chapitre 18

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      Fatigué mais debout dès l'aube, Mike paressait sur le canapé, regardant ses deux colocataires dans leurs lits respectifs. Il s'émerveillait à voir sa fille dormir autant, ça lui réchauffait le cœur ; ce n'était pas quelque chose en quoi il avait droit depuis la mort de sa mère. Il n'avait pas compté le nombre de fois où son père l'interrompait en plein sommeil pour lui balancer un coup ou deux.
     Contrairement à la veille, Mike se sentait mieux, moins souffrant. Il consulta sa montre une énième fois, le temps s'écoulait lentement et le rendez-vous avec Jackson Ramsey, quatrième ancien client, n'était que dans trois heures. Que faire ? Retourner dormir lui paraissait impossible et replonger dans ses documents le rendrait fou. Alors il décida de sortir prendre l'air dans les environs. Au moins, en Angleterre, il pouvait se promener sans s'inquiéter d'être reconnu.
     Dans l'heure suivante, Max se réveilla et traîna jusqu'à la cuisine pour tartiner du nutella sur des pains de mie. Il remerciait Lucy d'y avoir pensé. Le trentenaire se retourna et se laissa tomber sur le canapé avec un morceau de pain dans la bouche. Après une vingtaine de minutes à rêvasser, il remarqua l'absence de Mike et s'en inquiétait.
     — Allô ?
     Par chance, Mike avait instantanément répondu à son appel.
     — Où es-tu ? demanda Max.
     — Sorti prendre l'air. Pourquoi ? Tout va bien ?
     — Oh... Oui, oui. Je me demandais juste où tu étais passé, j'étais étonné que tu ne sois pas là.
     — J'avais du temps à tuer.
     — Tu reviens bientôt ?
     — Comme tu es réveillé... Je suis sur le chemin du retour.
     Et sur ces mots, il raccrocha avec le sourire, dans l'attente de le retrouver.
     Il ne lui fallut pas plus de dix minutes pour rentrer. Max l'accueillit en lui tendant une tasse de café et l'invita à s'asseoir avec lui autour de la table ronde. Goûtant la boisson chaude qu'ils apprécièrent, les deux amis se jaugèrent dans le silence. À court de mots mais leurs esprits en étaient pleins.
     Le moment venu, ils allèrent ensemble à la rencontre du quatrième client de Mike. Avec une ancienne réputation de fraudeur, celui-ci avait pu se bâtir une grande entreprise. Personne ne savait comment il y était arrivé malgré son casier judiciaire — il avait un réseau qui l'avait certainement mené à la réussite.
     Un homme à l'air arrogant les attendit déjà, bien à l'avance, les jambes croisées et habillé comme s'il se rendait à un gala. Dès leur entrée, il les suivit du regard de manière insistante ce qui agaçait Lucy. Elle constatait même qu'il la reluquait et l'information de son père lui revint en tête ; Jackson Ramsey était un dragueur, incapable d'être fidèle dans ses relations. Il avait confié le haïr vers la fin à cause de la façon dont il avait essayé d'approcher Megan malgré sa présence.
     — Mike ! Comme je suis heureux de te revoir ! s'enthousiasma Jackson, sans se lever.
     — Ouais, moi aussi...
     Peu emballé, il s'efforça de se montrer sous un beau jour afin d'obtenir un maximum d'informations de Jackson. Cet homme était le type à se donner complètement quand on commençait à le complimenter. Mike accepta la main qu'il lui tendait sans prendre compte de son attitude détachée. Il la tendit également aux deux autres ; Max lui serra la main en retour mais Lucy l'esquiva. La jeune femme le dévisageait, mâchant un chewing-gum et s'assit en face de lui, les bras croisés. Ce comportement à son égard déstabilisa le chef d'entreprise qui essaya de l'ignorer.
     — Alors, dis-moi, qu'est-ce qui t'a amené à me contacter après tant d'années ?
     — Quand avez-vous été en présence de Megan pour la dernière fois ? le questionna Max.
     — Eh, machin ! Permets-moi de commander mon café d'abord ! aboya Jackson.
     Son attitude le laissa sans voix.
     Machin ? C'est moi qu'il appelle de machin ?
     Parce que c'est un businessman, il peut me parler comme une merde ?

     Vexé, Max arrêta le vouvoiement qu'il présentait à autrui sous forme de respect et se mit à son niveau, ne l'autorisant plus à le piétiner.
     — On ne t'a pas appelé pour un salon de thé, réponds à la question.
     Le ton menaçant qu'il avait employé semblait avoir perturbé Jackson dont l'expression s'était adoucie. Celui-ci n'appela pas la serveuse qui passait à côté de lui et évita de croiser le regard de Max. Une vision plutôt rare pour Lucy qui était habituée de voir les personnes apprécier la bienveillance de Max plus que l'antipathie de Mike.
     — Je ne l'ai jamais vue sans toi, Mike. Ça aurait été irrespectueux.
     Son sourcil se arqua devant cette réponse ; ses souvenirs lui racontaient une toute autre version et le regard de Jackson montrait que lui aussi venait d'y repenser. Gêné, il se tourna vers Lucy, qui, finalement, paraissait être la pire d'entre eux. Fusillé du regard, il sentit malgré lui son cœur se contracter. À travers ses yeux, elle le pénétrait et lui volait toute son assurance. Jackson préféra finalement focaliser son attention sur Mike qui gardait un air neutre, lui étant plus familier.
     — C'est vrai que j'ai déconné parfois...
     — Hum.
     — Souvent, rectifia Jackson, bien sûr. Mais je ne l'ai jamais vue en ton absence, tu peux me croire. Et je suis certain qu'elle te l'aurait dit !
     Il nota sa réponse, bien qu'il doutait toujours, et s'efforça de lui sourire.
     — Faut me croire, hein... Je t'appréciais beaucoup tu sais, et c'est toujours le cas ! Pour ça, je ne pouvais pas me risquer d'essayer quoi que ce soit, bien sûr...
     À tant insister, Max commençait à croire qu'il essayait plutôt de se le convaincre lui-même. Une serveuse arriva enfin pour prendre leur commande et alors qu'il comptait demander un café, Jackson se retrouva bloqué par un Max rancunier qui la renvoya.
     — Non merci. Nous ne voulons rien du tout.
     — C'est cela, murmura Jackson, forçant un sourire.
     Intéressée par la réaction qu'il adopterait, Lucy posa une question à son tour qui le perturba davantage.
     — Qui dit que vous n'avez pas été la voir chez elle le jour de sa mort ?
     — Je-je ne suis pas venu ce jour-là ! Jamais même. Pas sans mon ami, Mike, n'est-ce-pas ?
     — Ah ça, je ne sais pas si tu dis vrai là-dessus, mon ami.
     — Comment faire pour que vous me croyez, vous tous ? gémit Jackson.
     Le trio ne lui donna aucune réponse, chacun le fixait d'une manière différente. Entre le mari rancunier qui respirait la méfiance, le compatriote qui restait féroce et la sniper qui détruisait son assurance. Il se décomposa de l'intérieur, son visage perdait des couleurs. Livré à lui-même, l'homme d'affaires se creusa les méninges pour leur apporter une réponse satisfaisante mais rien ne lui venait à l'esprit. Cette angoisse vidait sa tête et il se voyait prêt à jeter les armes jusqu'à être sauvé par un miracle ; il se souvenait de quelque chose qui pouvait bien le sortir de ces ennuis.
     — Ce jour-là, je n'étais même pas en ville ! J'ai fait un tournoi de poker et c'était filmé !
     — T'as la vidéo ? soupira Max, pas convaincu.
     — Euh, je peux essayer de l'obtenir...
     — Ah, si tu ne fais qu'essayer...
     Si sa voix sonnait neutre, Jackson avait l'impression du contraire. Elle le faisait frémir juste à le regarder de cette façon, il ne savait pas comment expliquer le désarroi que cette jeune femme lui faisait ressentir.
     — Je l'obtiendrai ! leur assura-t-il. Le plus rapidement possible. Je vous donne ma parole !
     — Ne fais pas des promesses que tu ne tiendras pas, l'alerta Lucy.
     Il secoua sa tête et promit de nouveau, levant la main droite et posant l'autre sur son cœur.
     — De toute façon, on reviendra vers toi si on n'a rien.
     — Devrait-on lui donner un délai ? proposa Max en se tournant vers son ami.
     — Hum, une semaine devrait être raisonnable, non ? pensa ce dernier.
     — Une semaine ! Tu as une semaine pour prouver ton innocence.
     — Vous avez des contacts avec la police ?
     Exprimant ses doutes sur l'importance de leurs rôles, Jackson marqua une hésitation qu'il effaça aussitôt devant le regard menaçant de Max.
     — Quelle importance ? Tu ne veux pas le faire ? Si tu ne le fais pas...
     — Oh mais je le ferai ! Assurément ! Promis ! Je vais en enfer si je mens.
     — On te jettera en enfer nous-mêmes si tu ne le fais pas, rétorqua Lucy en se levant.
     Ils quittèrent leurs places chacun leur tour devant l'air ahuri de Jackson qui ne comprenait rien au déroulement de son rendez-vous. Lucy sortit du bâtiment sans lui accorder une dernière attention tandis que les deux autres hommes traînèrent leurs pas afin de davantage marquer leur présence dans l'esprit de Jackson. Ce dernier n'avait pas eu besoin de mots pour comprendre ce qui signifiaient leurs regards et répéta sa promesse dans une voix brisée. Mike acquiesça et lui dit qu'il le recontactera dans une semaine, ce que Jackson s'empressa de valider. Les mains dans les poches, ses deux interlocuteurs lui tournèrent le dos et disparurent. Se retrouvant enfin seul, l'homme d'affaires se permit de lâcher un gros souffle et demanda à la serveuse de lui amener l'alcool le plus fort.
     Quel début de journée...


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Premier chapitre du jour et arrive le prochain !
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