Restée à la cafétéria, Lucy entamait sa deuxième boisson. Un délicieux latte qui était brûlant. Elle dût attendre avant de boire la prochaine gorgée. Après avoir admiré un moment le paysage depuis la grande fenêtre, la jeune femme saisit son téléphone à la coque violette et appuya sur le premier numéro de la liste de ses derniers appels.
Jay.
— Lucy, quelque chose ne va pas ?
Il avait décroché si vite que ça la fit sourire.
— Vous avez fini votre réunion ?
— Oui bien sûr, ça n'a duré que quinze minutes. Je me suis fait passer un savon mais bon... Peu importe.
— Parce que je vous ai retenu au téléphone ?
— C'est sur mon compte, j'ai tardé à raccrocher.
Les remontrances de son chef ne l'importaient pas. Jay ne l'appréciait pas tellement et l'emmerder ne lui déplaisait pas non plus. Puis sa conversation était importante. Mais il n'exprima pas ses pensées à Lucy, certaines choses valaient mieux être tues.
— Ça ne fait rien. Vraiment. Sinon tout va bien ? Je pensais qu'on avait fini de parler tout à l'heure.
— Papa va mal, lâcha-t-elle dans un reniflement.
Un silence s'immisça entre eux, juste la respiration irrégulière de Jay à l'autre bout du fil. Il tenait son téléphone dans la main et resserrait sa prise autour de l'objet. Une larme s'accrocha au bord de son œil.
C'est trop tôt.
— Comment ça ? Explique-moi.
Elle lui raconta sa découverte en entrant dans la chambre, l'état inquiétant de son père qui était tâché de sang et les dires du médecin venu jusqu'à l'hôtel. Silencieux tandis qu'elle lui détaillait son avis médical, Jay surfa sur le net et tapa quelques mots sur la barre de recherches. De l'autre côté, Lucy l'entendit utiliser son clavier mais elle ne dit rien ; le policier était à son lieu de travail.
— Bon sang... Et il refuse toujours de se faire hospitaliser ? soupira Jay.
— Il ne changera jamais d'avis, vous le connaissez.
— Vieillir l'aura rendu sacrément borné. À dix-sept ans, il ne l'était pas autant.
La jeune femme ne fit aucun commentaire, elle-même ignorait la provenance de ce trait de caractère. Peut-être que la vie l'avait changé. Lucy ne connaissait que trop bien l'homme qu'il était maintenant. L'homme qui existait depuis la mort de sa mère.
— Donc pour résumer, ton père doit rester allongé quelques jours pour véritablement se reposer et il faut éviter de le laisser seul en cas de problème...
— C'est ça.
Quelques clics de souris électroniques résonnèrent depuis l'appareil. Ayant l'ouïe fine, Lucy s'était habituée à tout entendre, même les détails insignifiants.
— Je vous dérange en plein travail ? s'excusa-t-elle. Nous pouvons parler plus tard.
— Non, non. J'allais te contacter pour te donner une nouvelle information qui m'est parvenue il y a moins d'une heure. On approche dangereusement de la vérité et compte tenu de la santé de ton père, je crois que je ferais mieux de venir te donner un coup de main. Il ne peut pas mourir sans savoir ce qui s'est passé ce jour-là. Lucy, je vais partir ce soir. Je vais vous aider. Je vais t'aider.
Bouche bée par ce qu'elle venait d'entendre, la jeune femme se figea et ne sût que lui répondre. Un tas de questions envahit ses pensées, confuse d'une telle déviation dans leur conversation. Elle n'avait jamais imaginé que Jay déciderait de venir jusqu'en Angleterre pour libérer l'âme de sa mère.
— Qu-quoi ? Je- vous allez venir ?
— Ton père ne peut pas rester seul, tu l'as dit. Max restera avec lui et toi, Lucy ? Je ne te connais pas tellement mais je sais que tu partirais seule et c'est dangereux. Joey Black est un criminel qui a toujours su sortir des mailles de la police et tu n'as pas idée des choses qu'il est capable de faire.
— C'est un mafieux, je veux dire, je ne m'attends pas à un gentilhomme.
— Tu ne peux pas l'affronter seule. Alors toi et moi, nous allons venger ta mère. Nous le ferons pour ton père et pour toi aussi.
Sa poitrine gonfla d'un espoir grandissant. Si Jay venait pour avancer, la vérité pouvait éclater dans les prochains jours. Les larmes aux yeux, elle résista contre l'envie de libérer ses émotions et avala une gorgée de sa boisson devenue froide. Ça n'avait plus d'importance, tant qu'elle noyait la sécheresse de sa gorge.
— Pourquoi je ressens une urgence dans votre voix ?
— Ton père pourrait mourir à tout moment mais c'est surtout parce que Joey Black semble préparer sa fuite.
Lucy manqua de s'étouffer avec le morceau de cookie qu'elle venait de croquer et haleta le temps de reprendre son souffle.
— Comment ça il cherche à s'enfuir ?
— Il a vidé son compte en banque et il a rompu son bail de locataire abruptement. Je crois que c'est ce qu'il prévoit.
— On ne peut pas prendre le risque de le perdre ! s'emporta Lucy, terrifiée devant cette éventualité.
Une larme s'échappa le long de sa joue droite qu'elle essuya aussitôt. Il était hors de question de se rater si près du but. La jeune femme termina sa boisson, laissa la moitié de son cookie aux trois chocolats et quitta la cafétéria sous les messes basses d'un groupe d'étudiantes. Traversant le couloir pour joindre l'ascenseur, Lucy repensa à Andy.
— J'ai essayé de joindre Andy depuis notre échange mais je tombe toujours sur sa messagerie. Vous croyez que Joey, s'il est bien le tueur, lui a fait quelque chose ? Et Franklin, je me demandais ce qu'il faisait en ce moment et j'ai découvert qu'il était en prison depuis peu pour homicide involontaire.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent devant elle, un couple en sortit précipitamment. Lucy les toisa et remarqua que l'homme avait la braguette du pantalon ouverte. Un hôtel comme un autre...
— Donc le tueur de ta mère chercherait à éliminer tous les clients de ton père avant de s'enfuir.
— Mais pourquoi tous les tuer ? Ça n'a aucun sens... À moins qu'ils connaissaient son identité mais je ne pense pas que c'était le cas. Enfin, peut-être pas tous.
— Je ne sais pas, répondit Jay. On lui demandera ensemble.
Enfin en marche, la cabine monta avec lenteur ce qui agaça Lucy cette fois-ci. Elle avait l'esprit en ébullition, pataugeant dans l'urgence de la situation et digérant l'arrivée prochaine du policier. Une question émergea dans sa tête mais elle fut distraite par l'odeur désagréable qui régnait à l'intérieur de l'ascenseur. La jeune femme inspecta le sol et aperçut une petite flaque transparente dans un coin. Faisant le lien avec le couple qui gloussait dans le hall, Lucy réprima un gémissement de dégoût et s'éloigna le plus possible du liquide visqueux.
— Il y a un tas de chambres ici mais il fallait le faire dans un putain d'ascenseur que tout le monde utilise...
— Pardon ? s'éleva la voix de Jay.
— Non, pas vous. Je parlais toute seule, admit-elle avec embarras.
Se concentrant dans leur échange téléphonique malgré l'odeur, Lucy chercha à se souvenir de la question qu'elle voulait lui poser puis se perdit dans le refus catégorique du policier quelques mois plus tôt. Maintenant, il avait changé d'avis et proposait son aide de lui-même. Contente de ce revirement de situation, sa venue récente en Angleterre lui avait permise de mieux le connaître et il allait la rejoindre à nouveau.
— Mais votre boulot ?
— Ne t'inquiète pas pour ça, fais-moi confiance.
Elle fronça les sourcils, toujours soucieuse à l'idée de lui attirer des ennuis.
— Et votre femme ? glissa Lucy d'un ton hésitant.
— Ça sera mon affaire.
La fermeté de sa réponse lui pinça le cœur mais elle en fit abstraction. Clignant excessivement des yeux, la jeune femme se sentit enfin libérée lorsque l'ascenseur s'arrêta à son étage. D'autres clients entrèrent dans la cabine et elle les prit en pitié. Avec tout ce monde, la puanteur deviendrait plus forte.
— Je te tiendrai au courant de mon avancée. Informe ton père de ma venue et du pourquoi mais assure-toi qu'il tienne sa promesse de ne rien essayer. Qu'il reste au lit jusqu'à bien s'en remettre.
— Oui, considérez ça fait.
— On reste en contact, Lucy.
Arrivée devant la chambre, elle attendit que l'appel prenne fin avant d'entrer mais quelques longues secondes se terrèrent entre eux avant que Jay dise son prénom.
— Oui ?
— Je crois qu'il serait temps de me tutoyer, non ?
Lucy sourit. Elle savait que sa requête reviendrait.
— On reste en contact.
Et sur ces mots, elle raccrocha sans savoir que Jay souriait aussi à l'autre bout du fil. L'espoir la gonflait à bloc, ils n'avaient jamais été si proches de la fin.
Papa, prépare-toi.
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Where hope leads us
Mystery / ThrillerDécouvre l'histoire d'un père et sa fille dans l'errance d'une vérité lointaine, où la vie et la mort ensemble s'entremêlent. *************************************************************************************** C'est une histoire que j'ai écrite...