Le mois suivant était le plus difficile de l'année, celui de décembre. L'anniversaire de Mike ne comptait plus puisque c'était désormais un rappel que Megan les avait quittés. Voilà dix ans au jour du 3 décembre qu'elle avait été assassinée. Si la relation entre Mike et Max s'était améliorée, ça n'avait pas été le cas entre père et fille. Le trentenaire s'était isolé, se sentant coupable, non seulement de son rôle dans la mort de Megan mais d'avoir imposé une telle enfance à sa fille ; ce mode de vie qu'il s'était juré ne jamais faire subir à sa progéniture. Habituée, Lucy n'en avait que faire. Au contraire, depuis la rencontre de ce fameux informateur, qui était d'ailleurs introuvable, la jeune femme s'était farouchement plongée dans l'enquête. Elle voulait venger sa mère et vivre enfin sa vie, même si cela signifiait être loin de son père.
Après avoir célébré la nouvelle année chacun dans leur coin, père et fille se réunirent la nuit même dans la pièce commune du logement qu'ils occupaient depuis l'excursion chez Louis. Ils vidèrent à eux deux une bouteille de vodka dans le silence tandis que Max était parti voir sa famille. C'était le seul à pouvoir vivre normalement ; il n'était ni recherché ni fugitif. Il y avait un moment depuis la dernière fois que Lucy et Mike s'étaient retrouvés seuls et une affreuse gêne s'était installée entre eux. Se laissant porter par l'alcool, le père mit sur la table ce qui le troublait.
— Je sais que tu penses que ta mère est morte par ma faute.
Surprise, la jeune femme leva les yeux en sa direction et secoua sa tête. Cette idée ne lui avait jamais traversé l'esprit.
— Pas du tout.
— Ne dis pas ça pour me ménager.
— Tu rigoles... J'aurais bien voulu dire quelque chose pour te piquer mais si c'est pas vrai, à quoi bon ?
Mike évita le regard de sa fille. Décidément, en plus de ressembler à Megan, il fallait qu'elle ait la même profondeur dans ses yeux ; cette pénétration qui sondait l'âme jusqu'à sa dernière ronce.
Sa rancœur était palpable mais elle continuait de le traiter avec justesse. Il se demandait d'où cette qualité lui venait, une telle droiture qu'il ne se reconnaissait pas, ni à Megan. À cet instant, Mike se dit que, peut-être, Max avait eu un impact dans son évolution.
— Tu faisais ton job...
— Ça l'a tuée.
— Maman était fière, continua-t-elle. Fière de dire que son mari protégeait d'autres personnes dans le besoin.
Il se souvenait avoir omis à Megan qu'il lui arrivait de devoir protéger de terribles personnes. Un mensonge pour la préserver et il ne le regrettait pas ; l'émerveillement dans ses yeux quand il lui parlait de ses bons clients avait illuminé son cœur. Une innocence qu'elle n'avait jamais eu, la pure croyance que ce qui l'entourait était bon.
— Si elle savait...
— Savait quoi ?
— J'avais aussi des mauvaises personnes à protéger.
— Maman n'était pas idiote, elle le savait.
Des frissons lui parcoururent l'échine. Il ne lui était jamais venu à l'esprit que ces mensonges, elle avait bien voulu les gober.
Face à la confusion de son père, Lucy rit et hocha la tête en reniflant ; ses larmes coulaient à l'évocation de sa mère. Des années après, ça la touchait toujours autant. Il lui arrivait de se réveiller le matin en croyant l'entendre chantonner, comme elle avait l'habitude de le faire. Sans un mot, ils partagèrent le même souvenir à cet instant précis et un sourire commun se dessina sur leurs visages attristés. Ils ne pouvaient pas s'empêcher de penser à sa bonté et ses rituels matinaux, installant une certaine mélancolie dans leurs cœurs.
— Évidemment qu'elle le savait, murmura Mike.
— Elle me manque.
— Moi aussi...
Ils se regardèrent enfin.
— On trouvera celui qui lui a fait ça, garantit Lucy.
— Bien sûr...
Même ses yeux trahissaient le désespoir qui s'y était installé depuis peu. Lucy insista et montra sa détermination, au nom de sa mère. Seule la mort pouvait l'arrêter et elle tenait à le ramener sur le chemin de l'espoir.
— On le trouvera, on se l'est promis, n'est-ce pas ?
— C'est vrai, acquiesça Mike. D'ailleurs, j'avais une idée...
Une once d'hésitation fit vibrer sa voix, il y pensait depuis un certain temps et craignait ce qui l'y attendait. Lucy le poussa à se dévoiler, embrassant la vulnérabilité que son père voulait bien lui montrer ce soir-là.
— Dis-moi.
— Je me demandais si on ne pouvait pas voir Jay pour un coup de main... C'est un policier, il pourrait nous aider.
— Ça me paraît bien mais tu te doutes bien, j'y avais déjà pensé. Quand on a parlé il y a quelques années, je lui ai demandé de l'aide mais il a refusé, il ne voulait rien à voir avec toi. Mais c'est vrai qu'il semblait plus ouvert à la réconciliation quand il nous a prévenu de l'arrivée de ses collègues. C'est qu'il ne voulait pas qu'on se fasse arrêter. Alors c'est bon signe, non ?
Songeur, Mike acquiesça, quelque peu dubitatif, et avala un énième shot de vodka.
— Mais après, tu l'as envoyé bouler, soupira Lucy.
— C'est ce que je me disais...
— On pourrait toujours réessayer.
— Je ne suis pas confiant.
— Personne te demande de l'être. Il faut juste essayer. On doit attraper le tueur de maman et coûte que coûte.
Et cette discussion avait scellé la décision de retourner à ses racines.
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Where hope leads us
Misteri / ThrillerDécouvre l'histoire d'un père et sa fille dans l'errance d'une vérité lointaine, où la vie et la mort ensemble s'entremêlent. *************************************************************************************** C'est une histoire que j'ai écrite...