chapitre 15

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      Pourquoi lui fallait-il réfléchir quand la réponse semblait évidente ? Pourquoi sa fierté avait-elle servi de rempart pour l'empêcher de revenir quand c'était lui qu'il attendait durant vingt ans ? Son cœur était brisé maintenant ; il n'avait pas demandé son numéro. Et même si Michael avait celui de Lucy, il ne pouvait pas se résoudre à le lui demander. C'était trop tard, ils étaient partis et Jay ne voulait pas mendier son attention. Se heurter à son attitude distant à l'autre bout du fil le rendait réticent, il était hors de question pour lui de s'y risquer.
     Vaincu, Jay retourna chez lui au beau matin et tomba dans les bras de son épouse qui l'avait attendu. En lisant l'expression dans son regard, Lindsay comprit exactement que les choses ne s'étaient pas passées comme il l'avait espéré et lui caressa ses cheveux comme elle avait l'habitude de le faire et l'écouta s'exprimer, la tête sur ses cuisses.
     — Ils étaient déjà partis.
     — Ah, ils sont partis vraiment tôt alors.
     — Je pensais vraiment que j'avais assez de temps... Quel idiot. Pourquoi j'ai pensé qu'ils prendraient leur temps ?
     Il soupira lourdement et enlaça une jambe de Lindsay en la caressant. Son épouse était la seule personne qui savait apaiser ses états d'âme et sans elle, il doutait de sa sainteté. À plusieurs reprises, le policier s'était demandé pourquoi elle restait avec un homme aussi torturé que lui. Au final, il était autant ravagé que Mike l'était.
     — J'aurais dû y aller tout de suite hier soir, regretta Jay. Mais non, il a fallu que je réfléchisse à ça, encore et encore. Pourquoi j'ai hésité ? Mon meilleur ami m'a toujours manqué et quand il est rentré, je l'ai repoussé. Lins, pourquoi je me fais toujours du mal comme ça ?
     — Mon cœur, ne sois pas aussi dur envers toi-même. Tu es comme ça justement parce que ton meilleur ami t'a abandonné. Tu l'as toujours attendu.
     Et il est revenu uniquement pour rencontrer son père vivant. Pas pour toi.
     Ces mots qu'ils pensaient tous les deux sans oser les affronter.
     Ça ne lui a pas traversé l'esprit de venir te voir, toi. Il est venu, mais pour te demander de l'aide. Pas pour toi.
     Ce fait ravageait son cœur. Lindsay n'avait jamais essayé de lui trouver des excuses, elle ne connaissait pas Mike et voyait la souffrance de son époux en son nom. Elle ne l'avait jamais connu à six ans quand il aidait les nettoyeurs à ramasser des déchets dans les rues, pensant qu'ils étaient forcés à travailler sans revenus. Elle ne l'avait jamais connu à douze ans quand il avait essayé de collecter des vêtements pour les donner aux sans-abris de son quartier. Elle ne l'avait pas connu à seize ans quand il excusait les coups de son père, effaçant sa propre souffrance. Son meilleur ami avait toujours eu un cœur exceptionnel qu'il mettait au profit de tous sauf lui-même. Mais l'homme qui s'était tenu dans son salon était différent. Méconnaissable, fouiller dans son regard l'avait noyé dans un abysse qu'il ne reconnaissait plus.
     — Sinon Michael a le numéro de sa fille.
     Son silence parlait pour lui-même. Lindsay semblait avoir eu la confirmation de ses doutes mais ne dit rien. Nul secret pouvait être protégé dans ses parages ; elle avait toujours su lire en lui comme un livre ouvert.
     — Quand tu seras vraiment prêt.
     — Oui.
     — Ne te force pas, ne te blâme pas. Ce n'est pas grave.
     — Tu as raison, soupira Jay.
     — Je sais, je suis la voix de la raison ! s'exclama-t-elle dans un rire.
     Ce n'était pas suffisant mais son visage s'illumina timidement. Le sentiment de culpabilité ne baissa pas pour autant mais il appréciait sa présence.

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     En route pour l'Angleterre, les premières heures s'achevèrent dans le silence avec Mike et une fois la frontière traversée, sa fille prit le relais. Toujours plâtré, Max était exempté de la conduite encore un bon mois et alors qu'il était habituellement le conducteur, cette différence le frustrait même s'il ne disait rien. Mike se glissa sur les sièges arrières, croisa ses bras et ferma les yeux. La nuit avait été courte et son sommeil ne s'avérait jamais suffisamment réparateur. À sa grande surprise, Max l'avait rejoint à l'arrière du véhicule, laissant le siège passager libre. Il le regarda boucler sa ceinture tandis que Lucy redémarra, le sourire aux lèvres.
     — Comment tu vas ? demanda Max qui faisait l'air de rien.
     — Euh, je vais bien, répondit Mike, confus.
     — Vraiment ? lui murmura son ami.
     Ses yeux perçants lui firent détourner les siens et il s'attarda alors sur le paysage auquel des arbres défilaient.
     Pourquoi s'asseoir sur le siège du milieu quand il y a trois places...
     Cette proximité plus importante que jamais le mettait mal à l'aise et il se décala inconsciemment contre la portière, penchant sa tête sur la vitre.
     — Tu penses à Jay ?
     — Je ne pense à rien là, admit Mike.
     En se retournant, il croisa de nouveau le regard inquisiteur de son ami et céda en acquiesçant silencieusement. Max haussa ses sourcils, non d'étonnement mais d'évidence. Si son ami n'était pas bavard, il avait quand même cet air qui disait long sur ses pensées.
     Max le connaissait trop bien maintenant.
     L'amitié n'avait jamais rendu le malheur plus léger mais en se faisant présence et dévouement, elle savait en partager le poids et apporter une certaine forme d'apaisement. Mike avait toujours reconnu un lien fort avec son ami, qui était là depuis le chamboulement de son monde, même s'il devait bien l'admettre ; il ne le montrait jamais. Par chance, Max, qui, rapidement, avait su capter son énergie, le comprenait.
     — Quand tout ça sera fini, tu penses que tu reviendras ? l'interrogea-t-il.
     — Je ne sais pas... À quoi bon ? Je n'ai plus rien ici.
     — Peut-être que Jay te pardonnera.
     — Hum, peut-être. Mais c'est le cadet de mes soucis maintenant.
     Il hocha la tête et reporta son regard sur la route. Max croisa le regard de Lucy à travers le rétroviseur central et devina un sourire à travers ses yeux plissés. Il dût contrôler le sien pour ne pas attiser la curiosité de Mike.
     — Tu penses qu'on trouvera le tueur en Angleterre ?
     — Je l'espère certainement...
     Ses questions s'enchaînèrent, l'irritant. Max n'insista plus en remarquant la fatigue qui marquait ses cernes et plongea dans le silence. À cet instant, il aurait bien voulu être installé sur le siège passager mais durant les prochaines heures, il dût supporter le silence assourdissant de sa proximité avec l'homme qu'il chérissait.
     Une demi-journée plus tard, le trio arriva à destination et se réfugia dans un logement loué pour le mois grâce au fortuné Max — s'ils avaient perduré dix ans à sillonner les routes, c'était à travers ses moyens, comme il était actionnaire dans une entreprise familiale avec ses frères. L'heure du dîner approchait mais trop épuisé pour se déplacer, Mike s'abandonna dans un nouvel sommeil, laissant les deux autres prendre leur repas dans le nouveau restaurant du coin. À la carte, un fish and chips tapa à l'œil de Lucy qui en prenait à chaque fois qu'il était inclu dans un menu.
     — Tu es vraiment consistante, dit Max en riant.
     — Toujours fidèle à moi-même tu diras, affirma-t-elle.
     À les voir tous les deux, ils semblaient proches comme père et fille. Du moins, elle le considérait comme un père de substitution ; il l'avait plus été que son propre père.
     Les plats servis — Max avait choisi la pizza du jour —, ils les dégustèrent avec entrain et discutèrent de divers sujets. Comme s'ils n'avaient aucun précédent, aucun tueur à chasser. Un semblant de vie normale que ces deux personnes s'efforçaient de maintenir de temps en temps. Ces moments que Mike n'avait jamais réellement apprécié, vivre comme un nomade ne lui déplaisait pas tant que ça. Parfois, Lucy ne se demandait pas s'il adorait ça. Peut-être qu'il continuerait dans cette voie, même après le meurtre de Megan résolu.
     — T'as pas l'impression que papa est tout le temps fatigué ces derniers temps ?
     — Si mais bon... Ce n'est pas comme s'il dormait beaucoup.
     — Il a toujours le nez fourré dans les documents, soupira Lucy.
     — Maintenant qu'on a une piste, il s'y jettera corps et âme ! garantit Max.
     — Ça m'inquiète, avoua la jeune femme.
     Une sincérité que ses yeux renvoyaient, Lucy peinait à se focaliser sur l'enquête quand l'état de son père devenait préoccupant. Il dormait à peine et manquait d'appétit. Quand elle l'interrogeait à ce sujet, Mike affirmait que tout allait bien.
     Max la contempla longuement sans rien dire mais son état le perturbait aussi. Il pensait être le seul à remarquer une différence mais si elle aussi pouvait le voir...
     — Bon, demain, on va voir Andy Diaz à onze heures, c'est ça ?
     — Oui, confirma Max.
     — On se met dans le bain dès notre arrivée.
     — Et ouais, pas de repos pour les vaillants !
     Elle gloussa et avala une bouchée de poisson.
     Dans son ventre papillonnait une certaine excitation, mélangé à la peur de ce qui l'attendait. Après toutes ces années, il était peut-être temps de trouver la clé de tous les mystères. Le secret autour de la mort de Megan pourrait se révéler dans les semaines à venir et cette idée la revigorait. De l'espoir plein la tête, Lucy ne tenait plus en place mais le gardait pour elle. Quant à Max, il restait neutre ; il n'attendait rien. Le passé lui avait appris à ne pas gonfler son cœur trop vite.

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Dernier chapitre pour aujourd'hui... Les deux prochains, ce dimanche ! Ne les ratez pas !

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