Les larmes de la mer

Chapitre 30

Sa tante ne s'était pas présentée de la soirée. Elle avait laissé une lettre aux domestiques, à remettre à Ismaël quand il pourrait la recevoir.

Lettre qu'Adryanna avait récupéré pour jeter au feu aussitôt qu'elle avait écouté le bruit de ses chaussures repartir du salon. Elle agissait comme un fantôme, une somnambule sans pensées ni réflexion, comme si elle n'était qu'en arrière-plan de son propre esprit.

Elle était postée en face de la fenêtre, et petit à petit son calme était en train de revenir. Son air angoissé et fermé finissait par s'estomper peu à peu au fur et à mesure du temps qui s'écoulait sur la grande horloge de la pièce, et elle recouvrait ses esprits sans même s'en rendre compte. C'était comme s'éveiller d'un long sommeil.

Ayant passé une simple robe blanche de nuit, elle avait terminé de dénouer ses cheveux et ils retombaient en cascade le long de ses épaules. Une bougie à la main, elle sortit de la maison sans prendre la peine d'enfiler des chaussures, l'air dans ses pensées. Elle ne parlait à personne, de toute façon la plupart des domestiques étaient couchés à cette heure-ci.

Elle se dirigeait vers le bord de la mer d'un pas rapide. Elle ne savait pas pourquoi, peut-être était-ce l'espoir d'y apercevoir son père, ou n'importe quel bateau qui aurait pu la rassurer. Elle savait qu'il était encore trop tôt pour qu'il revienne, du moins en théorie, mais elle aurait aimé que leur mission se soit bien déroulée et qu'il soit déjà de retour.

Cela faisait plus de six mois depuis son départ qu'en réalité, elle revenait chaque soir sur ce bord de mer avec une bougie ou une lampe à la main, guettant les pieds dans l'eau n'importe quelle voile ressemblant à celle du navire de son père.

Et bien sûr, aucun bateau n'y ressemblant de près ou de loin n'était encore passé.

Mais ça, malgré tous ses faux espoirs, elle s'y attendait. Elle avait beau ressentir un pincement au cœur à chaque fois que le froid la forçait à rentrer bredouille, au fond d'elle elle savait que ses espoirs étaient ridicules. La déception n'était qu'une partie d'un circuit néfaste dans lequel elle s'enfermait.

Et pourtant, encore une fois, elle était pieds-nus dans l'eau, la bougie à la main en train de guetter les flots. Elle aurait aimé ne pas être seule, elle aurait aimé qu'Elijah soit là. Elle tenta de se souvenir, mais tout était flou. Sa tante lui avait dit qu'il avait dû partir, pour une urgence. Oui, ce devait être ça. Et il reviendrait dès qu'il le pourrait.

Elle poussa un long soupir, le regard perdu dans la mer. Le vent soufflait fort ce soir-là, manquant éteindre la flamme de sa lumière à plusieurs instants. Cela lui rappelait la première fois qu'elle avait été prise dans une tempête, au large. Elle n'était pas capitaine à l'époque, elle était simplement mousse, et avait cru y perdre la vie.

Le bruit du vent dans les voiles et de l'eau qui éclaboussait le pont du navire avait manqué la faire paniquer, au début, puis elle avait vite trouvé sa place sous les ordres de son capitaine. Au milieu des immenses vagues qui s'abattaient sur le pont, elle s'était hâtée de courir pour mieux attacher les voiles, et la cargaison. Elle avait oublié le bruit étouffant du vent dans ses oreilles pour mieux écouter les ordres de son capitaine, se concentrant sur son travail et uniquement sur celui-là.