Il n'y avait aucun doute ; son état empirait. Max commençait à douter des mois donnés par le médecin. Et s'il s'était trompé sur le temps qu'il lui restait à vivre ?
Gagné par la panique, il urgea son ami d'aller à l'hôpital mais se heurta — sans surprise — à son refus. Parfois, il détestait vraiment comment Mike était borné. Les larmes coulèrent sur ses joues, il le berça dans l'espoir d'alléger sa souffrance qui était indéniable en lisant son regard. Cherchant son téléphone, il balaya la pièce et l'aperçut sur la table ronde mais n'osa pas laisser Mike ne serait-ce le temps de quelques secondes.
Lucy devrait bientôt rentrer, n'est-ce pas ?
À plusieurs occasions, Mike s'endormit mais son ami le rappela à l'ordre ; il en était hors de question. Rien ne lui assurait qu'il se réveillerait.
— Si tu ne veux pas aller à l'hôpital, laisse-moi au moins appeler le médecin qui t'a diagnostiqué la tumeur, hum ? Je veux respecter tes choix alors accorde-moi cette faveur, Mike !
— D'accord... mais pas d'hôpital. Même si je perds conscience, ne m'emmène pas là-bas. Promets-le moi !
— Bon sang... Oui... OK ! C'est promis !
Il reflétait dans son regard une reconnaissance et les deux hommes constatèrent que le sang ne coulait plus de son nez. C'était une bonne chose mais il n'était pas tiré d'affaire pour autant. Son corps était si affaibli que Mike était incapable de se hisser pour monter le lit, il devait dépendre de Max. Leur proximité était plus forte que jamais mais l'idée d'un baiser ne leur traversait pas l'esprit. Le malaise d'un avenir sans lendemain prenait le dessus.
— Je vais appeler le médecin, OK ?
Luttant pour ne pas se perdre dans le sommeil, Mike répondit par l'affirmative d'une voix basse. Son ami se remua, récupérant son téléphone sur la table et saisit précipitamment le numéro du médecin — qu'il avait appris par cœur — sous l'attention du malade. La tonalité résonna dans son oreille droite, Max commença à se ronger les ongles, une habitude qu'il avait perdue depuis des années. Silence palpable mené par les tapotements de son pied, il se brisa par le grincement de la porte qui s'ouvrait lentement. Lucy, qui regardait l'écran de son téléphone, apparût sur le seuil et leva la tête. Reconnaissant sans détour le regard anxieux de Max, la jeune femme se figea, surprise devant l'urgence de la situation, et tourna la tête vers son père.
— J'ai raté quelque chose ? Qu'est-ce qu'il se passe ?
Allongé sur le lit, un peu dans les vapes, Mike essaya de tendre la main en sa direction mais il en fut incapable. Impuissant, il dévisagea sa fille qui perçut le sang sur son visage. Ses yeux s'écarquillèrent, combattant les larmes qui menaçaient de couler et elle se tourna de nouveau vers Max. Lui avait quelques éclaboussures de sang sur le visage et cette vision la perturbait grandement. Se rendant à l'évidence, la jeune femme lâcha sa boisson qui explosa contre le sol et se jeta à son chevet. Leurs mains s'entremêlèrent, il récupéra la froideur depuis la sienne ; la température de son corps était anormalement élevée.
— Mon dieu, papa ! Dans quel état tu es...
— Allô, docteur ? Max River.
Sa voix vola l'attention de Lucy qui se retourna quelques secondes et se heurta à la gravité de la situation lorsqu'elle réalisa que son père, à cet instant, ne la reconnaissait pas. Il avait les gros yeux, détaillant les traits de son visage. Le cœur de Lucy se déchira, c'était la troisième fois qu'il se perdait en elle. Une larme silencieuse coula tandis qu'elle s'efforça de se présenter à nouveau devant lui.
— Non, papa... Moi, c'est Lucy. Je suis ta fille.
— Megan, répéta-t-il.
— Maman n'est plus là, je suis désolée...
La bouche entrouverte, Mike marqua une pause puis son regard s'assombrit. Une vision d'horreur lui traversa l'esprit, avec la réalité de son monde en l'absence de Megan. Comme il aurait voulu que ces quelques secondes d'égarement s'éternisent. Rester dans le déni ne l'effrayait pas si ça signifiait oublier que son amour ne l'avait jamais quitté. Avec le rappel de sa mort, il fut pris par une convulsion de sanglots tandis qu'au loin, Max le regardait, impuissant.
Dix minutes plus tard, le médecin arriva. Les cheveux coiffés à la perfection, il était vêtu d'un smoking avec une cravate verte qui portait la couleur de ses yeux. Depuis leur dernière rencontre, le vieil homme semblait avoir échangé ses lunettes rondes pour des nouvelles en rectangle. Ça lui donnait un drôle d'air mais Lucy ne dit rien, son esprit était ailleurs.
— Vous avez de la chance, Mike. Je déjeunais avec ma femme pas loin d'ici.
— Quelle chance..., murmura ce dernier.
— Vous l'avez laissée là-bas ? s'étonna Lucy.
— Oui. Heureusement, nos enfants nous accompagnaient. Elle boudait un peu mais ça lui passera, assura-t-il en souriant. Je vais devoir me rattraper.
— Je suis désolé de vous avoir arraché à votre déjeuner, soupira Max.
— Ça ne fait rien ! La santé de notre monsieur têtu est importante.
Le cinquantenaire ausculta Mike, ses sourcils s'accentuant au fur et à mesure de son évaluation. Enterrant tout le monde dans le silence, le médecin essuya les tâches sur son cou avec une serviette douce qui perdit sa blancheur. Se sentant coupable de l'avoir dérangé dans sa sortie, Mike préférait se faire petit et évita son regard du mieux qu'il pouvait. Une attitude qui n'échappa pas à l'œil de faucon du docteur Ramez. Il lui sourit dans l'espoir d'effacer son sentiment de culpabilité mais c'était mal connaître Mike Evan.
Durant ses soins, les deux autres présents dans la pièce restèrent discrets. Max les observait depuis le canapé et Lucy gardait le dos plaqué au mur qui longeait la porte d'entrée. L'inquiétude se manifestait dans leurs regards et cette réalisation happait le cœur de Mike. Il détestait être dans cet état. Malade.
Impuissant.
Et mourant.
Il détestait comme son état les rongeait. Il détestait la peur qu'il laissait s'installer à la question du moment fatidique. Il détestait devoir bientôt les quitter et ne rien pouvoir changer. Par-dessus tout, il détestait l'idée d'abandonner une nouvelle vie à la libération de sa vengeance.
Lorsqu'il termina de lui administrer quelques médicaments, le médecin se redressa avec une mine inquiétante. Son expression piqua le cœur de Lucy qui l'approcha avec un regard anxieux. Elle ne savait pas pourquoi elle s'autorisait à tromper son esprit dans l'espoir d'un miracle.
— Il faut aller à l'hôpital, trancha-t-il, je pense qu'il faudrait refaire les examens pour voir l'avancée de la tumeur. Il se pourrait que votre état ait empiré, Mike. Ces symptômes sont un signe d'une tumeur plus importante. Votre cerveau ressent la pression.
— C'est ce qu'on se tue à lui dire mais il n'en fait qu'à sa tête, souffla Max.
Docteur Ramez secoua la tête et haussa les épaules.
— La décision revient au patient... Même si ce n'est pas forcément le bon choix, nous nous devons de le respecter. Nous donnons nos recommandations et seul lui décide de la suite.
— Exactement, agréa le concerné. C'est ce que je dis toujours.
— Mais Mike, je vous conseillerais vivement de vous y rendre dans les plus brefs délais.
— Est-ce qu'y aller me sauvera la vie ?
Comme s'il avait attendu cette réponse, le médecin secoua regrettablement la tête. Mike le savait, évidemment, il l'avait averti dès la découverte de sa tumeur mais il voulait prouver. Le malade jongla son regard entre Lucy et Max, qui ne s'exprimaient pas. L'idiot espoir gonflait encore leurs poitrines.
— Ça ne vous sauvera pas, Mike. Les résultats des examens étaient catastrophiques, la tumeur était bien grosse. Inopérable. Et elle semble avoir évolué...
— J'en suis conscient, docteur.
— Il faut dire que le temps est votre pire ennemi. Les symptômes vont certainement prendre plus de place et rendre le reste de votre vie insupportable.
La fatalité de sa maladie ne lui laissait aucune surprise. Il allait en baver et Mike le savait depuis le début. Lui seul s'y était préparé, lui seul était prêt à affronter la douleur. Mais il avait mal mesuré son degré. Accaparé par sa souffrance qui le terrassait au lit, l'homme craignait son intensité dans les semaines à venir.
— Vous dîtes que c'est inopérable mais vous nous aviez conseillés de faire une opération, avança Max.
Son visage semblait avoir vieilli d'un coup. Marqué par ses émotions, il essayait de rester fort devant Mike mais cette répression ressortait physiquement. Sa détresse sautait aux yeux des autres personnes présentes dans la chambre et le médecin voulut le rassurer mais il ne pouvait pas le faire sans mentir. Et ça n'était pas dans ses aspirations professionnelles.
— Nous pouvons essayer d'en extraire une partie mais rien n'est assuré. Ça pourrait ne pas fonctionner. Nous en serions sûrs lors de l'opération mais d'après les images, je crains que...
— que ça ne soit pas possible d'en enlever assez pour lui sauver la vie, compléta Lucy.
Le médecin acquiesça en se tournant vers la jeune femme qui gardait un calme impressionnant.
— Mais s'il essayait et que ça marchait ? insista Max.
— L'opération comporte un haut risque d'échec. C'est compréhensible que Mike ne veuille pas la faire, il pourrait perdre ce qu'il lui reste. Un temps précieux pour profiter de ses derniers moments avec l'entourage.
Vaincu, Max n'ajouta rien et traîna son regard dans un coin. Maintenant que son travail était fait, le docteur Ramez pivota vers son patient et lui adressa un regard compatissant.
— Que faire maintenant ? demanda Lucy. Comme il refuse d'aller à l'hôpital.
— Je recommande beaucoup de repos. Restez allongé pour les prochains jours. Ça ne vous sauvera pas mais votre corps en a besoin en ce moment. Ménagez-vous, Mike.
— Entendu, soupira le concerné.
Déposant quelques médicaments sur la table de chevet, le médecin donna les instructions à Lucy qui les nota dans un carnet violet qu'elle emmenait partout. Acquiesçant à chaque explication, la jeune femme montra son investissement tandis que Max ne restait distant pas. Assis autour de la table ronde, ce dernier divaguait dans son esprit, ne se rendant pas compte que Mike l'observait depuis le lit. Il s'inquiétait pour lui le plus. Lucy était solide, elle puiserait dans sa souffrance pour en faire une force et renaîtrait de ses cendres. Mais Max était différent. Ces dix dernières années ne l'avaient pas forgé, il avait gagné en sensibilité et perdu en courage. Il ne voyait pas qu'il s'était reposé sur Mike. À fuir son monde d'origine, il s'était autorisé à glisser. Ses fondations demeuraient fragiles et le degré de son amour pour lui le renverserait dans sa perte. Une fatalité qui se mêlait à sa mort ; l'effondrement d'un amour resté dans l'ombre.
— N'hésitez pas à m'appeler en cas de besoin, somma le médecin.
— Merci, lui serra la main Lucy. Merci infiniment, docteur.
— Je suis désolé d'avoir interrompu votre déjeuner, dit Mike d'une voix faible.
— Ne vous excusez pas, je suis content que vous m'ayez appelé.
Son visage s'illumina dans la forme d'un sourire apaisé, les médicaments commençaient à faire effet.
— Prenez soin de vous, Mike.
Il acquiesça légèrement et le regarda s'éloigner. Le médecin salua les autres et s'éclipsa en laissant un silence assourdissant. Lucy contempla son père, se forçant à sourire. Elle ne s'était jamais voilée la face. Son père était malade, c'était indéniable. Il était même mourant, elle devait faire avec. Parfois, elle levait la tête en direction du ciel et admirait la lune qui accompagnait ses étoiles. Est-ce que tu me regardes, maman ?
Sans jamais une réponse pour lui parvenir mais ça lui allait. Lucy aimait l'idée que sa mère veillait toujours sur elle. Il lui arrivait de prier pour un miracle. Même si elle connaissait la fin, ce petit espoir continuait de vivre dans son cœur. Il n'y avait rien de mal à espérer. Mieux encore, c'était ce qui animait l'humanité depuis la première ère.
Qui sait, peut-être qu'un jour, quelqu'un là-haut m'entendra.
Pour Max, c'était différent. Elle le voyait, à essayer de ne pas s'effondrer. Son image lui brisait le cœur et Lucy savait qu'il se laisserait aller dans les ruines si elle aussi ne résistait pas. Il y avait des moments où elle voulait pleurer et détruire tout ce qui l'entourait. Mais elle ne le faisait pas. Elle ne le pouvait pas.
Comment accepter de perdre l'homme qu'il aimait ? Savoir qu'il ne pouvait rien y faire le bouffait. Et toutes ces années perdues à renier leur amour lui laissait un goût amer. À constater le déclin de son état, peut-être que la vie ne voulait plus être généreuse avec le temps qu'il leur restait.
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Where hope leads us
Mystery / ThrillerDécouvre l'histoire d'un père et sa fille dans l'errance d'une vérité lointaine, où la vie et la mort ensemble s'entremêlent. *************************************************************************************** C'est une histoire que j'ai écrite...