chapitre 43

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      Un bruit strident depuis ses oreilles le força à ouvrir les yeux, se retrouvant dans la confusion d'une vision trouble. Le tintement de cloches dans sa tête ne s'arrêtait pas, une terrible douleur l'élançait sur tout le côté gauche de son corps, comme un poids qui l'empêchait de faire le moindre mouvement. De l'eau coulait dans son oreille qu'il dût tourner la tête, se prenant en pleine figure la pluie qui était toujours là — mais plus légère. Sa gorge le grattait et quand il toussa, ses côtes cassés lui arrachèrent un cri de douleur. Max chercha à comprendre ce qui s'était passé et aperçut des arbres autour de la voiture. La vitre brisée, des morceaux de verre traînaient sur ses vêtements et un peu partout. Il sentait des petites coupures tirailler son visage, un goût métallique se mêlait à sa salive. Analysant ses environs, l'homme trouva le camion perché sur le bord. Si le véhicule tombait, il l'emporterait dans sa destruction. Des bribes de l'accident resurgirent dans son esprit puis il se détacha de sa souffrance en pensant à Mike. Sans trop bouger, il tourna la tête vers l'autre côté et ses yeux s'embuèrent de larmes. Devant cette vision d'horreur, il ne pouvait rien faire.
      — Mike ?
      Le cœur serré, il attendait une réponse qui ne venait pas. De son côté, la vitre n'avait qu'une fissure, ce qui était bon signe mais Mike ne se réveillait toujours pas, même après ses appels. Il ne put contrôler le flot de ses larmes, se noyant dans le désespoir. Sous la voiture, le vide les saluait et il avait peur d'imaginer ce qui les attendait plus bas.
      — Réponds-moi, je t'en supplie ! Mike ! hurla-t-il.
      Son corps entier lui faisait mal, ses jambes en particulier mais Max ne chercha pas à en voir la raison. Il entendait des oiseaux survoler le toit, l'un d'entre eux se posa sur le capot, faisant grincer la voiture. Le cœur de Max accéléra et se heurta à la solitude devant l'état inconscient de son ami. Puis il écoutait les branches des arbres danser avec le vent. Par chance, il n'y avait qu'une petite brise qui soufflait avec la pluie. Sa légèreté sauvait la voiture. En cas d'averse, elle aurait glissé, emportant les deux hommes.
      L'appeler plusieurs fois ne le ramenait pas, ses yeux restaient fermés et il ne donnait aucune réaction. Max se demandait s'il l'entendait. Ses larmes coulaient encore, comme si son corps se régénérait d'eau. Il pleurait pour son amour. Un amour qui était resté dans l'ombre tout le long, un amour vain.
      Cherchant à l'atteindre depuis son siège, l'homme tendit le bras mais la ceinture l'empêcha de réduire leur distance. Un grincement du véhicule et il se figea, effrayé. Max ne pouvait pas courir le risque. Cet échec se répercuta en sanglots plaintifs.
      — Ça ne peut pas se finir comme ça... Mike, tu ne peux pas me laisser ! On doit sortir de là et rejoindre Lucy, hum ? Elle nous attend... On a des choses à célébrer et tu as encore quelques mois à vivre. On doit en profiter ensemble, embrasser la vie qu'on n'a jamais pu vivre depuis dix ans. Hum, Mike ?
      Tous ces jours perdus à combattre des pensées nocives, Max regrettait son silence. Si seulement il n'avait pas été si lâche avec ses émotions. En repensant aux occasions ratées, il détestait sa passivité. Alors, c'était comme ça que finissait leur vie ? Sans connaître le goût de ses lèvres, sans l'entendre dire qu'il l'aimait lui aussi ? Que des regards interdits pour nourrir le suspens d'un amour caché ? Juste une intimité frôlée mais jamais enjambée ?
      Il analysa l'intérieur de la voiture, à la recherche du téléphone de Mike qui s'était perdu dans l'accident. Max ne voyait que les morceaux de verres éparpillés et rien d'autre. Même le chargeur était introuvable.
      — Mike, où est le téléphone ? On devrait appeler Lucy, elle doit être en panique mais je suis sûr qu'elle viendra nous chercher... et on rentrera à la maison tous ensemble.
      Puis il soupira, rit jaune.
      — Quelle maison ? C'est vrai, on n'en a pas, depuis dix ans on vit comme des nomades. Mais quand j'y pense, ça n'a pas vraiment d'importance. Je suis bien n'importe où si tu es là. Juste toi, moi et Lucy. C'est comme ça que je suis heureux. Alors réveille-toi, Mike... Je t'attends et Lucy aussi ! Elle doit être effrayée, mon dieu... Lucy...
      Un écran brilla sous le pied de Mike, il reconnût alors son téléphone mais fissuré et éteint, c'était perdu d'avance. Sa tête tangua soudainement, des silhouettes valsaient devant lui. Il secoua la tête, clignant vite des yeux et la sensation disparût. Peut-être que sa tête avait été touchée. Avec la vitre entièrement brisée, Max préférait ne pas imaginer les coups qu'il avait dû se prendre en dévalant la pente bossée. La voiture ressemblait déjà à une épave de l'intérieur.
      Quand il essaya de récupérer le téléphone dans sa poche, la voiture grinça de nouveau et il s'immobilisa. Même ça, il ne pouvait pas le faire. Impuissant, Max gémit avec la douleur sciante depuis ses côtes et cessa de lutter. Le moindre geste lui faisait si mal qu'il voulait hurler et pleurer en même temps. Son corps regorgeait d'eau de toute façon, il n'en manquerait pas.
      — Mike ? Fais-moi au moins un signe... Juste un signe pour montrer que tu m'entends...
      Les yeux toujours fermés, l'homme inconscient avait le nez en sang, probablement cassé dans leur chute. Sa tête reposait contre la vitre fissurée et Max craignait un traumatisme crânien. Avec sa maladie, le corps de Mike s'était fragilisé. La vie semblait se mettre constamment sur son chemin, comme si elle refusait de le voir gagner. Mais au moins, il respirait toujours. Son torse se soulevait difficilement mais il respirait. Il n'était pas mort.
      Ses paupières s'alourdirent mais Max résista. Il connaissait les risques. Au fond, il était tenté de se laisser aller. La douleur à ses jambes s'intensifiait, ça en devenait difficile à supporter.
      Je dois affronter la réalité.
      Rassemblant tout son courage, Max baissa les yeux et découvrit une autre vision d'horreur. À en vomir. Le tibia de sa jambe gauche s'était cassé. Non à l'air libre, il pénétrait la peau de sa jambe droite. Connectées. Ses jambes étaient rattachées l'une à l'autre. Cet atrocité lui arracha un cri de désespoir et il éclata en sanglots. Comment pouvait-il bouger dans un état pareil ? Comment cette horreur avait-elle pu arriver ? Max n'avait pas vu le camion foncer sur eux. Des questions affluèrent dans son esprit, remettant en cause le responsable de l'accident.
      Avait-il manqué d'attention ou était-ce l'autre conducteur ? La faible visibilité avait-elle eu raison d'eux ? Avait-il, lui ou l'autre conducteur, conduit trop vite dans l'intempérie ? S'était-il, l'autre conducteur, endormi au volant ?
      — Mike, tiens-moi compagnie, merde... Mes pensées me rendent dingues et je n'arrive pas à oublier la douleur...
      Des mots sans réponses, Max était livré à lui-même. Mais Mike respirait toujours. Il se dit qu'il devait s'en réjouir en dépit des circonstances. Cependant, la fatigue tirait sur ses dernières forces.
      — Pourquoi il y a toujours quelque chose pour nous arrêter ? Je suis fatigué... fatigué de devoir me battre tout le temps. Mike, je ne sais pas si tu m'entends mais j'espère que si. Ça serait bon signe... je pense ?
      Il toussa puis gémit quand une douleur l'élança aux côtes. Même en régulant — vaguement — les saccades de sa respiration, rien n'atténuait son angoisse. Isolé, Max réalisa qu'il ne s'était jamais senti si seul. Ses yeux se perdirent sur Mike qui n'avait pas repris conscience et il se demandait s'il allait se réveiller. Lui-même sentait son corps s'affaiblir et ce n'était plus qu'une question de temps avant de s'abandonner dans le pays du purgatoire, à moins de ne plus pouvoir revenir.
      — J'aurais dû te dire ce que je ressentais bien plus tôt. Peut-être que je ne pourrais jamais te le dire... C'est peut-être ma dernière chance maintenant. Qui sait, tu pourrais revenir à moi...
      Les gouttes de pluie tombèrent sur ses oreilles et roulèrent jusqu'à sa joue. Max renifla au contact de l'eau et commença d'une voix tremblante, sous le regard d'un corbeau qui se posait sur le capot. Si la voiture semblait tanguer, l'homme l'ignora.
      — Je t'aime, Mike.
      Il marqua une pause, accusant le coup.
      — Bon, ça démarre fort mais au point où on en est... On pourrait mourir, là maintenant. J'ai envie de croire que Lucy arrivera à temps mais moi, je ne sais pas... J'ai terriblement froid, je perds... beaucoup trop de sang mais je ne peux rien faire pour arrêter ça. Et... j'ai terriblement envie de dormir. Ça fait mal de lutter contre ça, tout me fait mal. Mais c'est pas juste, pourquoi ça nous arrive ?
      Sa gorge se noua, Max déglutit avec difficulté et gardait ses mains frigorifiées dans les manches de sa veste. Il avait les cheveux mouillés qui flottaient dans le vide. Mike, lui, semblait être peu impacté par la pluie-
      J'espère qu'il n'a pas froid.
      et ses cheveux étaient secs à l'exception du côté droit de sa tête qui laissait couler une faible quantité de sang sur la vitre. Si ce n'était que ça, il avait des chances de survivre.
      Il faudrait saigner plus que ça pour que ce soit grave, non ?
      Lui-même ne le savait pas.
      — Quel idiot... Le temps est passé si vite. Pourquoi j'ai gardé mon amour pour toi enfermé ? Si tu savais comme je le regrette... J'aurais dû dire quelque chose. Je ne l'ai jamais caché, c'est vrai mais j'aurais dû plus essayer. Comme toujours, avec mes émotions, j'ai été lâche. Par peur, je n'ai rien dit. J'ai tout le temps peur... Même quand tu semblais vouloir t'ouvrir, j'ai fui. Quel idiot... Depuis que tu m'as amené dans ta vie, aux antipodes de là où je venais, j'ai commencé à me voir moi-même différemment. Et je n'ai plus jamais été seul. Je ne l'ai jamais dit mais tu as fait de moi une meilleure personne... Vraiment. Avant toi, j'étais un lâche. Encore plus que maintenant. Je fuyais toujours tout, mes responsabilités, les attentes de ma famille, mes émotions. Je ne voulais jamais essayer trop fort. Vraiment, je-je me suis découvert un courage que je n'avais jamais pensé avoir et ça, je le dois à toi. À toi et Lucy.
      L'image de son visage juvénile repassa dans sa tête. À cet instant, elle lui manquait cruellement.
      — Je sais que tu penses ne pas vraiment avoir de similitudes avec elle, à part que vous êtes tous les deux bornés. Mais tu te trompes. Il y a t-tellement plus. Votre détermination sans faille, votre empathie, votre capacité d'écoute — vous ne comptez jamais. Ça doit être naturel chez toi mais ça, je ne le connaissais pas dans ma vie d'avant. Il n'y avait personne pour m'écouter. Même quand je me plains, tu m'écoutes sans rien dire. Et tu as toujours les bons mots.
      Un deuxième corbeau se posa sur le capot et la voiture pencha sur la droite. Ses larmes coulèrent sans prévenir, encore une fois, il n'arrivait pas à croire ce qui se passait. Max fixa les oiseaux quelques secondes avant de revenir à Mike.
      On dirait bien qu'on va mourir sans conclure comme on aurait dû le faire...
      — Je ne veux pas être sans toi, Mike. Et je sais que tu m'aimes... Il m'a fallu du temps avant de le comprendre mais maintenant, je le sais et tu n'as même pas besoin de me le dire. Je le sais déjà. C'est difficile pour toi de l'admettre, je comprends, je sais... Moi aussi mais plus maintenant. Je t'aime, Mike ! Je t'aime, je t'aime, je t'aime, et je pourrais le répéter un million de fois, ça ne sera jamais à la hauteur de mes sentiments. Je t'aime tellement que j'ai tout quitté pour te suivre et crois-moi, je le referais dans tous les univers. Parce qu'il n'y a que toi qui me fait ressentir ça.
      Un goût métallique ressurgit dans sa bouche, le sang coula sur son menton et il toussa pour libérer la pression dans sa gorge, sans y parvenir. Max avait la tête baissée quand il entendit un murmure à peine perceptible. L'homme retrouva son ami avec les yeux ouverts et le supplia de ne pas bouger. Mike gémit, découvrant l'effroyable situation. Derrière lui, le vide l'attendait avec la gueule béante.
      — M-max...
      — Oui, ne dis rien si ça fait mal. On s'en sortira, d'accord ? Lucy va arriver et-
      Son expression changea quand il reconnût un demi-sourire sur le visage de Mike. Dans un cœur battant excessivement, Max réalisa qu'il l'avait entendu. Tout ce qu'il avait dit... il l'avait entendu.
      — Je t-te le dis moi aussi, je t'-
      Les deux corbeaux décollèrent sans ménagement et une force inattendue fit basculer la voiture, coupant Mike. Dans la violence de leur chute, des obstacles plus importants les cueillirent, des bosses broyèrent la carrosserie du véhicule jusqu'à s'écraser contre un immense rocher. La vitre du côté passager explosa, des morceaux de verre griffèrent leurs visages et l'un d'entre eux manqua la bouche de Max qui le recracha de justesse. Ses lèvres pissaient le sang.
      Hurlant de douleur au ressenti d'une profonde lacération aux côtes, Max gémit avec les larmes aux yeux. En plus de ça, l'os de son tibia perforait davantage l'autre jambe. Le sang mouillait ses semelles, il en perdait tellement qu'il pensait s'évanouir sous peu. Mais Mike le tira de sa panique ; il tourna la tête pour voir comment il allait mais se heurta au pire. Quelque chose de si douloureux que son cœur ne s'en remettrait jamais. Un enfer qui réduisait à néant son dernier espoir.
      L'image de Mike n'était plus la même. Le sang depuis son crâne coulait abondamment sur le rocher qui les avait cueilli. Ses cheveux en étaient trempés et Max ne pouvait plus voir distinctement les traits de son visage, le rouge écarlate le recouvrant. Ses sourcils, ses cils, ses joues, son nez, sa bouche. Il pouvait juste apercevoir les yeux ouverts de Mike, un regard perdu dans le vide, qui ne papillonnaient plus. Sa poitrine ne se soulevait plus et le sang continuait de se répandre partout. Quelques mèches retombaient sur son front, le rouge se mêlant à la couleur brune de ses cheveux. Max en avait le souffle coupé. Il n'avait jamais vu autant de sang sortir d'un corps. L'homme secoua lentement la tête et gémit plaintivement.
      — Non... Non, Mike ! Pas maintenant, non, pitié... Ne me l'enlevez pas !
      Sa ceinture le bloquait toujours autant mais il sentait son corps plus incliné sur le siège passager. Max essaya de tendre le bras, forçant un étirement douloureux, et son cœur se gonfla quand il put enfin le toucher.
      — Sois en vie, pria Max.
      Le silence les entourait, il n'y avait que le chant des oiseaux qui les survolaient et des bruissements de feuilles mais les pulsations de son cœur résonnaient dans ses oreilles. Il fit abstraction de la douleur à ses jambes, appuya deux doigts sur le cou de Mike et attendit quelques secondes — en ressenti, une éternité.
      Aucun pouls.
      Il voulait croire que d'une seconde à l'autre, Mike reviendrait à lui mais la prochaine minute passa sans résultat. Aucun battement de cœur, aucun souffle, il n'y avait plus de vie. Devant cette réalisation, Max reprit son bras et se couvrit le visage de ses mains, avalé par la densité de sa souffrance.
      C'était fini. Vraiment fini. Il était parti comme ça, sans finir sa phrase, sans un adieu.
      Entre deux sanglots, Max entendit une sonnerie. Ça devait être Lucy qui essayait de les joindre. Cette fois-ci, il put sortir son téléphone mais se figea en découvrant la longue barre de fer qui traversait ses côtes. La chute semblait avoir empiré l'impact. Son maillot sous la veste était maculé de sang. Son sang.
      — Lucy ?
      — Max ? C'est toi ? Mon dieu, tu m'entends ? Jay, il a répondu !
      L'enthousiasme dans sa voix lui brisa le cœur. Ça n'allait pas durer. Max repensa à l'objet qui le perforait, d'où sortait-il ? Puis, l'homme se souvint du camion qui en transportait des centaines à l'air libre. Quelques uns avaient dû s'échapper dans l'accident et celui s'était logé en lui. Dans la gravité de son état, il commençait à croire qu'il ne pourrait pas s'en sortir ; ses jambes horriblement liés, il était aussi empalé. Peut-être qu'un organe était touché. La douleur était plus intense, sa tête le faisait souffrir et il avait terriblement froid. Maintenant, Max était seul au milieu de nulle part, à côté du corps sans vie de l'homme qu'il aimait. Comment un témoin pourrait-il apercevoir la voiture, à moins que l'autre conducteur ne donne l'alerte ? Il en doutait.
      — Lucy, répéta-t-il faiblement.
      — Oui, je suis là ! Tu vas bien ? Et papa, ça va ? L'appel a été coupé, on s'inquiétait.
      Elle n'en avait aucune idée. Elle ne savait rien. Elle n'était plus là, à l'autre bout du fil, quand la voiture dévalait la pente. Max gémit et se mordit les lèvres.
      Ne pleure pas.
      Respirer devenait plus difficile, il se demandait si, avec cette deuxième chute, l'objet n'avait pas perforé un poumon. Il n'en avait aucune idée. Après tout, il n'était pas médecin. À ce moment, la présence du docteur Ramez l'aurait aidé. Peut-être. Mais son corps semblait fébrile et Max luttait à garder les yeux ouverts.
      — Ton père... Mike...
      — Qu'est-ce qu'il y a ? Ta voix est bizarre, tu me fais peur.
      L'estomac de la jeune femme se noua, un sentiment de malaise la força à s'asseoir sur le banc devant la cabane, sous le regard surpris de Jay. Le policier était déjà assis, à cause de sa blessure à la cuisse. Quelque chose n'allait vraiment pas. Elle l'avait compris. Sa respiration saccadée alluma tous les signaux d'alerte dans son corps, elle avait les yeux au bord des larmes.
      — Je suis d-désolé, Lucy. La chute... le rocher... ça l'a tué. Je-je- on n'a pas pu se dire au revoir non plus. Il... il allait enfin dire qu'il m'aimait mais...
      Mais il ne l'avait pas fait. Une nouvelle chose frôlée sans arriver au bout. Ça avait toujours été ainsi. Quelque chose pour se mettre entre eux deux, et ça avait fini de la même façon. Max pleura à nouveau et de l'autre côté, Lucy s'effondra dans les bras de Jay qui l'avait recueillie. Une horrible douleur rongeait son cœur, comme si le monde s'était ouvert sous ses pieds, avec seul le néant pour l'avaler.
      — Dis-moi où vous êtes ! supplia Jay.
      — C'est ce camion, enchaîna Max sans l'entendre, il nous a foncés de-dessus et là on est en bas d'une falaise... une pente... Je ne sais pas, je ne sais plus... Je-je ne crois pas que je m'en sortirai.
      Sa vision se troubla mais il entendit un bruit de portière à l'autre bout du fil.
      — On part, OK ? On va vous trouver, assura Lucy.
      — Mike est mort et moi... moi, je suis une épave. Je ne m'en sortirai pas, Lucy. J'ai une-une longue barre de fer qui me traverse... Je ne sais pas si ça a touché un organe et mes jambes sont bloquées. Je-je ne crois pas que je tiendrai quelques minutes de-de plus...
      — Non, ne dis pas ça ! On y arrivera, ne me quitte pas toi aussi ! J'ai déjà perdu mes deux parents, je ne peux pas te perdre toi aussi !
      Les paupières lourdes, son temps ne se comptait plus en minutes. Il pouvait s'endormir à tout moment et au fond, il ne pensait pas se réveiller. Entendre les pleurs de Lucy au téléphone lui déchirait le cœur, comment la réconforter quand lui-même était engourdi ?
      Max tourna la tête et regarda l'homme qu'il aimait, sans vie, inerte. Le sang avait cessé de couler. Ses yeux étaient rougis et gonflés, il l'avait tant pleuré et sa souffrance physique le détruisait. Si seulement il n'avait pas à mourir seul. La vie était tellement aléatoire. Éphémère.
      — Je suis à cinq m-minutes de la cabane, je crois... Je ne sais plus, je n'arrive pas à-à m'en souvenir. Lucy, je suis désolé... désolé pour tout. J'aurais dû dire quelque chose pour ton éducation, pousser ton père à revenir sur s-ses décisions. Tu aurais dû avoir une éducation n-normale... aller à l'école, te faire des amies, t'amuser dans des soirées pyjamas si c'est ce qu'ils font encore, entrer à l'université, vivre des amourettes d'école... tout ce qu'on fait normalement. Je-je suis désolé pour tellement de choses mais... mais je suis vraiment fier de la femme que tu es devenue. Tu es vraiment... vraiment forte, tu es vraiment... Je suis désolé, je m'endors, je n'y a-arrive plus... C'est effrayant, je sais, m-mais je suis certain que tu t'en sortiras et sache que je-je t'ai toujours considérée comme ma fille, je-
      Et après le silence s'éternisa, aucun mot ne vint finir la phrase. Un bruit sec puis la fin de tonalité résonna. Le téléphone devait avoir glissé de sa main ou il avait dû le lâcher. Sa respiration s'était bloquée, à bout de souffle, l'appareil contre son oreille, comme si le temps s'était arrêté. Tout son corps entier passait en état de choc et ses larmes roulaient sur ses joues. Elle ne pouvait pas le croire. C'était si soudain. Irréel. Lucy les avait quittés le matin même, en vie et où rentrerait-elle ?
      Il y avait tellement de choses qu'elle voulait dire à son père. Et à Max. Tellement de choses qu'elle voulait faire. Mais ça en était fini, elle n'en aurait plus l'occasion. Plus de chance de revivre normalement avec son père. Plus de chance d'avoir son partenaire de crime, Max, avec qui elle faisait tout. Sa mère n'était plus là depuis si longtemps et maintenant, ses deux figures paternels l'avaient quittée. Pour toujours.
      — Il est mort, lâcha-t-elle dans un souffle fragile.
      — Je suis désolé, murmura Jay, le regard brisé.
      — Ce n'est pas possible, gémit Lucy en se tournant vers lui. Dis-moi que ce n'est pas réel, que c'est un cauchemar.
      — Je suis désolé mais je ne peux pas.
      Ses yeux s'emplirent de larmes à nouveau et elle hurla, un cri déchirant qui éclatait le cœur de Jay, pleurant lui aussi. Elle se réfugia dans ses bras, les mains agrippées à sa veste. Deux cœurs en miettes qui avaient perdu deux âmes essentielles. Au jour de la vérité qui promettait un repos paisible à Megan et une liberté enivrante à sa famille, des cœurs ne battaient plus.
      Le bras de Max flottait dans le vide sans toucher Mike. Il avait essayé mais dans son inertie n'avait pas pu le frôler. Yeux fermés, les dernières larmes coulaient. Sa dernière image, le corps sans vie de l'homme qu'il aimait depuis plus de dix ans. Un amour caché dans l'ombre et qui n'aura jamais vu la lumière. L'épave abritait deux âmes éteintes, des morceaux de verres étaient éparpillés un peu partout, avec un mélange de leur sang. Des gouttes de pluie légère tombaient encore sur les cheveux mouillés de Max, abritant Mike de l'eau — même s'il se noyait déjà dans son sang.
      Deux âmes qui s'étaient croisées sans fusionner. Deux âmes qui s'étaient aimées sans s'unir. Même sur le dernier chemin, ils ne s'étaient pas frôlés. Ça aura été ainsi tout le long de leur histoire. Un baiser interrompu par une tierce personne, une confession reportée à plus tard — à jamais, une histoire d'amour qui n'avait pas fleuri. Deux cœurs amoureux mais éloignés l'un de l'autre. Il n'y avait jamais eu de complétion, toujours un presque, une ligne éternellement inaccessible.


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Encore un dernier chapitre...
Qu'avez-vous pensé de celui-ci ?


Where hope leads usOù les histoires vivent. Découvrez maintenant