Les larmes de la mer

Chapitre 18

Au loin, les flots se déchainaient les uns contre les autres, comme pour s'entretuer. L'écume, semblable à un sang pâle, se mélangeait et se heurtait à la résistance des vagues ennemies qui semblaient tout faire pour ne pas la laisser passer. Les flots de brisaient, se confrontaient et se déchiraient, sous les yeux glacials de la jeune femme se tenant debout sur le sable.

Le bas de sa robe était d'ores et déjà imbibé de ce liquide salé, lui donnant des tons plus ténébreux et proches du noir que du vert sombre originel du tissu. D'ailleurs, si l'on y prêtait attention, son visage entier était plus sombre depuis qu'elle avait quitté la table. C'était comme si un autre être avait déteint sur son visage, comme un drap que l'on aurait laissé trainer dans une flaque et qui s'en serait imbibé petit à petit. Son visage n'en était que plus torturé, et inquiétant.

Au loin, Elijah se rapprochait petit à petit de celle qu'il aimait. Il savait qu'elle était tourmentée à cause du départ prochain de son père, et que même si elle avait besoin de solitude il ne pouvait la laisser seule. Son côté soucieux était en constante activité, nécessitant qu'il veille sur elle en permanence, malgré le côté indépendant bien ancré à chaque instant dans le caractère d'Adryanna.

Arrivant vers elle, il parla presque en murmurant, voulant signaler sa présence pour ne pas l'effrayer.

« Est-ce que tout va bien ? »

Sa voix n'était qu'un lointain murmure aux oreille d'Adryanna, qui répondit comme si son esprit se trouvait déjà entièrement ailleurs, la voix détachée et portée par le vent :

« Oui, ça va... »

Le soupir rauque se dégageant de sa voix prouvait le contraire, mais Elijah ne dit rien et se rapprocha un peu plus d'elle, de façon à avoir son épaule opposée contre la sienne.

« Je suis là, en tout cas... Tu peux me parler ou ne rien dire, mais je suis là avec toi... »

Il crut entendre comme un soufflement de nez de sa part, ce qui le fit légèrement froncer les sourcils. Le vent avait peut-être déformé sa réponse. Poussé par l'envie de voir quelle était l'expression sur le visage de la femme à ses côtés, il s'avança légèrement en la regardant.

Ses traits se figèrent quelques secondes tandis qu'il essayait d'appréhender et de comprendre ce qui habitait son visage à cet instant. Elle portait une expression qu'il ne connaissait pas, comme on porterait un habit qui ne serait pas fait pour soi, trop grand ou trop petit, sans qu'on puisse trouver exactement pourquoi.

Les yeux d'Adryanna ne semblaient plus les mêmes. Il y avait quelque chose de différent sur son visage, comme s'il était...plus sombre. Il mit quelques instants à comprendre ce qui le dérangeait autant, un élément qu'il ne parvenait pas à saisir, quelque chose de plus inquiétant. Et soudain, il les vit. Ses yeux. Leur couleur était plus noire, pas de beaucoup mais de façon visible, comme la pupille en leur intérieur. La couleur était d'une teinte plus sombre et profonde, perturbante voir même dérangeante car elle était aussi discrète qu'elle lui sautait au visage.

C'est là qu'il comprit : leur couleur n'avait pas changé, c'est sa pupille qui était encore plus étendue qu'à son habitude et qui assombrissait son regard.

Il déglutit de façon quasiment imperceptible. Sans comprendre exactement d'où le phénomène venait, il savait que la jeune femme pouvait parfois être prise de crises... Disons mentales, qui la menaient à être dans un état nerveux et affectif très tendu. Ismaël et lui avaient eu de très, très nombreuses discussions à ce sujet, et pourtant il ne se sentait toujours pas prêt pour ce qu'il était en train de regarder.

La jeune fille avait toujours eu des yeux très, très expressifs à cause de leur pupille bien plus dilatée. Trop peut-être parfois, ce qui lui avait porté préjudice à des moments cruciaux. Mais ce qui était parfois un pur régal pour ses proches quand elle était heureuse se transformait en cauchemar quand ce phénomène arrivait dans de tels moments. Car il savait ce que c'était. Il savait de quoi la jeune femme était atteinte et combien cela se lisait sur ses yeux.