chapitre 10

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     Au commissariat, les policiers s'activèrent. Ses collègues s'éclipsèrent dans l'urgence tandis qu'assigné à son bureau depuis sa blessure, Jay les regardait avec un sentiment d'impuissance. Un meurtre leur avait été signalé et reconnaissant l'adresse, il fit le lien avec Louis Evan. Le père de son meilleur ami. Un tas de questions lui passait en tête, son cœur se serrait dans l'idée de son retour. Mais ça faisait très longtemps qu'il avait cessé de l'attendre. Désormais seul parmi les bureaux débordés de paperasses, Jay ouvrit son propre tiroir et releva la photo qu'il cachait. Deux adolescents souriaient devant l'objectif, là où la vie les avait déjà frappés en plein fouet mais toujours des rêves pleins la tête. Il se souvenait avoir dit à tout le monde qu'il deviendrait professeur ; il n'avait jamais pensé que les choses prendraient une telle tournure. Le voilà policier, un métier qu'il avait tant critiqué dans sa jeunesse. Au fond, il espérait retrouver la trace de Mike à travers son boulot mais son ami était très doué pour passer entre les mailles, se demandant même comment il avait fait pour y arriver. Apprendre le meurtre de Megan l'avait bouleversé. C'était donc elle, cette femme inconnue retrouvée morte à son domicile, sans la trace de son époux et leur enfant, tous les deux disparus. Son portrait n'était pas net sur les journaux, elle avait vécu comme un fantôme. Mike avait dû être dévasté. Lucy lui avait expliqué au téléphone comment ils vivaient depuis son meurtre et le choc avait été immense en réalisant qu'il reproduisait le même schéma que son propre père ; lui faire traverser le pays sans lui permettre une scolarité. Quel avenir allait avoir cette adolescente ? À ce jour, Jay l'estimait à l'âge de vingt ans. Il se demandait ce qu'elle faisait, et comment Mike vivait. Il pensait ensuite à son aîné, qui avait presque un an de moins que Lucy ; que ferait-il s'il n'étudiait pas ?
     Son partenaire lui téléphona.
     — Louis Evan est bien celui qui a été retrouvé mort.
     Tout ce temps il avait imaginé que Louis finirait par tuer quelqu'un... Pas qu'il serait la victime. Jay se souvenait de la rage ressentie en apprenant qu'il avait survécu vingt ans plus tôt. Son meilleur ami avait tout quitté pour rien. L'avait quitté, lui, pour rien. Et cet homme si cruel vivait encore.
     — C'est pas tout...
     — Il y a plus ?
     — Un témoin jure avoir vu son fils... Mike Evan. Avec un autre homme, peut-être de son âge et un peu plus grand, et une très jeune femme.
     Les couleurs autour de lui fanèrent, un monde qui perdait son éclat d'un cœur abîmé. Les saisons avaient changé, le temps était passé mais le poids sur sa poitrine le restreignait toujours autant. Son esprit se remplit de la voix de Mike, un rire magnétique qu'il avait toujours craint perdre dans le sang et ce visage... Un adolescent au regard angoissé qui avait effacé son passé. Ce passé qu'il avait essayé d'enjoliver pour l'amour de son ami.
     — Jay ? C'est bien l'homme que tu cherchais ?
     — Oui... Oui, c'est lui.
     — Il serait entré dans l'appartement sans se signaler et il est ressorti avec les mains pleines de sang.
     — Tu veux dire que...
     — Oui, Jay. On dirait bien qu'il a torturé la victime avant de le tuer par suffocation.
Et il était revenu finir ce qu'il avait commencé...

                                                                        ***

     Le ciel sombra dans l'obscurité qu'elle contemplait à travers la fenêtre du motel choisi pour la nuit. Mike dormait déjà, le visage paisible pour la première fois depuis longtemps. Lucy guettait le retour de Max qui avait dû se faire soigner à l'hôpital. Heureusement qu'il n'était pas reconnu des services de police, ça n'était pas le cas pour Mike avec son passif et pour Lucy qui était connue pour sa ruse dans le vol de matériel. Comment Mike pouvait-il dormir tranquillement après avoir cassé le poignet de son seul ami ? Elle vérifia l'heure sur sa vieille montre et se dit que Max ne devait pas tarder. Un mal de crâne lui survint soudainement et elle alla s'allonger sur l'autre lit, fixant le plafond.
     Maman... Je me demande ce que tu penses de nous maintenant.
     Jamais elle ne regretterait la mort de Louis. Il le méritait. Et si son père ne l'avait pas tué, peut-être qu'elle l'aurait fait à sa place. Mais le but était de venger Megan. Ce n'était pas Louis qui l'avait assassinée. Un meurtre de plus qui n'était pas prévu. Après tout, ils le croyaient mort depuis vingt ans. C'était juste remettre les choses dans l'ordre. Était-ce mal, de penser ainsi ? Quand avait-elle cessé d'être sensible ?
     — Hey, Lucy.
     Le chuchotement de Max qui venait d'arriver la sortit de ses pensées et elle se leva le rejoindre. Un plâtre au poignet droit, il lui tendait de l'autre main des boîtes de pizza, avec le sourire. Ignorant sa nausée, Lucy jubila et débarrassa la table ronde au milieu de la pièce.
     — Il dort beaucoup ces derniers temps, tu ne trouves pas ? remarqua Max.
     — Maintenant que tu le mentionnes, c'est vrai... L'âge.
     — Ahah ! Il n'est pas si vieux...
     — Tu dis ça parce que tu n'es pas loin derrière lui ?
     Elle gloussa devant l'air faussement neutre du trentenaire qui entama sa première part de pizza.
     — Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
     — Une chose à la fois, Lucy.
     Mais elle ne savait pas attendre. La frustration tiraillait son esprit, comme une impression de tourner en rond.
     — Tu vas aller le voir ?
     — Hum ? Qui ça ?
     — Michael. Ça fait un moment que tu ne l'as pas vu et comme on est là...
     — Non... On n'est pas là pour ça.
     — Ne te mets pas des bâtons dans les roues pour ton père. Tu sais, tu as l'âge...
     — Tu n'essayerais pas de te débarrasser de moi ? plaisanta Lucy.
     — Faut bien que je me trouve des moments seuls avec ton père, souffla Max.
     Ce n'était pas souvent qu'il mentionnait, même indirectement, le désir de se rapprocher de Mike.
     — Je peux m'en aller quand t'en as besoin, tu as juste à me faire signe.
     Clin d'œil complice. Max sourit malgré sa gêne. Il n'avait jamais caché son intérêt pour Mike mais ne l'avait jamais manifesté. Avec un homme comme lui, il ne pouvait pas jeter son dévolu aussi facilement et ça, Lucy le savait. Ça l'étonnait même qu'elle le soutienne parfois. Quand elle faisait ça, Max se demandait si elle n'en savait pas quelque chose des sentiments de Mike. Quelque chose que lui ne savait pas.
     — Ouais, tu pourrais aller voir Michael.
     — Arrête avec ça...
     — S'il te savait en ville, il serait fou de joie.
     — Non. Ça ne sert à rien de nourrir un espoir mort.
     Il fit la moue mais n'insista pas. Lucy était réceptive jusqu'à un certain point. Au moins, elle n'était pas aussi intransigeante que son père l'était. Si c'était le cas, Max se demandait comment leur trio aurait fonctionné après dix ans.
     Après avoir fini leur repas, Lucy et Max se séparèrent et regagnèrent leur propre lit. Songeuse après l'évocation de Michael, la jeune femme sortit alors son téléphone et défila sa liste de contact avant de tomber sur lui. Ça faisait quelques semaines depuis leur dernier échange et Lucy devait bien admettre qu'elle n'avait pas fait d'effort pour entretenir la conversation. S'il était un peu plus jeune qu'elle, Michael était différent des autres. Raisonnait-elle ainsi parce qu'elle l'avait toujours bien apprécié ?
Michael : Tu penses que tu reviendras ?
Lucy : Aucune idée. Je ne pense pas plus loin.
Michael : Et si je venais ?
     Et depuis, silence radio du côté de la jeune femme. Michael devait savoir qu'elle l'avait lu sans s'être donnée la peine de répondre. Bloquée sur le fil de la conversation, Lucy hésitait. Elle se demandait si c'était une bonne idée de le relancer après tout ce temps. Peut-être qu'il lui en voulait.
Michael : Il semblerait que tu es en ville.
     Le souffle coupé, elle venait de recevoir un nouveau message. Comment pouvait-il savoir qu'elle était dans les environs ?
Michael : Je sais que tu es là...
Michael : Je sais pas pourquoi je me suis tenu à distance depuis.
Michael : Je me disais qu'il était peut-être temps de tourner la page.
Michael : Puis j'ai appris que tu étais de retour.
Michael : Me laisse pas encore en vu.
     Lucy repensa à leur dernière rencontre ; il l'avait embrassée. Ça l'avait perturbée puisqu'elle s'était découverte un nouveau sentiment. Depuis, ils avaient dû vivre loin l'un de l'autre sans rompre le contact. Ensuite, ils s'étaient éloignés jusqu'à ne plus se parler du tout. Un amour de jeunesse qu'elle avait cru terminé. Mais ses messages lui ouvrirent les yeux sur le mensonge qu'elle s'était mise dans la tête. La réaction de son corps à l'idée de le revoir ne mentait pas.
Lucy : Il paraît.
Michael : Mon père me l'a dit. Quelque chose s'est passé ici.
     Comment oublier que le père de Michael n'était autre que Jay, un policier ? Si leur présence était découverte, ils devaient s'en aller rapidement. Ne pas s'éterniser ici.
Michael : Tu vas bien ?
Lucy : Oui, je vais bien.
Michael : Qu'est-ce qui s'est passé ? Mon père refuse de m'en parler. Il a parlé d'un Louis. Je sais pas qui c'est.
Lucy : C'était mon grand-père.
     Les prochaines minutes s'écoulèrent lentement, un silence qui la laissait perplexe. Lui qui répondait toujours dans les secondes suivantes. Lucy tourna la tête et vit Max dormir. Devait-elle les réveiller maintenant pour prendre la route ? La police allait venir les chercher.
Michael : On peut se voir au moins avant que tu repartes ?
Michael : Je sais que tu resteras pas longtemps.
Lucy : Je ne peux pas.
Michael : Ou peut-être que tu veux pas.
     Son téléphone afficha soudainement la photo de Michael en plein écran ; il l'appelait en FaceTime. Mais elle ne voulait pas le voir. Ni lui montrer son visage. Coupant la sonnerie avant qu'elle ne réveille un des deux hommes endormis dans la même pièce, Lucy poussa un soupir de soulagement.
     — C'est qui ?
     La voix de Max, qui avait le sommeil léger, s'éleva avec douceur.
     — Michael.
     — Tu ne veux pas lui répondre ?
     — C'est compliqué, Max.
     — Peut-être que ça n'a pas à l'être.
     — Dans une autre vie.
Michael : C'est pas grave si tu veux pas. J'aurais essayé.
Michael : Comme à chaque fois...
Lucy : Ne rends pas les choses plus difficiles qu'elles ne le sont déjà.
Michael : Ce que je veux est très simple, Lu'.
     Tourner en rond, encore et encore, la fatiguait.
Michael : J'imagine que vous allez devoir repartir rapidement.
Michael : J'ai compris pourquoi.
Michael : Mais t'es pas obligée d'en parler.
     Lucy souffla et croisa le regard curieux de Max, qui s'était roulé sur le côté pour mieux la voir. Une partie d'elle lui donnait envie de courir après Michael mais elle devait garder son sang froid. Elle ne pouvait pas agir à sa guise ou mettre en danger son père pour une amourette.
Michael : C'est juste pesant comme tu me manques encore.
Lucy : Tu devrais tourner la page depuis le temps.
     Ce message impulsif s'envoya sans retour en arrière possible. La jeune femme se mordilla les lèvres, craignant de regretter mais le mal était fait. Le mal pour un bien, ou alors le bien malgré le mal. Les minutes passèrent, Michael espaça le silence. Elle n'attendit pas davantage et rangea son téléphone sous l'oreiller pour essayer de dormir mais le sommeil ne vint pas. Seul le souvenir de ces quelques jours datant de trois ans revenait la hanter. Ces jours qui avaient suffi en eux-mêmes pour s'éprendre de Michael, un garçon intellect mais maladroit. À entendre son père appeler Jay chaque soir, la jeune fille s'était mise en tête de le retrouver dans l'espoir d'apaiser les maux de Mike. La tête pleine pour un potentiel indice, Mike les avait laissés partir sans s'en soucier. Ensemble, les deux amis avaient découvert sa ville d'origine et cherché Jay. Loin pour une enquête, ils n'avaient pas pu le rencontrer mais avaient fait la connaissance de sa famille à la place.
     Jay vivait avec son épouse, Lindsay, avec qui il avait eu Michael très tôt. Par la suite, ils avaient eu deux autres enfants, May et Penny. En les rencontrant, Lucy avait appris que Jay, s'il n'avait jamais oublié son meilleur ami, refusait de l'évoquer. Pourtant, il avait nommé son aîné après lui. Ces quelques jours, Lucy les avait passés avec Michael, attendant le retour à venir de Jay. Depuis la mort de sa mère, ils avaient été les plus libres, les plus riches, de sa vie. Michael l'avait transportée là où elle n'avait jamais pu nicher. Partir avait été un véritable crève-cœur et elle avait même envisagé rester avec lui. Mais abandonner son père était hors de question... malgré tout. Le séjour devait se prolonger mais Lucy et Max avaient été forcés de détaler auprès de Mike qui s'était attiré des ennuis en leur absence. C'était par la suite que Lucy put contacter Jay par téléphone, grâce à Michael. Ce dernier avait été profondément attristé par le départ de Lucy, il s'était entiché d'elle. Un amour qu'il chérissait encore des années après, dans la distance qui se creusait davantage.
     — On doit partir, dit enfin Lucy.
     Désolée, Michael. J'imagine que cette fois-ci, la vie nous manquera encore.
     — Pourquoi ? s'étonna Max qui se leva.
     — La police nous a identifiés. Ils sont sur nos traces.
     — Comment tu sais ça ?
     La voix de Mike se cassa, peinant à ouvrir les yeux. Comment lui parler de Michael et Jay ? Il ne savait rien et c'était probablement mieux ainsi.
     — J'ai mes sources. On devrait y aller avant qu'ils arrivent, insista Lucy.
     — Bon, allons-y. Je prends ma douche d'abord et on s'en ira.
     — Ne traînons pas.
     — Ça ne prendra pas longtemps, Lucy. Occupe-toi du reste.
     Mike lui tourna le dos et s'enferma dans la salle de bain. Sa fille soupira et aida Max à rassembler leurs affaires. Voilà trente minutes depuis le dernier message de Michael, elle l'oubliait déjà, soucieuse de se voir embarquer par la police après l'avoir évitée si longtemps.
     Ce qu'elle craignait arriva. Quelqu'un toquait à la porte ; Max se figea devant l'air ahuri de Lucy, se demandant ce qu'ils devaient faire. La personne toqua de nouveau.
     — Qui ça peut être ?
     — J'ai ma petite idée...

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Fin de chapitre ! :)
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