chapitre 1

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      Désespérément seul et incompris, Mike était malheureux depuis le décès de sa mère. La tristesse avalait son cœur, un malheur qui semait le trouble dans sa vie sociale. Comment se confier sur ses sentiments avec un père qui le battait à chaque fois qu'il évoquait sa disparition ? Il le traînait partout sans répondre à ses questions, faisait pleuvoir les coups quand l'envie lui prenait. Chaque jour se ressemblait et l'habitude l'avait rendu indifférent. Du moins, c'était ce qu'il essayait de se persuader. Fuir avait toujours été une option mais il n'osait jamais. Mike détestait cette loyauté aveugle qu'il vouait à son père.
      Fils unique, le jeune homme avait la chance de pouvoir compter sur Jay, son meilleur ami. Quand son père s'absentait, Mike se réfugiait chez lui et respirait paisiblement sous son toit. Sa famille l'accueillait toujours à bras ouverts et ne le questionnait pas sur ses hématomes parfois visibles.
     — Comment tu te sens ? demanda Jay.
     — Comme d'habitude, soupira Mike, las.
     La tristesse infinie de son ami lui brisa le cœur. Impuissant, il le regardait sombrer sans savoir comment changer les choses. Même s'il essayait de lui donner des différentes options, Mike le sommait de se taire ; il ne voulait rien entendre. Si cela l'avait frustré un jour, Jay avait fini par réaliser que son ami y avait probablement déjà pensé.
     — J'ai vraiment pas envie de rentrer chez moi, admit-il.
     L'horloge sur le mur affichait une heure tardive dans la soirée, celle où son père, Louis, rentrait du bar, éméché, et parfois, quand ses coups ne pleuvaient pas, il utilisait la force de sa voix pour l'accuser d'avoir tué sa mère. À chacune de ces soirées où il laissait Mike retourner chez lui, l'inquiétude de le découvrir mort le lendemain le rongeait.
     — Pourquoi ne resterais-tu pas chez nous plus longtemps ? Tu sais, mes parents t'aiment bien.
     — Je ne peux pas. Mon père a besoin de moi.
     — Non. Tu sais bien que ce n'est pas le cas, souffla Jay.
     Mais il l'ignora. Probablement le savait-il déjà.
     — Il serait temps de penser à ton bonheur, insista son meilleur ami.
     — Pas maintenant, répondit Mike en se levant.
     — Comme tu veux... Mais sache que ma porte te sera toujours ouverte. À n'importe quelle heure. Tu le sais, hein ?
     Toujours ouverte. Ça, il le savait. Il pouvait toujours compter sur lui. Mike le gratifia d'un sourire et quitta la pièce silencieusement. Le cœur serré, Jay regrettait l'époque où la mère de son ami venait souvent leur rendre visite. Leurs mères avaient été très proches, accouchant dans le même hôpital, le même jour. Un trois décembre, les premiers flocons de neige de la saison touchaient le sol et s'accrochaient aux fenêtres. Maintenant, il se heurtait à ne pas toujours pouvoir profiter de la présence de Mike. La majorité de l'année, son père l'arrachait à ses racines pour le traîner partout dans le pays, ignorant ses besoins scolaires. À son âge, il n'avait aucun diplôme. Un avenir incertain le guettait et bien qu'indirectement concerné, Jay ne pouvait s'empêcher de se creuser les méninges pour son ami.

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     Vingt-deux heures. La porte claqua. Mike n'avait pas réalisé que son père était déjà rentré lorsqu'il déambula torse nu dans le salon. Peinant à garder l'équilibre, il manqua de trébucher plusieurs fois. Louis rota en dévisageant son fils et esquissa un sourire moqueur. Habitué, le jeune homme l'ignora et détourna la tête, continuant de lire son bouquin. Un mauvais sentiment l'envahit. Il se tenait prêt à ce qui l'attendrait. Traversant le salon, Louis faillit tomber quand il se rattrapa en saisissant une des chaises qui traînaient et se mit à plaindre du bordel qui régnait dans la pièce.
     — C'est le bordel ici ! À quoi t'peux bien me servir ?
     Il y avait bien longtemps que Mike avait cessé de lui répondre en cas d'ivresse. L'hématome à sa cuisse droite continuait de l'élancer et il ne voulait pas empirer la douleur en s'attirant les foudres de Louis une énième fois. Celui-ci balança ses clés sur le canapé, ratant de peu son fils qui n'avait pas réagi, et le dévisagea.
     — T'as encore été voir ce Jay ?
     — Oui.
     — Désespérant !
     La peur lui retournait l'estomac. Il savait que son père détestait Jay. Ce pédé maniéré n'a rien à faire avec mon fils, disait-il. Mike s'efforça de l'ignorer, repensant à la dernière fois qu'il avait défendu son meilleur ami ; il en était ressorti avec un nez cassé. La convalescence avait été un enfer.
     — T'as personne d'autre à voir que lui ? insista Louis.
     — Non. Puis je n'ai besoin de personne d'autre. Il me suffit. C'est mon meilleur ami.
     Louis grimaça et secoua sa tête. Ses pensées devaient affluer librement et Mike n'osait pas imaginer lesquelles. Son regard cruel l'effrayait, un jugement perpétuel qui pesait lourd dans son cœur en pensant à Jay.
     — Vraiment, ricana Louis. Ce sale pédé doit avoir sali mon fils. Une abomination.
     — Arrête, papa.
     — Tu protèges ton copain ? Il te prend par derrière toi aussi ?
     — Tu dis n'importe quoi...
     Une colère enfouie depuis si longtemps se hâta à rompre, Mike tenta en tant bien que mal de la contrôler mais il haïssait la façon dont son père insultait Jay. Peu importe si c'était vrai ou non, si Jay aimait les hommes ou non — il ne lui avait jamais dit de toute façon, il souffrait à l'entendre cracher son venin sur son meilleur ami.
     — Vu comment t'le défends, il doit bien te l'enfoncer profond.
     Il osa mimer le geste obscène avec ses mains.
     — Ce pédé n'a rien à faire avec mon fils ! P't-être que je devais lui donner une leçon, pour lui passer l'envie de t'approcher. Il ne t'atteindra pas avec son Satan ! C'est pas mon fils qui se la prendra dans le cul !
     — Ne touche pas à Jay !
     Le silence qui suivait pesa lourd. Louis fixait son fils de ses yeux sombres, une émotion effrayante bascula dans l'ombre de ses paupières. Mike avait explosé. Il ne pouvait pas supporter l'idée que quiconque, surtout son père, puisse blesser son meilleur ami.
     — Il t'a rendu pédé pour vouloir autant le protéger ? gronda Louis en s'élevant.
     — Non, papa. C'est juste mon ami.
     — J'ai pas élevé un menteur sous mon toit, et encore moins un pédé !
     — Non, je ne le suis pas ! Je te le promets !
     Mais ses mots ne l'atteignaient pas. La folie avait pris possession de son esprit et le poussa à abattre le premier poing en pleine face. Mike se décolla du canapé, esquivant son coup. Cela fâcha davantage Louis qui émit un grognement féroce, approchant son fils avec un visage menaçant. Si Mike n'était pas petit de taille, son père le surpassait et avait une immense carrure. Sa force était inégalable et il le savait.
     — Papa, je suis désolé mais je t'ai dit la vérité ! Crois-moi !
     Ses jambes se mirent à trembler et il craignait qu'elles ne se dérobent sous la pression. Jamais il ne lui était venu à l'esprit de se défendre face à son père — ça serait perdu d'avance de toute manière, mais à cet instant, il se demandait si cette soirée serait la dernière de toute sa vie. Le temps passant, la violence de Louis s'intensifiait et malgré son âge, il gardait une poigne qui laissait des marques persistantes sur son corps. Il n'y avait même pas deux mois la dernière fois qu'il avait dû être hospitalisé pour blessures aggravées.
     — Sale pédé !
     Le poing en l'air, Louis l'abattit sur son fils, tuméfiant du premier coup sa lèvre. Un goût métallique se mélangea à sa salive, les mains couvrant sa bouche. Sans se rendre compte, ses yeux se remplirent de larmes, ce qui intensifia la colère de son père, l'insultant de nouveau.
     Sauvé. Quelqu'un sonna à la porte avec insistance. Louis attendit que la personne s'en aille mais elle semblait déterminée. Il tourna la tête et fixa son fils.
     — T'as de la chance ce soir. Casse-toi !
     Il ne lui fallut pas une seconde de plus pour déguerpir, Mike s'enferma dans la salle de bain et écouta son père répondre au voisin qui se plaignait du bruit. Reconnaissant d'entendre la voix d'Alfred, le seul qui semblait avoir compris le quotidien désastreux de père et fils, le jeune homme finit par éclater en sanglots, se laissant tomber contre le mur. Le carrelage froid traversait son pantalon mais il l'ignora. Il ne pouvait s'empêcher de pleurer dans le silence, avec l'image de sa mère en tête.



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Fin de ce premier chapitre, j'espère qu'il vous a plu !
N'hésitez pas à déposer un commentaire, tout feedback est bon à prendre :)

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