Un bruit de porte le tira du sommeil, Mike papillonna ses cils et sourit en reconnaissant le visage de sa fille. Elle s'excusa pour l'avoir réveillé mais il signifia son indifférence en balayant sa main. Max parlait fort depuis la salle de bain, au téléphone avec son frère aîné. Depuis sa vadrouille, leur relation était conflictuelle et souvent, Mike s'était senti coupable de l'avoir arraché à son train de vie.
Soudain, sa gorge l'irrita. Cette sensation nourrit un sentiment d'inconfort puis son expression changea lorsqu'il crut s'étouffer. Lucy fronça ses sourcils et avança de quelques pas, lui demandant s'il allait bien mais il ne semblait pas l'entendre. Un goût métallique se remplit dans la bouche de Mike qui recracha aussitôt le liquide écarlate mais il ne tâcha pas les draps du lit ; grâce à sa réactivité, Lucy avait piqué une serviette sur la table pour limiter les dégâts. Arrivée au bon moment, il n'y avait que quelques gouttes de sang sur son visage. Elle ne pouvait pas le voir mais elle le sentait sur sa peau. La jeune femme s'assit au bord du lit tout en maintenant le tissu — qui n'était plus si blanc — contre sa bouche. Leurs regards se croisèrent et Lucy s'efforça de lui sourire. Cette tristesse dans les yeux de son père lui retournait le cœur.
Remis de sa crise, Mike repoussa la serviette ensanglantée et remercia sa fille.
— Ça va ? demanda-t-elle, anxieuse.
— Oui, oui...
Sans un mot, Lucy déposa la serviette sur ses cuisses et reposa ses mains dessus. Elle ne fit aucun commentaire, ne chercha pas à l'accabler de questions et pour son silence, il lui en était reconnaissant. Elle savait comme sa maladie était un sujet sensible. Cependant, Mike baissa les yeux et réalisa que sa fille s'agrippait au tissu. Un comportement anxieux qu'il avait remarqué à plusieurs reprises, un trouble qui semblait s'amplifier avec le temps.
— Tu es restée longtemps à la cafétéria.
— Oui, je voulais rester seule un moment.
Elle s'isolait de plus en plus, comme si la solitude devenait son seul ami. Mike voulait exprimer son inquiétude mais il garda le silence. Peut-être que ce problème n'avait pas tant d'ampleur comme il l'imaginait. Après tout, il sentait bien qu'il perdait la boule.
— Tu as petite mine, jugea Lucy. Tu as pu dormir un peu ?
— Pas vraiment, admit-il. Je n'arrive pas à dormir assez longtemps pour que ça me fasse du bien.
— Hum, il te faut vraiment du repos, papa. Les médicaments devaient suffire, pourquoi ça ne t'assomme pas ?
— Je dois avoir un mental d'acier.
— À force d'être borné.
Ils partagèrent un rire, Mike semblait avoir retrouvé son éclat. La voix de Max se tassa, son appel venait de prendre fin mais il resta un moment dans la salle de bain. Ces quelques minutes se ressentirent comme une éternité, père et fille appréhendaient le visage qu'ils découvriraient lorsqu'il se joindrait à eux. L'homme sortit enfin, l'air composé mais les deux autres n'étaient pas dupes. Une tempête de chagrin rageait dans ses yeux.
— J'ai quelque chose à vous dire, lâcha Lucy pour habiller l'atmosphère.
Leurs regards glissèrent sur elle sans attente. Max s'adossa contre le mur et croisa les bras, tout ouïe.
— Jay va venir dès demain.
— Quoi ? Pourquoi ? s'étonna Mike.
Il tourna la tête vers son ami qui avait un sourcil arqué. Bien que sa venue ne lui déplaisait pas, Mike cacha sa confusion ; ils s'étaient donnés rendez-vous dans deux semaines. L'avancée de sa venue alluma les sirènes dans son esprit, il devait être dans l'urgence et ce détail seul l'angoissait déjà.
— Il a découvert quelques informations qui pourraient nous mener à la vérité, dit Lucy.
— Oh vraiment ? s'élança Max.
— Quelles sont les informations ? la questionna son père.
— Marissa, la fille de Joey, s'est suicidée peu avant le meurtre de maman. Il pourrait qu'il ait voulu se venger de toi, papa, en la tuant.
La découverte de sa mort le frappa, causa un tourbillon dans son corps. Mike n'avait jamais imaginé qu'elle irait jusqu'au suicide mais tout prenait son sens désormais. Évidemment que Joey le blâmerait pour sa mort, il n'avait jamais accepté sa part de responsabilité dans les troubles mentaux de Marissa. La pensée que Megan avait été assassinée à cause de lui revint le hanter. Il ne pouvait pas supporter cette éventualité et chercha à taire son sentiment de culpabilité, une lutte qui le rongeait depuis des années. L'allusion de Lucy l'avait renvoyé à son incertitude et il s'obligea à dévorer ses larmes.
— Et il semblerait que Joey se prépare à s'enfuir, continua sa fille. Je l'ai informé de ton état et il a décidé de venir nous aider.
— De lui-même ? supposa Max.
— De lui-même.
Incertain de la réaction qu'il devait avoir, Mike garda le silence malgré l'attention des deux autres sur lui, se mordillant les lèvres. Le goût métallique dans sa bouche le gênait mais il n'arrêta pas jusqu'à causer une ouverture. La douleur le ramena à la réalité, lui qui croulait sous ses pensées nocives.
Marissa est morte, chuchota-t-il imperceptiblement.
— Oui, répondit sa fille qui l'avait entendu.
— À cause de moi ?
— Elle avait ses problèmes, je suis sûre que c'était un mélange de différents facteurs.
— Je ne sais pas... Sa vie a changé quand je l'ai croisée. Tout le monde le disait, surtout Joey. Marissa n'était plus la même et sombrait dans la folie. Pendant longtemps, j'ai cru que j'avais fait quelque chose de mal. Quelque chose que je n'aurais pas dû faire. Il m'a fallu des années avant de me rendre compte qu'elle était probablement déjà perturbée. Je n'avais rien fait de spécial à part être gentil, l'aider quand elle semblait en avoir besoin. Marissa... Je crois qu'elle n'était pas habituée à qu'on la traite comme un être humain avec des émotions. J'ai dû déclencher quelque chose chez elle pour s'être autant entichée de moi. Et Megan...
Sa voix se brisa en prononçant son prénom.
Si j'avais mieux géré le problème, elle serait toujours là avec moi. Avec sa famille.
La fatalité de leur rencontre l'abattit. Mike détestait ne pas pouvoir changer les choses. Il se laissa envahir par des éventualités, des « et si ? » qui referaient leur monde. Megan revint le hanter dans l'image de son visage souriant et de l'éclat dans ses yeux.
Sa détresse n'échappa pas à Lucy qui lui prit la main.
— Tu l'as rejetée parce que tu étais marié. Parce que tu aimais maman. C'est normal... Tu ne pouvais pas prévoir que Marissa finirait comme ça.
— Je sais, soupira-t-il. La pauvre...
Le silence les suivit un moment jusqu'à se rompre par la voix de Max.
— Alors, il vient quand Jay ?
— Il part ce soir et devrait arriver tôt demain matin, rapporta Lucy.
— Et son boulot ? ajouta-t-il. Comme c'est soudain...
— Je lui ai posé la question mais il m'a dit de lui faire confiance, qu'il gérait la situation.
— Ah d'accord... J'imagine que sa femme ne s'y serait pas opposée.
Ressentant un malaise qui lui était familier, la jeune femme se retourna et fronça ses sourcils. L'air faussement neutre de Max l'agaça mais elle prétendit ne rien voir et reporta son attention sur Mike qui ne dégageait aucune curiosité. Ce dernier se contentait juste d'hocher la tête en notant ces informations, même s'il pensait qu'il ne s'en souviendrait plus d'ici quelques heures.
— Peut-être, j'en sais rien ! rétorqua Lucy. Il paraît que leur relation est compliquée maintenant.
Surpris par la bombe qu'elle venait de lâcher, les deux hommes s'échangèrent un regard.
— Comment ça ? Pourquoi ?
— Comment tu le sais surtout, commenta Max.
Lucy l'ignora, il était exécrable d'un seul coup et sa patience avait des limites. Si elle revoyait ce visage sournois, elle pouvait bien exploser. Parfois, la vérité devait être tue. En se focalisant sur son père, elle jurerait qu'il savait à quoi Max faisait allusion mais il ne dit rien. Et s'il savait ? Et s'il voyait ?
— Michael m'a dit qu'il les avait entendu parler de divorce.
— À ce point ? s'étonna Mike.
— Et Jay, il en dit quoi ? rebondit son ami.
— Je ne sais pas ! On ne parle pas de ça.
Sur les nerfs, la jeune femme ferma les yeux et serra la mâchoire. Dos à Max, il n'y avait que son père pour la voir aussi remontée. Quand elle les rouvrit, leurs regards se connectèrent mais aucun des deux ne dit quelque chose. À cet instant, Lucy réalisa que c'était ce qu'il faisait. Peu importe ce qu'il voyait, Mike n'en parlerait jamais le premier. Son cœur se serra davantage lorsqu'il forma un sourire, elle ressentait le soutien de son père. D'ailleurs, ce dernier lança un regard noir à Max qui s'adoucit.
Bien au contraire, la présence de Jay rassurait Mike. Il savait que son ami s'assurerait de sa sécurité ; il déploierait tous les moyens possibles pour sauver Lucy en cas de danger. Pour avancer dans l'enquête, il avait confiance en lui pour accompagner sa fille. Et comme il l'avait répété depuis les recommandations du médecin, Max ne le laisserait pas seul.
« On ne sait jamais ce qu'il pourrait t'arriver ! On te trouverait mort si on part plus de quinze minutes », rétorquait-il souvent.
Sa dévotion le touchait toujours, il demeurait un allié indispensable ; il avait rendu ces dernières années plus supportables. Mike le savait ; sans Max, lui et Lucy n'auraient pas survécu.
— Tu as contacté Andy ? l'interrogea Mike.
— Oui, plusieurs fois mais aucune réponse, soupira sa fille. Je commence à m'inquiéter. Et s'il lui était arrivé la même chose qu'à Jackson et Nikolaï ?
La situation devenait plus urgente au vu des indices présageant la fuite de Joey, il leur fallait agir sans plus attendre. Non seulement parce que le meurtrier cherchait à déserter, le temps n'était pas offert à Mike.
— Bon sang, gémit-il. On doit vite agir.
— Ne t'inquiète pas, papa. Je m'en occuperai demain avec Jay, on verra comment les choses se passeront. En attendant, toi, tu dois te reposer.
— Avec Jay, hein ? Ça me laisse sur le banc de touche ?
Lucy haussa ses épaules et se leva du lit, suivie du regard de son père. Ses supplices silencieux ne l'atteignaient pas, elle refusa sa participation avec toujours le même refrain ; il devait rester allongé et prendre le temps de récupérer ses forces. Mike n'insista pas, elle resterait ferme dans sa décision quoi qu'il dise. C'était bien la fille de son père...
— Et comme quelqu'un doit te surveiller, et ça sera Max à ton chevet évidemment, je dois m'en charger. La présence de Jay nous est bénéfique à coup sûr !
— Tu pourrais rester à mon chevet toi aussi, grommela le trentenaire. Avec ton vieux père mourant...
— Non, le rejeta Lucy, je préfère laisser la place à monsieur qui aime t'avoir dans son champ de vision.
— Huh ?
Piqué à vif, Max se redressa et évita de croiser le regard de son ami. Cette remarque significative ne surprenait aucun des deux hommes, comme une évidence qu'ils réprimaient pourtant. Lucy détestait la façon dont ils repoussaient toujours à plus tard la reconnaissance de leurs sentiments. Pourquoi ne se jetaient-ils pas à leurs émotions ? Qu'ils hurlent leur amour, qu'ils le chantent dans une étreinte ouverte.
— Après tout ce temps... on va y arriver ?
La lueur d'espoir dans son regard brilla en puissance, une vision qui leur avait manqué, réchauffant le cœur vaillant de Lucy et loyal de Max. Un sourire se dessina sur le visage de Mike, ils en ignoraient la profondeur de ses cernes comme il paraissait si lumineux tout à coup. Les yeux de Lucy s'embuèrent de larmes mais elle les ravala aussitôt. Ce n'était pas le moment de pleurer ; la victoire approchait. Celle qu'ils attendaient inlassablement, guettant dans l'ombre un abcès pour les délivrer.
— Peut-être bien, papa. Je veux y croire en tout cas.
— Moi aussi, admit-il.
— En attendant... pizza ce soir ? proposa Lucy.
Ils partagèrent le même enthousiasme et alors que Max proposait de passer commande, la blonde les interrompit, choisissant de les prendre à emporter grâce à une offre promotionnelle. Elle se porta volontaire pour les chercher, ce qui ressemblait à un plan puisque les deux hommes se retrouvaient seuls.
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Where hope leads us
Mystery / ThrillerDécouvre l'histoire d'un père et sa fille dans l'errance d'une vérité lointaine, où la vie et la mort ensemble s'entremêlent. *************************************************************************************** C'est une histoire que j'ai écrite...