Les larmes de la mer

Chapitre 15

Son bras croisé au sien, elle le regardait de ses grands yeux pétillants de vie et de bonheur. Tous deux marchaient à l'ombre des nombreux arbres du labyrinthe, le chant des oiseaux accompagnant le frottement de leurs chaussures appuyant sur la terre sèche en cet après-midi d'été. La longue robe d'Adryanna l'était juste assez pour ne pas trainer au sol, son poignet appuyé sur leurs bras entremêlés.

A l'instant même où son père les avait autorisés à se rendre dans les jardins tous les deux, elle avait saisi l'occasion pour avoir une proximité avec lui qu'ils ne s'autorisaient pas devant celui qui l'avait éduquée. Elle savait qu'il y avait des règles et elle avait toujours, si ce n'est quasiment à chaque instant, respecté celles imposées par son père. Ce qui ne l'empêchait pas parfois de prendre simplement la liberté qui lui manquait.

Et Elijah aimait remarquer cette lueur espiègle dans le regard de la jeune femme. C'était cette lueur qu'il avait aperçue, le jour de leur première rencontre, alors qu'elle le taquinait quant à son insistance. Cette lueur, accompagnée de ses yeux si singuliers. Ce jour-là il ne le savait pas encore, mais cette femme allait entièrement lui faire perdre ses moyens, hantant ses pensées et ses rêves, promettant un futur dont jamais il n'aurait pu avoir connaissance auparavant. Celle qu'il espérait un jour appeler sa femme.

« ...Et mon père m'a d'ailleurs prévenue, il faut que nous fassions plus attention à l'équipage...Les laquais d'Angleterre aiment à jaser et je ne voudrais pas entacher votre réputation, ou la mienne par la même occasion. Je vous suis néanmoins reconnaissante... »

Elijah retint un léger soufflement de nez tandis qu'il la regardait. Cette femme, un jour peut-être sa femme, était une pipelette invertébrée. Il ne comprenait même pas comment elle faisait pour avoir autant de choses à dire et raconter, comme si elle était une source intarissable de toutes les choses qui se déroulaient au sein de sa vie. Si pour beaucoup, une femme ne sachant se taire était un défaut, pour lui cela était de très loin erroné.

Il avait toujours adoré l'entendre raconter tout ce qui lui passait par la tête, et c'était d'ailleurs une preuve de confiance pour elle que de laisser ses pensées s'écouler aussi facilement et librement.

Elle était plutôt du genre à réserver cela à son père, trop effritée par les remarques qu'elle s'était auparavant vu rapporter et qui l'avaient convaincu que ses pensées étaient trop personnelles pour être partages aussi inconsciemment. Pourtant, cela ne lui avait pris que quelques mois pour les partager avec lui, par lettres.

C'était ainsi qu'ils s'étaient principalement connus, tous les deux. Après la mission en France, un jour où Sa Majesté avait demandé que le lieutenant Hopkins informe un corsaire des équipements mis à sa disposition pour une mission. C'était là qu'il s'était surpris à écrire le nom de la jeune femme sur la missive. Bien qu'elle lui eût demandé d'écrire depuis longtemps déjà, il n'avait encore jamais osé franchir le pas. Pourtant, ce jour-là, il l'avait fait. Et depuis, il n'avait eu de cesse de lui écrire encore, et encore. Leurs lettres étaient devenues plus longues, plus personnelles et surtout addictives. Ce qui auparavant était un échange pouvant attendre s'était transformé en une lecture vitale, un battement de cœur désespéré devant l'absence d'un courrier précieux.

Puis, ils avaient recommencé à travailler ensemble. Et si leurs échanges avaient déjà provoqué en Elijah des sentiments totalement déstabilisants, la vision de cette femme en face de lui avait bouleversé tout ce qu'il pensait connaitre sur sa vie. Il n'en avait plus aucun doute aujourd'hui, il aimait cette femme, bien plus que toute autre chose au monde.