête en fermant les yeux. Il était parfois extrêmement difficile pour lui de vivre avec le poids qui pesait sur son esprit.

La mort de sa mère et son frère, peu de temps après son départ, le hantait tout particulièrement.

Sa mère était déjà âgée, il le savait en quittant l'endroit, quand Leonid avait décidé de lui offrir un destin hors des hautes herbes. Mais son frère... Jamais il n'aurait pensé que son visage plein de larmes à travers son sourire serait la dernière chose qu'il aurait eu la chance de voir.

Ses poings se serrèrent, pour se relâcher ensuite en même temps qu'un soupir profond.

Il se rappelait les paroles de son tuteur. Ruminer les choses du passé était inutile, tout comme la colère. Il était logique qu'il éprouve une haine profonde envers ceux qui avaient estimé que leur différence de teint constituait une chaîne alimentaire, mais jamais il ne devait laisser ces sentiments entraver sa vie actuelle. Et encore moins auprès de la femme qu'il aimait.

Il se redressa, époussetant légèrement son habit d'un geste qui était devenu habituel. Il éprouvait une certaine satisfaction à savoir que les autres corsaires pouvaient le dévisager quand ils le voyaient. Et que, pourtant, ils ne pouvaient rien faire contre lui.