chapitre 16

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     La fraicheur de cette matinée motiva le trio à cueillir leur premier cas malgré une petite appréhension. Lucy prit les devants à conduire le véhicule qui les mena jusqu'à un petit café. Ayant du mal à cacher son excitation, elle dût se couvrir la bouche avec son écharpe noire et pénétra en tête dans la salle. Mike et Max la suivirent pour s'installer à une table contre le mur et patientèrent, assez nerveux.
     Le premier client à rencontrer, Andy Diaz, était un beau brun aux yeux noisettes. Le type ténébreux si on en suivait les tabloïds. Âgé de trente-cinq ans, il avait fait la une durant quelques temps pour avoir été aperçu intimement avec une célèbre actrice. Leur relation avait duré un an, ne manquant pas d'apparaître régulièrement dans les magazines et avec une rupture catastrophique, il s'était attiré les foudres des fans obsessionnels. Certains allaient jusqu'à l'agresser. Malgré son passif d'agent secret, Andy n'avait pas été en mesure de se défendre lui-même, étant atrophié depuis sa dernière mission. Sa relation avec la star avait été critiquée, la population jugeant qu'il n'avait rien à faire avec une telle personne et à travers le scandale, Andy avait énormément souffert de discrimination.
     Pénétrant dans la salle, le jeune homme aperçut immédiatement Mike au loin et s'empressa de le rejoindre avec les deux autres personnes qu'il ne connaissait pas. Il lui serra la main avec vivacité et pointa sa mine fatiguée.
     — Ça fait un bail ! T'as l'air de ne jamais dormir dis donc !
     Mike haussa ses épaules en s'efforçant de sourire. Même s'il était content de revoir son tout premier client, sa première expérience qui s'était bien passée, ça le ramenait à l'époque où Megan respirait toujours. Il se souvenait d'un nombre important d'ennemis à écarter pour Andy et même s'il avait pensé qu'Andy n'avait pas vraiment eu besoin de quelqu'un pour le protéger, sa mission ne s'était pas arrêtée aussitôt. Leur connexion avait été immédiate qu'ils s'étaient liés d'amitié malgré la fin de leur contrat et leur famille s'était mélangée lors des dimanches spécial barbecue.
     — J'ai appris pour Megan. Je suis désolé.
     — Oui, moi aussi...
     — T'étais parti si vite, j'ai même pas pu te joindre, rappela Andy.
     — Oui, je ne pouvais pas rester, répondit Mike.
     S'il avait des questions à lui poser pour satisfaire sa curiosité depuis toutes ces années, Andy les tût.
     — Donc, t'as des questions...
     — C'est ça. Je me demandais si tu avais déjà été seul avec Megan, sans ma présence ?
     Une question qui le prit au dépourvu, il avait cette expression de visage témoignant de son incrédulité. Andy se gratta la nuque et fronça ses sourcils.
     — Non, jamais. Les seules fois où je l'ai vue, c'était lors des barbecues.
     — Hum...
     — Tu cherches son meurtrier, c'est ça ? devina-t-il.
     — Effectivement, confirma Mike.
     — Et je fais partie des suspects ? T'es sérieux ?
     Visiblement choqué d'être considéré comme l'un d'entre eux, Andy ne put cacher sa déception et dévisagea Mike.
     — Mortellement sérieux, dit Max avec une impression neutre.
     Le remarquant enfin, le trentenaire traîna ses yeux sur lui quelques instants puis reporta son attention sur Mike. Il lui assura que jamais il ne ferait de mal à qui que ce soit, encore moins Megan. Une sincérité palpable sur son visage dont Mike ne pouvait pas douter, ce dernier acquiesça. Ce n'était pas une surprise pour lui, Andy était celui, parmi les autres, qu'il pensait absolument innocent. Blessé par une telle supposition, le suspect désormais écarté ne resta pas plus longtemps et s'en alla dans une interaction gênante. Lucy, qui n'avait rien dit tout le long, émergea de sa bulle et partagea le même avis que son père, tandis que Max préférait ne pas se fier à ses mots.
     — On ne sait jamais, il pourrait bien cacher des choses.
     — C'est vraiment pas l'impression que j'ai eu.
     — Hum... On a encore quatre autres personnes à rencontrer, on verra bien.
     Ils attendirent sur place, un autre allait les rejoindre. Un habitué du café, un ancien mafieux de cinquante ans entra sans passer inaperçu. Il propageait une aura qui faisait tourner des têtes et trembler certaines personnes. Le regard dur, il paraissait intouchable. S'avançant vers le trio, Joey Black ignora les messes basses des clients du café comme si ce n'était pas la première fois.
     Cet homme avait été le deuxième client de Mike. Il se souvenait trop bien de lui ; comment oublier un tel personnage ? À l'époque, Joey venait de divorcer une deuxième fois et avait une fille nommée Marissa. Leur contrat n'avait pas duré puisque cette dernière s'accrochait à Mike. Par conséquent, les deux hommes s'étaient fâchés lors de leur dernier tête-à-tête, allant jusqu'à la bagarre.
Stressé de le retrouver, Mike essuya aussitôt les gouttes de sueur qui coulaient sur sa tempe et accueillit son ancien client avec la même froideur.
     — Qu'est-ce que tu veux ? souffla Joey.
     Aucune salutation, ce qui était loin de l'étonner. Mais ce personnage rendait Max nerveux.
     — J'ai des questions à te poser, répondit Mike. Enfin, surtout une.
     — Aboule, j'ai pas le temps, soupira l'ancien mafieux.
     Il n'arrêtait pas de recoiffer ses cheveux poivre-sel, qui avaient été très noirs dans le passé, et laissa tomber ses lunettes de soleil sur le nez. Joey resta imperturbable et même à travers l'opacité de ses lunettes, il gardait une impression sévère.
     — C'est quand la dernière fois que tu as vu ma femme ?
     — Ah ! C'est ça ta question ?
     Éclatant de rire devant ce qu'il considérait absurde, Joey passa ensuite commande auprès de la serveuse pour une bière.
     — Mon p'tit gars, tu m'as fait venir pour ça ? gloussa Joey.
     — Alors, c'était quand ? insista-t-il.
     — Ridicule... Tu crois que je l'ai tuée ?
     — C'est le cas ?
     Un malaise s'installa entre eux, ils se toisèrent dans un silence assourdissant et Mike ne lâcha pas sa prise malgré les lunettes sombres de Joey. Il ne se laisserait jamais vaincre, même s'il connaissait le passif de Joey ; cet ancien mafieux pouvait le réduire en miettes en un claquement de doigts. Il semblait même plus baraqué qu'à leur dernière rencontre et ça ne serait pas surpris d'apprendre qu'il se dopait.
     — Non, répondit enfin Joey.
     — Sûr ?
     Max s'attira les foudres de cet homme à travers cette question qui se voulait innocente. Il déglutit devant l'air agacé de Joey et n'osa rien ajouter. À sa gauche, Mike reprit le fil de la conversation et appuya l'intervention de son ami.
     — Alors, t'es sûr que tu n'as rien à voir dans sa mort ?
     — Si je te le dis ! gronda Joey.
     La serveuse blonde lui ramena sa bière et repartit aussitôt sans lui laisser le temps de la remercier. Joey haussa ses épaules dans sa veste de motard serrée et vida le verre d'une seule traite, ce qui valut un sifflement admiratif, inconscient, de Lucy. Alors qu'il ne lui avait accordé aucune attention jusque là, l'ancien mafieux tourna la tête et jaugea le visage expressif de la jeune femme. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître ces traits familiers.
     — Elle a sacrément grandi, ta petite.
     Il contracta sa mâchoire et ignora son commentaire.
     — C'était quand la dernière fois que vous l'avez vue ? le questionna Lucy.
     — Au dernier barbec' le dimanche, répondit Joey en se tournant vers elle, quand je me suis bagarré avec ton père devant votre maison.
     — Comment savoir que tu dis la vérité ? Tu as une preuve de ce que tu avances ? surgit Mike.
     — Et bien mon gars, tu vas devoir compter sur mes mots seulement, dit-il d'un air amusé.
     Impatient de retourner à ses activités, le grand gaillard quitta la table sans un salut et se dirigea vers la sortie. Après une courte hésitation, Mike se lança à sa poursuite et l'interpela avant qu'il sortait du bâtiment. Joey le jaugea du regard, plutôt agacé d'être à nouveau sollicité.
     — Quoi encore ?
     — Marissa... Comment elle va ?
     Pour la première fois depuis leur retrouvaille, l'ancien mafieux grimaça et continua sa route sans prendre la peine de lui répondre. Mike se désola à s'interroger sur le devenir de Marissa qu'il avait apprécié à l'époque et retourna auprès de ses pairs. Curieuse, sa fille lui demanda ce qu'il avait été dire à Joey mais il ignora sa question.
     — Bon, deux suspects interrogés. Andy, pour l'instant, nous semble innocent. Et ce Joey ? relança Max.
     — Je sais pas, il ne m'avait pas l'air si mauvais que ça, songea Lucy.
     — Pardon ? L'as-tu bien regardé ? s'exclama-t-il, abasourdi.
     La jeune femme roula des yeux et rit de sa stupeur, oubliant déjà la froideur massacrante de l'ancien mafieux. Ça ne l'avait pas particulièrement atteinte, contrairement à Max qui tremblait encore de son regard suite à la question qu'il lui avait posé.
     — « Sûr ? », l'imita Lucy. Tu paraissais tellement sûr de toi pour te liquéfier la seconde suivante !
     — Roh, ça va...
     Boudeur, l'homme d'affaires croisa ses bras et évita son regard. C'était pour voir cette réaction habituelle que Lucy se plaisait à le taquiner. Mike ne prêta pas attention à leur conversation et demeura pensif, les yeux rivés sur l'écran de son téléphone. Il lisait un de ses mémos, barrant les noms de suspects rencontrés. Plus que trois à voir.
     — En fin d'après-midi, on rencontre Nikolaï Cunningham.
     — Tu te souviens bien de lui ? demanda Max.
     — Plutôt. Je dirais qu'il est assez spécial.
     — Comme Max ?
     Il tourna la tête et la fusilla du regard avant de réprimer un rire. Mike ne réagit pas et se leva. Lucy, qui entamait tout juste son deuxième verre de coca-cola, fixa son père et ne comptait pas le suivre. Ce dernier ne semblait pas le lui demander, il la salua ainsi que Max avant de sortir.
     — Il est bizarre, non ? commenta Lucy.
     — J'imagine que ça le bouleverse de revoir ses anciens clients, ça le ramène dans le passé où ta mère vivait encore.
     — Sans doute...
     Finissant sa boisson d'une traite par dépit, la jeune femme déposa un petit pourboire comme elle avait l'habitude de le faire et quitta le café avec Max. Le trio retourna ensuite dans leur logement provisoire et chacun s'abandonna à son activité. Tandis que Mike étudiait encore le passé de ses anciens clients, Lucy changea la couleur de son vernis sous le regard émerveillé de Max qui appréciait toujours son art.
     — C'est du nail art, expliqua Lucy.
     — J'aimerais bien m'en mettre aussi, confia Max, mais on me regardera bizarre.
     — On peut toujours le retirer si ça te dérange.
     — Mais ça reste longtemps sur tes ongles.
     — Oui mais ça peut s'effacer, ne t'inquiète pas.
     Après quelques secondes d'hésitation, il céda et laissa Lucy manier son art sur ses ongles. Elle sélectionna deux couleurs différentes, du noir et un bleu océan que Max valida, et colla des formes aléatoires qui leur plurent à tous les deux. Un grand sourire se dessina sur le visage de Max en découvrant le résultat, c'était la première fois qu'il s'accordait un plaisir propre à lui-même.
     Leurs gloussements ne volèrent pas son attention, Mike s'était enfermé dans une bulle, se désintéressant de ce qui l'entourait. L'après-midi entière se déroula ainsi, Mike qui travaillait d'un côté et de l'autre, Lucy et Max qui s'abonnaient aux joies de la vie.


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Encore un chapitre à ajouter pour aujourd'hui.
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