chapitre 27

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      Après leur dîner, le trio s'abonna respectivement à une activité. Max, souffrant de ses blessures, se reposait sur le lit. Analysant le même dossier, Lucy semblait pensive par moment sous le regard curieux de son père. Ce dernier retombait sur les vieilles photos qu'il avait conservé, admirant le visage éclatant de Megan. Puis il traîna ses yeux sur Max, à moitié endormi, et laissa le doute l'ensevelir. La culpabilité le rongeait par moment, se demandant s'il pouvait autoriser son cœur de s'éprendre d'une autre personne que Megan. La seule personne qu'il ait aimé. Avec cette impression que le monde changeait malgré lui, l'inconnu des prochains jours le tiraillait. Fallait-il déverser ses sentiments longuement enfouis ou épargner un cœur brisé ? En aimant une autre âme, il craignait s'éloigner de son objectif, le seul qui l'avait permis de survivre jusqu'à ce jour. Dans un crève-cœur d'avoir perdu Megan, qu'il avait promis de choisir éternellement, le sentiment de la trahir ne le quittait pas. Tout son être désirait Max, il voulait l'entraîner contre son corps et l'aimer sans retenue mais le portrait de sa défunte épouse réapparaissait toujours, le freinant dans son élan. Il savait que Max était un homme compréhensif ; il ne lui en voudrait pas, ne le jugerait pas. Mais le risque de réduire à néant ses espérances le déchirait, il rêvait de lui mais se perdait dans la densité de ses émotions complexes. Que voulait-il réellement ? Partagé entre deux options, son esprit ne restait jamais fixé longtemps sur le même point, valsant d'un côté à l'autre.
     Noyé dans l'étendue de ses pensées, Mike prit conscience qu'il fixait Max lorsque ce dernier l'appela une troisième fois. Deux regards soucieux le ciblaient. Il lâcha les photos et les glissa à l'intérieur du dossier qui était posé sur la table.
     — Je sentais ton regard peser sur moi, dit Max en se massant la nuque. Ça va ?
     — Hum, oui, promit Mike dans un sourire gêné. J'étais ailleurs.
     Ayant remarqué le portrait de sa mère dans les photos qu'il regardait, Lucy ne fit aucun commentaire par crainte d'envenimer la situation — et Max semblait comprendre le malaise — et rompre à nouveau l'entente des deux hommes.
     — Sinon j'ai envoyé les dernières infos sur Nikolaï à Jay pour vérifier leur exactitude. Au cas où quelque chose se cacherait derrière tout ça.
     Neutre, Mike acquiesça alors que son ami présentait un air suspicieux qu'il ne comprenait pas. Redressé contre le mur, Max dévisagea la jeune femme un moment avant d'exprimer ce qui lui passait sur la conscience.
     — Ah, je m'attendais plutôt à un échange entre lui et ton père. Pourquoi toi ?
     Sa question parût l'embarrasser — elle rougissait terriblement — mais Lucy garda la face et s'efforça de sourire devant le regard inquisiteur de Max.
     — J'imagine que c'est encore bizarre entre eux, répliqua-t-elle. Après tout, au déjeuner qu'on devait avoir, vous deux étiez occupés à tirer la tronche.
     — C'est vrai, concéda Mike avec un regret.
     — Vous n'avez pas parlé, alors forcément...
     Elle devait contrôler son expression faciale tout en bouillonnant à l'intérieur. L'attitude de Max l'irritait particulièrement ce soir qu'elle luttait contre l'envie de lui claquer une vérité blessante. En tournant la tête, elle comprit que son père ne comprenait pas la direction de leur échange.
     — Mais ils ont bien discuté seuls, rappela Max.
     — Ouais. Pour se réconcilier. Un processus qui n'a pas pu se compléter avec ton boudin, s'agaça Lucy.
     Vaincu, il haussa les épaules sans cacher son amusement. Dans sa défensive, il capta une certaine vulnérabilité que Lucy voulait protéger. Mais lui aussi voulait préserver son cœur. Comme si elle pressentait où Max voulait en venir, la jeune femme reporta son attention sur le dossier entre ses mains mais ce n'était sans compter sur sa persistance.
     — Ça n'empêche que tu as l'air plutôt proche de Jay, commenta-t-il.
     — Quoi ? souffla Lucy. On parle juste comme des gens civilisés. Fallait bien faire la passerelle entre eux.
     — Hum, je suppose...
     — Peut-être que dans la situation, il est plus à l'aise pour parler avec moi. Avec le temps, il passera par papa.
     Avec le temps.
     Un temps que Mike n'avait pas.
     Tout le monde le pensait mais personne ne releva l'expression.
     Mike semblait intouchable et suivait attentivement leur conversation, essayant de reconnaître ce qu'il avait manqué. Il ne comprenait pas le scepticisme de Max face aux mots de sa fille qui, ce soir, s'armait d'un bouclier. Réalisant qu'elle était sur la défensive au nom de Jay, son regard changea et il osa s'immiscer dans la discussion.
     — Il y a quelque chose que j'ignore ?
     Lucy virevolta et son regard se durcit, un sentiment de trahison qui s'y reflétait.
     — Non, rien du tout. C'est Max qui cherche des puces pour rien. Tu dois être fatigué de votre drama que tu as besoin de t'en détourner en m'utilisant. J'ai juste bien discuté avec Jay, je ne vois pas c'est quoi le problème.
     — Justement, insista Max, vous avez bien discuté... À vous voir tous les deux, votre connexion avait quelque chose de différent. Et que tu sois autant sur la défensive en parlant de ça en dit long sur tes sentiments. Tu as oublié qu'il a l'âge de ton père ? Il est vieux.
     — Mais tu as perdu la tête avec l'accident ? s'emporta Lucy qui se leva brusquement. Il n'y a aucune connexion entre Jay et moi, il n'y a rien ! Et je suis sur la défensive parce que tu racontes n'importe quoi sur nous. Tu vois des choses qui n'existent pas !
     Ne supportant plus sa présence et ce regard douteux que même son père lui lançait, la jeune femme traversa la pièce d'un pas déterminé, ouvrit la porte et se retourna un instant pour lâcher ces quelques mots avec une voix chancelante.
     — Et... tu dis n'importe quoi. Il n'est pas vieux !
     Elle réserva un dernier regard à son père qui s'éternisa avant de claquer la porte. L'air confus, ce dernier reporta son attention sur Max et se sentit défaillir. Ses pensées s'entremêlèrent, perdu entre la passivité et l'opposition. Avant de lui tourner le dos, Mike crût déceler un sentiment de culpabilité chez son ami qui se glissa sous la couverture épaisse du lit.
     — Je vais aller la voir, déclara-t-il.
     Mais Max ne lui répondit pas. Le trentenaire ne s'attarda pas et sortit à son tour, espérant être capable d'apaiser sa fille. Depuis la mort de Megan, il avait laissé une distance grandissante entre eux les diviser, et exprimer leurs sentiments à l'autre était devenu étrange qu'ils avaient évité tout échange émotionnel. Le temps découlant gravement pour lui, Mike décida de réparer ses vieilles erreurs, espérant panser suffisamment quelques blessures. Il se souvenait encore de sa bouche qui manquait quelques dents — et comme elle avait beaucoup pleuré puisqu'elle détestait comment le vide se révélait dans son rire, des chansons de Taylor Swift qu'elle célébrait chaque jour, de ses questions qui revenaient souvent sur son passé — en y repensant, elle l'avait principalement interrogé sur son meilleur ami, Jay, de son enthousiasme dès qu'elle croisait un animal dans les rues et de sa passivité pour les devoirs d'école. Sa petite fille avait grandi, encore plus depuis la mort de Megan mais il n'avait rien vu. Trop distrait par son obsession de vengeance. Même s'il regrettait, le passé restait indomptable et s'excuser ne pouvait pas résoudre tous les maux qui s'en étaient ensuivis.
     Traversant le couloir, Mike monta dans l'ascenseur qui arriva à l'étage au bon moment et salua le couple amoureux. Il s'adossa au coin derrière eux et les observa. La femme aux cheveux roux rit quand son petit-ami lui murmura quelque chose à l'oreille et ne l'empêcha pas de glisser sa main sous la robe verte qu'elle portait, comme si Mike était invisible. Gêné, le trentenaire fronça ses sourcils et leva les yeux, impatient de pouvoir diverger de leur chemin. Il repensa au début de sa relation avec Megan et son cœur se serra en réalisant qu'il ne pourrait jamais évoquer, avec elle, leurs vieux souvenirs. Les yeux ruisselants de larmes, Mike essaya de penser à autre chose mais se heurta au portrait de Max. Désormais, dès qu'il s'agissait de cet homme, la confusion de leur relation le perturbait. Les mêmes questions revenaient, sans la réponse pour alléger son esprit. Parfois, Mike se disait qu'il réfléchissait trop.
     L'ascenseur s'arrêta enfin au hall et Mike sortit après le couple. Il fit quelques pas avant de s'arrêter au milieu du couloir. Comme paralysé, il était incapable de se mouvoir dans la foule. Les autres clients le contournaient, certains se plaignaient de l'obstacle qu'il était.
     — Dégage de là, crevard ! râla un jeune de dix-neuf ans.
     — Il se prend pour le roi du monde, s'esclaffa son ami.
     — Laissez-le, souffla une autre fille. Il a l'air de débloquer mentalement.
     Et ils gloussèrent tandis que Mike restait impuissant.
     Pourquoi je suis là ?
     Qu'est-ce que je fais ici ?

     — Papa ?
     — M-Megan ?


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Dernier chapitre avant dimanche !

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