chapitre 8

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     Cette nouvelle avait fait l'effet d'un coup de massue sur leurs têtes, comme si le toit s'effondrait sur eux. Vingt ans à fuir la police qu'il pensait à ses trousses pour la mort d'un homme qui était bien vivant, à perdre l'opportunité d'une vie normale aux côtés de Megan et de Jay. Sans voix, son regard se perdait dans le vide tandis que Lucy l'observait de l'autre côté de la pièce. Elle avait vu comme son père avait souffert des évènements datant de vingt ans. Assis sur le lit, il ne sentit pas la main de son ami se poser sur son épaule et ne l'entendit pas murmurer qu'il était désolé.
     — C'est pas possible... Je l'ai vu mort. Il ne respirait plus. Ses yeux étaient ouverts, on ne peut pas être plus mort.
     — Un miraculé, soupira Max. Il a été dans le coma pendant quelques années.
     — Il est vivant... alors que je vis misérablement depuis.
     Lucy fronça ses sourcils, avait-il déjà oublié ces dix années de bonheur en famille ? Même s'ils s'étaient cachés sous une fausse identité, à se tenir éloignés des autres, leur maison avait prospéré la joie de vivre.
     — Nous sommes partis parce qu'on avait peur que la police m'arrête pour le meurtre de mon père. On a tout laissé derrière, et j'ai abandonné Jay aussi. Il le savait ?
     — Je ne pense pas qu'il le savait, intervint Lucy.
     — Et comment tu pourrais bien le savoir ? soupira son père.
     — Je lui ai parlé il y a quelques années.
     — Quoi ?
     Son regard reflétait un sentiment de trahison mais Lucy l'ignora. Elle ne regrettait pas avoir osé le contacter derrière son dos ; elle en avait le droit après tout.
     — Et pourquoi donc ? gronda Mike.
     — Parce que tous les soirs, tu l'appelles dans ton sommeil. Alors je me suis dit que je pouvais peut-être arranger une rencontre.
     — Ce n'était pas à toi de décider ça.
     Outrée, Lucy sentit ses joues chauffer et serra les poings. Mais elle ne lui répondit pas. Son cœur se brisa quand il ne l'interrogea pas sur Jay. Cette fierté mal placée l'agaçait. Ce trait de personnalité qui s'était amplifié au fil du temps. Était-ce vraiment si difficile d'admettre que quelqu'un nous manquait ?
     Il ne pensait qu'à son père, toujours vivant après tout ce temps. La rage accumulée au fil des années atteignait son paroxysme. Cet homme lui avait gâché son enfance et sa vie.
     — La police me cherchait, ma photo était placardée partout et je suis même passé aux infos locales. Rien de plus clair pour confirmer sa mort. Alors pourquoi il est en vie ? s'indigna Mike.
     — J'en sais rien. Je ne sais pas comment t'as vécu les choses avant. La seule certitude, c'est qu'il est vivant, là maintenant, sorti du coma.
     — Quand ?
     — Quand quoi ?
     — Quand est-il sorti du coma ?
     Le pire restait à venir... Max déglutit et hésita avant de lui répondre. L'appréhension qui se lisait dans son regard inquiétait Lucy. Père et fille fixèrent leur ami, qui l'annonça d'une petite voix.
     — Ça fait onze ans.
     Son souffle se coupa ; et si depuis tout ce temps, la vérité sommeillait dans ses racines ?
     — Onze ans... Et maman est morte-
     — Il y a dix ans.
     À cet instant, Lucy aperçut des éclairs dans le regard de son père, le cou tournant au rouge. Elle en avait des frissons. Mike ne lui avait jamais raconté son histoire avec Louis, mais sa mère ne lui avait rien caché et la petite fille avait choisi de ne jamais évoquer le sujet. Elle s'était toujours demandée de quoi son père était capable pour venger la femme qu'il aimait. Il n'y avait aucune illumination à venir ; il tuerait son meurtrier. Quitte à perdre sa dernière part d'humanité, il ne laisserait pas le meurtrier de Megan vivre. Et elle se demandait alors ce qu'elle ferait le moment venu.

                                                                       .☘︎ ݁˖

     Quelques heures plus tard, père et fille montèrent à bord du véhicule avec Max au volant, en direction de ses racines de Mike, il n'y était pas retourné depuis cette fameuse nuit. Réaliser qu'il y remettait les pieds sans Megan lui retournait le cœur. Ça n'avait jamais été dans leurs plans. La perdre n'avait jamais été dans leurs plans, jamais été une idée. Ils devaient vieillir ensemble et regarder leur fille enrichir sa propre vie.
     D'après les informations de Max, son père vivait dans le même appartement et seul. Sa vie n'avait absolument pas changé à l'exception de la disparition de son fils qui avait failli le tuer. La voiture se dirigea vers l'immeuble et Mike frissonnait à l'idée d'affronter ses souvenirs. Tout allait lui rappeler les coups de son père, mais il essaya de penser à ces moments partagés avec Megan. Ses muscles se tendirent en pensant à Louis, sa mâchoire contracta à l'en faire souffrir. Il se retourna et vit sa fille dormir à l'arrière du véhicule. Un faible sourire illumina son visage morne et cela n'échappa pas à l'œil de faucon de Max. Une affection touchante mais rare. Un sourire pur et sincère qui exposait son amour.
     — Ça va ?
     — Tu me demandes franchement ça ? se renfrogna Mike.
     — T'as raison, question idiote, soupira l'autre homme.
     Les yeux rivés sur la route, Max avait du mal avec le silence qu'il subissait depuis leur départ. Il se demandait à quoi Mike pensait.
     — Tu penses qu'il a tué Megan ?
     Bien que sa question le prenait de court, le trentenaire haussa ses épaules et exprima sa réticence.
     — Je ne crois pas qu'il savait où vous étiez cachés.
     — Qui sait ? Peut-être qu'il avait trouvé.
     — Alors pourquoi Megan et pas toi ?
     — Pour me rendre misérable. C'est pire d'être comme ça que de mourir.
     — Hum, je ne sais pas, Mike.
     Lucy se réveilla en entendant leurs voix mais simula un sommeil pour suivre la conversation entre les deux hommes, qui libéraient naturellement leurs émotions comme à chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls. Au fond, c'était les seuls moments qui lui permettait de savoir ce que son père ressentait. C'était probablement mal de les espionner mais elle était dépassée par sa curiosité.
     — Ça te stresse de le revoir ?
     — Je ne sais pas, murmura Mike.
     — Je peux voir l'inquiétude dans ton regard. Avec la haine.
     — Que ressentir d'autre ?
     Mike soupira et hésita alors qu'il voulait lui parler d'un sujet sensible. Après tout, c'était la première fois qu'ils en parlaient. Mais il valait mieux le mettre au courant avant d'arriver, afin de le préparer.
     — Mon père...
     — Oui ?
     — Il est homophobe. Enfin, il l'était il y a vingt ans. Je ne sais pas s'il est toujours comme ça mais je pense que si.
     Le silence pesait plus lourd que son cœur. Mike avait parlé d'une voix tremblante et gêné, il regardait à l'opposé de sa direction. Mais Max ne réagit pas, ses yeux toujours concentrés sur la route. Lucy les écouta dévier sur ce sujet qui n'avait jamais été évoqué entre eux, son cœur accélérait à attendre la réponse de Max.
     — Et donc ? lâcha ce dernier.
     — Je voulais t'avertir... Peut-être que tu ne devrais pas venir le voir avec moi à l'intérieur.
     Son ami se tourna vers lui quelques secondes, un temps suffisant pour remarquer les gouttes de sueur sur sa tempe gauche.
     — T'as peur de quoi ?
     — Je n'ai pas envie qu'il te fasse mal.
     Comme il avait voulu blesser Jay.
     — Ou alors tu as peur qu'il pense que tu couches avec moi, comme il l'avait pensé pour toi et Jay.
     Mike manqua de s'étrangler et lutta contre ses émotions. Max, lui, restait imperturbable et esquissait même un sourire au coin des lèvres. La jeune femme entendit son père se racler la gorge. Si Lucy avait remarqué des choses ces dernières années, elle n'avait jamais rien dit, même à Max qui paraissait plus enclin à s'ouvrir. Elle réalisait alors que c'était la première fois qu'ils en parlaient tous les deux.
     — Non, il sait que j'étais avec Megan.
     — Et ? Tu sais que ça ne veut rien dire.
     — C'était réel avec Megan ! s'emporta Mike.
     — Ce n'est pas ce que je dis, le corrigea Max. Évidemment que c'était réel. Elle était ton premier amour, le vrai, le grand... Je sais tout ça. Je dis juste que la vie nous réserve parfois plusieurs personnes à aimer, et il y a des gens pour qui ça ne se limite pas au sexe opposé.
     Il avait peur de la conversation qui allait suivre mais se lança instinctivement.
     — Et donc ?
     — Et donc il peut bien penser que tu couches avec moi, répondit Max. S'il a déjà pensé que tu coucherais avec Jay.
     — J'ai l'air de coucher avec toi ? rétorqua Mike.
     — Je ne sais pas. Tu ne trouves pas qu'on matcherait bien ?
     À cet instant, Lucy se dit qu'elle aurait voulu vraiment dormir. Ce n'était pas le genre de conversation qu'elle voulait entendre. Cependant, elle attendait la réponse de Mike qui semblait préférer garder le silence.
     — C'est pas une mauvaise chose, tu sais ?
     — Quoi ? se tourna Mike.
     — C'est pas une mauvaise chose d'aimer un autre homme, dit son ami. Ni vis à vis de Megan, ni vis à vis de ta sexualité.
     — Je ne suis pas gay. Mais je sais que ce n'est pas une mauvaise chose. Ce n'est juste pas pour moi.
     — À cause de ce que ton père te disait ?
     — Qu'est-ce que tu essayes de me faire dire, Max ?
     — Je ne sais pas vraiment.
     Et la conversation s'arrêta sur ces doutes. Lucy ouvrit les yeux, contemplant le paysage des arbres à travers la vitre. Une atmosphère pesante régnait désormais entre les deux hommes qui faisaient tout pour ne pas se toucher ni se regarder même le temps d'une seconde. Lucy se dit que Max devait être vraiment triste ; elle savait combien il appréciait Mike. C'était même plus que ça.

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