Dix ans et trois mois plus tôt.
Megan rangeait le salon, des pinceaux traînaient sur la table depuis leur activité de peinture la veille. Sa fille avait insisté pour s'y prêter en famille et ils s'étaient amusés jusqu'à tard dans la soirée. De bonne humeur, elle s'assit sur le canapé en attendant l'arrivée de Mike ; c'était son anniversaire. Vingt-huit ans, à son tour. Elle avait célébré son jour lors d'un Halloween pluvieux. Et là, le soleil éclairait la pièce en ce mois de décembre. Pour la soirée, elle avait réservé un restaurant chic. Ce n'était pas dans leurs habitudes mais elle avait décidé de leur octroyer ce plaisir. Au fond, Megan espérait s'évader. Ses traumatismes avaient refait surface en revoyant Louis, le père de son époux. Découvrir qu'il était toujours en vie l'avait bouleversée, mais pas à la même ampleur que ses retrouvailles avec les fantômes de son passé.
Elle respira l'odeur de son mari depuis le gilet qu'elle portait — celui qu'il lui avait prêtée le soir de leur rencontre ; ça fonctionnait toujours pour apaiser son esprit tourmenté. Quand elle lavait le vêtement, Mike l'enfilait une journée pour ensuite le lui donner. Ainsi, en son absence, elle aurait l'impression de l'avoir à ses côtés. Elle ne serait pas seule.
Jouant avec ses cheveux bruns qu'elle avait coupé récemment, Megan défila la liste de ses contacts pour appeler Mike mais fut interrompue quand la sonnerie retentit. Étonnée comme elle n'attendait personne, la jeune femme posa son téléphone sur la table et alla regarder à travers le judas de la porte d'entrée. Ça ne pouvait pas être Mike puisqu'il travaillait et sa fille devait rentrer dans vingt minutes.
— Joey ? Je ne m'attendais plus à te revoir.
Sa présence l'étonnait. Aux dernières nouvelles, lui et son mari étaient en mauvais termes. C'était la mine attristée de l'homme qui l'avait influencée à ouvrir la porte.
— Je sais... Je suis venu m'excuser.
— Ah ? Mike n'est pas encore rentré.
Il adopta un air déçu et croyant lire la sincérité dans son regard, Megan l'invita à entrer. L'homme pénétra dans le salon, admirant le tableau artistique — le même depuis leur emménagement, et constata que les photos de famille manquaient toujours dans la maison. Elle l'observa à distance, un drôle de sentiment émergea de l'intérieur. Quelque chose semblait différent mais elle ne parvenait pas à le reconnaître.
— C'est son anniversaire aujourd'hui, il me semble ? se retourna Joey.
— Oui, confirma-t-elle. Tu es passé pour l'occasion ?
— Hum oui. En même temps des excuses. Ça serait un bon jour pour lui.
Megan acquiesça et lança un regard nerveux vers la fenêtre. Personne à l'horizon. Elle espérait que, par miracle, Mike rentrerait plus tôt. L'homme devant elle semblait remarquer son anxiété mais ne dit rien, balayant la pièce du regard. Elle avait l'impression qu'il cherchait quelque chose.
— Mike ne devrait pas rentrer avant trente minutes, dit Megan.
Il la toisa et hocha lentement sa tête.
Pour l'avoir vu à des événements le dimanche plusieurs fois, elle se souvenait l'avoir trouvé froid et plutôt effrayant. Mike lui avait peu parlé de lui, n'étant pas autorisé à divulguer les informations personnelles de ses clients mais il avait insinué un passé sombre. Depuis cette évocation, la jeune femme avait commencé à prendre ses précautions en maintenant une distance entre eux. Savoir qu'il n'était plus le client de son mari l'avait rassurée, cela signifiait ne plus l'avoir dans les parages. Maintenant, cet homme était dans son salon.
Quelle idiote ! songea-t-elle.
— Je sais, répondit Joey après un silence.
— Oh ? Alors pourquoi tu es venu plus tôt ?
Et son ventre se noua, comme si elle craignait le pire.
— Je suis venu pour toi.
Megan se figea, son instinct ne l'avait pas trompée. Le passé resurgissant dans son esprit, elle crût d'abord qu'il était venu abuser d'elle mais ne discerna aucune salacité dans son regard — qu'elle avait lu chez les autres hommes.
Une douleur lacérante à l'abdomen la sortit de sa transe, elle passa la main dessus et vit le sang qui en jaillissait. Joey tenait dans sa main droite une longue lame de cuisine, elle se demandait comment il avait pu le cacher. Il la regardait sans sourciller, un demi-sourire sur le visage. Le souffle coupé, Megan recula en titubant, essayant de maintenir la pression sur sa blessure.
— Pourquoi ? gémit-elle.
— Ton mari doit payer pour ce qu'il a fait. Marissa...
— Marissa ?
— Ma fille... Sans Mike, elle serait toujours en vie. Elle ne m'aurait pas quitté.
Ça n'avait aucun sens, elle ne comprenait pas le lien entre son mari et la fille de Joey. Elle s'appuya contre le mur, respirant par saccades. Son agresseur ne bougeait pas, le regard perçant alors qu'il attendait une réponse qui ne venait pas.
— S'il ne l'avait pas séduite, Marissa ne se serait pas foutue en l'air !
— Séduite ? s'étrangla-t-elle. Il ne ferait jamais ça.
Devant cette occasion en or, l'homme voulut l'enfoncer dans ses derniers instants.
— Tu crois le connaître, ce p'tit gars... Ma pauvre. Il ne t'a jamais parlée de Marissa clairement ! rétorqua Joey.
À court de mots, la jeune femme sentit les larmes monter. Il avait raison, Mike n'avait jamais évoqué l'existence de Marissa. Même après plusieurs rencontres, elle n'avait jamais su que Joey avait une fille.
— Il ne savait pas le garder dans le pantalon, marmonna-t-il, le regard enflammé.
— Tu racontes des mensonges ! jura Megan, la voix brisée.
— Je t'aurais bien laissée lui demander mais j'veux lui laisser une surprise.
Une nausée terrible se manifesta dans son corps qui faiblissait. À travers ses doigts, le sang coulait et glissait sur son pantalon, des gouttes tâchaient le parquet. Tout était douloureux. Sa plaie, sa tête, son cœur. Elle n'avait jamais imaginé que son mari serait capable de la trahir. Megan voulait vraiment lui faire confiance mais elle ne comprenait pas l'existence cachée de Marissa. La haine dans le regard du père semblait forte, pure. Pouvait-on tant détester dans le mensonge ?
— Tu veux te venger en me blessant ? Parce qu'il a... fait quelque chose avec Marissa ?
— Primo, je veux te crever et deuxio, il a causé la mort de ma fille ! Elle croyait vraiment que ton mari était différent, qu'il l'aimait... Il s'est bien joué d'elle...
Elle tressaillit en le voyant changer d'expression ; il dévoilait ses dents dans un grand sourire, comme atteint de folie. Joey chargea vers elle, le couteau élancé pour la poignarder de nouveau mais Megan l'évita de justesse en s'abaissant. Dans une perte d'équilibre, la jeune femme se fracassa contre la table basse en verre qui s'était brisée sous son poids. Elle réussit à se relever rapidement malgré des morceaux qui s'étaient incrustés dans sa chair et voulut sortir vers la porte d'entrée mais l'imposante carrure de Joey lui barrait le passage. Il ricana, fonça sur Megan — qui s'enfuit derrière le canapé — et parvint à l'attraper par les cheveux. Hurlant de douleur, elle s'agrippa au rideau dans un désespoir mais le tissu se déchira complètement. L'homme la tirait vers lui quand il la jeta sur le canapé. Megan, qui avait saisi le petit vase sur l'étagère, le lança dans sa direction mais Joey parvint à l'éviter, l'objet explosant au sol.
— Continue de te battre, j'adore ça, gloussa-t-il.
— Va te faire foutre ! cria Megan.
Étalée sur le canapé, l'homme profita de sa faiblesse pour lui asséner un deuxième coup de couteau à l'abdomen. Plus profondément cette fois-ci. Le sang gicla sur le tissu, trempant son vêtement. Le gilet de Mike, un cadeau, entaché à jamais de sa mort imminente. Elle pensait à sa fille, qui la découvrirait dans un état épouvantable, et priait pour qu'elle ne la voie pas ainsi.
Joey se redressa et recula, le visage toujours froid et satisfait par contraste. Il l'invita à se sauver, comme une partie de jeu où la souris fuit le chat. Des gouttes de sueur coulaient sur le front de Megan, elle ne trouvait pas la force de se lever qu'elle finit par se laisser tomber sur le parquet, rampant pour s'éloigner de lui. Chaque mouvement amplifiait sa souffrance mais elle gardait l'espoir d'être sauvée. Mike arriverait à temps. Il la sauverait, encore une fois. C'était ce qu'il faisait toujours.
— Tu as fichu un sacré bordel, constata Joey en regardant les murs maculés d'empreintes ensanglantées.
Il reporta son attention sur la victime et gloussa en la voyant essayer si fort de se sauver. Misérablement. Un lac de sang s'étalait sur le parquet, perdant sa clarté. Joey la suivit tranquillement, elle n'allait pas partir bien loin.
— J'aimerai tellement voir son visage en découvrant ton cadavre. Mais j'admire ta persévérance ! J'imagine que tu veux retourner auprès de Mike... Peu importe ce que j'aurais dit sur sa liaison avec Marissa, tu ne l'aurais jamais quitté. Tu vois, j'ai fait des recherches sur vous. Votre vie avant de débarquer à Foxfall. Vraiment incroyable. J'aurais pu vous dénoncer à la police mais tu vois, on n'est pas copains. Puis, entre nous, te tuer me paraît plus amusant. Ça vengera vraiment Marissa.
— Non, Mike n'-
— Oh, Megan ! la coupa-t-il. Je te trouve bien naïve de croire en lui mais je comprends... On veut pas imaginer que l'élu de notre cœur soit capable de nous trahir. Mais voilà l'horrible vérité de la vie. Elle est pleine de mensonges et de ficelés pour tromper le plus de monde, qu'est-ce qu'on ne ferait pas pour la mettre de notre côté ?
Seul l'écho du silence lui répondit. Megan avait ralenti mais continuait d'essayer. Le criminel consulta sa montre, le temps découlait dangereusement et il avait la suite en tête. Joey entreprit la prochaine action, bloquant sa victime avec le pied sur son dos. Immobilisée, Megan échappa un cri de douleur et rejeta un crachat ensanglanté qui s'étala sous son visage.
— La partie est bientôt finie, ma jolie.
Il s'abaissa, saisit son gilet et la retourna sur le dos, lui arrachant un énième cri. Dans son élan, la victime lui cracha dessus, le goût métallique se mêlant à ses lèvres. Joey ricana et s'essuya d'un revers de la main. L'homme la poignarda à nouveau dans une colère mais cette fois-ci, Megan le sentit à peine. Ses lèvres grelottaient et elle avait les paupières lourdes.
Lucy... Je suis tellement désolée. J'essaye vraiment-
Ses pensées tanguaient à la hauteur de cette torture que lui infligeait Joey en appuyant sur ses blessures avec son pied. Tout ce sang qui sortait d'elle, Megan ne comprenait pas comment elle respirait encore. Une partie d'elle l'obligeait à retarder le moment fatidique. Dans sa main, la jeune femme cachait la carte professionnelle de Mike qu'elle avait volée depuis la poche de son bourreau lorsqu'il l'avait ramenée à lui. Elle n'arriverait plus à parler mais cette preuve l'accuserait. Elle le savait. Cette carte... Pas tout le monde y avait droit. Elle était professionnelle mais réservée à ses clients, et la liste était courte.
Peu importe ce qui arriverait, la vie ne m'aura jamais.
Le teint livide, Megan peinait à respirer sous le poids de son pied. Elle refusait de supplier, il ne gagnerait jamais ; jamais elle ne lui laisserait ce plaisir. Si elle ne pouvait pas contrôler ses gémissements dans la douleur, la victime ne libérerait pas sa voix.
— Mike n'a vraiment pas idée de ce qui l'attend, je ferai de ses prochaines années un enfer. Tu vois, j'ai vraiment un plan. Dommage que tu ne seras plus là pour le voir. Mais je suis sûr que de là-haut, tu ne rateras pas une miette du spectacle.
Joey regarda de nouveau sa montre puis la délivra de son poids. Il était temps de s'en aller. Avec ses blessures, Megan ne pouvait pas survivre ; il s'en était assuré, ses organes avaient pris cher. Sans un mot, l'homme s'en alla, enjambant son corps, et utilisa la porte du jardin pour disparaître. Personne ne le verrait, ni son visage ensanglanté, ni ses vêtements maculés, ni son arme souillée.
Cinq minutes s'étaient écoulées dans un terrible silence, Megan luttait pour rester éveillée. Elle devait tenir jusqu'à l'arrivée de Mike. Son cœur s'élança lorsque la porte d'entrée grinça et les bruits de pas lui signalèrent la présence d'un individu. Une voix masculine s'éleva dans la pièce, familière mais pas celle que Megan attendait.
— M-megan ? s'affola l'homme qui s'était précipité auprès d'elle.
Andy. Le seul que son mari appréciait parmi ses clients. Il lui vouait des louanges, franchissant la barrière du professionnel. Elle lui faisait suffisamment confiance qu'elle leva légèrement sa main pour lui dévoiler la carte. L'homme, qui était venu rencontrer Mike au sujet de Joey qui se comportait étrangement depuis quelques temps, recueillit le papier et chercha à comprendre ce qu'elle voulait lui dire. Ses yeux se mouillèrent, Megan était dans un état épouvantable, autant que le salon.
— Qui t'a fait ça, Megan ? Oh, je dois appeler le samu !
Il sortit maladroitement son téléphone qui tomba dans la flaque de sang. Andy grimaça en le récupérant puis se figea en entendant le moteur d'une voiture s'arrêter devant la maison. Une première portière claqua, suivie de la deuxième.
C'est Mike avec Lucy !
Terrifié de se retrouver face à son ami dans ces circonstances, Andy se releva et nota qu'il avait inconsciemment pris le soin de ne pas marcher sur le sang. Personne ne remonterait à lui. Le jeune homme lança un dernier regard à Megan et renifla dans un dernier murmure.
— Je suis désolé.
Lessivée, elle ne réagit pas et l'entendit prendre la fuite depuis la porte du jardin. La même sortie que son agresseur avait prise. Au moins, il était parti avec la carte de Joey.
Il va le donner à Mike. Il va le faire...
Sa famille arrivait enfin. Megan avait tenu assez longtemps. La force de son amour lui avait offerte un dernier instant en leur compagnie. Elle n'allait pas mourir seule.
**********************************************************************
Les derniers instants de Megan... Moi-même je me suis sentie bouleversée en écrivant ce chapitre.
Qu'en avez-vous pensé ? Bien que majoritairement absente dans le livre, l'existence de Megan a toujours été un point central.En tout cas, il reste encore quelques chapitres et ça sera fini ! Il y a encore quelque chose...
VOUS LISEZ
Where hope leads us
Mystery / ThrillerDécouvre l'histoire d'un père et sa fille dans l'errance d'une vérité lointaine, où la vie et la mort ensemble s'entremêlent. *************************************************************************************** C'est une histoire que j'ai écrite...